Haoui.com

Eté 85


L’été de ses 16 ans, Alexis, lors d’une sortie en mer sur la côte normande, est sauvé héroïquement du naufrage par David, 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu’un été ? L’été 85.

Repertoire Image

Entretien avec le réalisateur François Ozon.

À l’origine d’ÉTÉ 85, il y a le roman d’Aidan Chambers : La Danse du coucou...
J’ai lu ce roman en 1985, quand j’avais dix-sept ans, et je l’avais adoré. Il parlait intimement à l’adolescent que j’étais. Le livre est très ludique et inventif par sa langue, sa construction. Il inclut des dessins, des extraits d’articles de presse, des changements de points de vue, des reprises de séquences sous un autre regard. J’avais éprouvé un grand plaisir de lecture et alors que je commençais à réaliser des courts métrages, je m’étais dit : «Si un jour je fais un long métrage, mon premier film sera l’adaptation de ce roman. »

Et trente-cinq ans plus tard...
Pendant toutes ces années, je crois que je n’ai pas eu l’envie ou l’idée de faire ce film parce qu’en réalité, j’avais surtout envie de le voir, d’en être le spectateur ! Et j’étais sûr que quelqu’un allait le faire... Un cinéaste américain... Mais ce n’est jamais arrivé, à ma grande surprise. Après GRÂCE À DIEU, j’ai relu le livre par curiosité et j’ai eu un choc car j’ai réalisé que beaucoup de scènes ou de thèmes du livre, je les avais déjà filmés : le traves - tissement dans UNE ROBE D’ÉTÉ ou UNE MEILLEURE AMIE, la scène de morgue dans SOUS LE SABLE, une relation avec un professeur dans DANS LA MAISON, le cimetière dans FRANTZ... Ce livre que j’avais lu adolescent avait nourri mon imaginaire, mais je n’avais jamais fait le lien. Le côté puzzle du livre que j’avais oublié m’a paru aussi très cinématographique. Et je me suis souvenu que lorsque j’avais écrit une première version de scénario à 18 ans avec un ami, je m’étais concentré uniquement sur l’histoire d’amour, j’avais enlevé des éléments qui me semblaient secondaires comme l’assistance sociale, le professeur, les parents, le judaïsme ou les flash-backs... Peut-être que je n’étais pas capable de gérer tous ces éléments à l’époque. Les films se font quand ils doivent se faire, cette histoire a eu besoin de mûrir en moi pour que je sache comment la raconter et finalement je suis resté fidèle au roman dans sa structure narrative. Pour le reste, j’ai adapté le contexte de l’histoire à la France, et je l’ai restitué à l’époque où j’ai lu le livre. Dans le film, il y a à la fois la réalité du livre et mon souvenir de ce que j’ai ressenti en le lisant.

Le ton du livre est assez désinvolte. Vous jouez sur un registre plus romantique et dramatique...
Au tournage, certaines scènes étaient davantage dans la comédie mais au montage, j’ai eu tendance à gommer les effets cocasses pour être entièrement avec ces garçons, vivre cette histoire d’amour avec eux au premier degré. Et dans la deuxième partie, avec le deuil et l’enjeu du pacte, il y avait encore moins de place pour la comédie. Il me semblait important d’instaurer un rapport de sincérité vis-à-vis des personnages, et de retrouver l’émotion que j’avais ressentie adolescent. D’une certaine manière, j’ai eu l’impression de refaire un premier film avec la maturité acquise sur mes autres films. Ce qui permet d’avoir à la fois de la lucidité et une forme de tendresse nostalgique sur cette période. Si j’avais été plus proche en âge de mes personnages, j’y aurais mis sans doute plus de distanciation.

ÉTÉ 85 est une histoire d’amour avant d’être une histoire d’amour homosexuelle...
J’ai été fidèle au livre, qui ne problématise jamais l’homosexualité, n’en fait pas un enjeu, ce qui est très beau et assez moderne pour l’époque. Alex et David s’aiment et le fait que ce soit deux garçons n’est jamais vraiment le sujet. C’est pour ça qu’en tant qu’adolescent je rêvais de voir ce film, car les représentations de l’homosexualité dans le cinéma des années 80 étaient très sombres, douloureuses, même avant l’arrivée du sida. En faisant le film, j’ai tenu à assumer les codes d’un teen movie. J’ai filmé une romance entre garçons de façon très classique et sans ironie, pour rendre cette histoire d’amour universelle.

ÉTÉ 85 aurait pu donner lieu à une chronique adolescente mais vous transformez ce matériau en jouant sur le suspense de ce qui s’est réellement passé...
C’est la grosse différence avec le roman, dans lequel on sait dès le début ce qu’Alex a fait et pourquoi. Le film laisse planer un mystère et crée des fausses pistes qui permettent au spectateur d’aller dans plusieurs directions possibles. J’avais adopté la même démarche en adaptant L’HOMME QUE J’AI TUÉ d’Ernst Lubitsch pour FRANTZ.

La reconstitution de l’époque est réaliste tout en donnant parfois l’impression que l’on est dans un film des années 80...
Les décors sont réalistes, mais les années 80 sont un peu idéalisées pour les costumes. Avec Pascaline Chavanne, nous nous sommes beaucoup inspirés des films américains de l’époque, dont j’avais envie de retrouver l’esprit populaire. J’ai vraiment fait le film en pensant au spectateur que j’étais, au film que j’aurais aimé voir à cette époque.

Et le choix de tourner en pellicule ?
Aujourd’hui, on s’est habitué à l’image numérique, mais quand on fait un film d’époque, je trouve que la pellicule s’impose – j’avais déjà fait ce choix sur FRANTZ. J’étais ravi de revenir au super 16, qui était le format de mes premiers courtsmétrages. J’aime son grain si particulier. Dans les gros plans, cela donne quelque chose de très beau et sensuel sur les peaux, une nuance des couleurs que l’on n’a pas en numérique, qui a tendance à affadir un peu tout.

Le film se passe au Tréport...
Le Tréport est un peu l’équivalent du Southend on Sea du roman, au sud de l’Angleterre, qui n’a rien à voir avec la Côte d’Azur. C’était important pour moi d’ancrer l’histoire dans la réalité sociale de cette station balnéaire ouvrière de Haute Normandie. Le Tréport est une ville qui n’a pas été trop rénovée, qui est restée dans son jus, un lieu très photogénique, avec ces grandes plages de galets, ces falaises, ces HLM le long de la jetée, construits dans les années 60...

La nationalité anglaise de la jeune Kate est-elle un clin d’œil au livre ?
Dans le roman, le personnage de Kate est norvégien. J’en ai fait une anglaise surtout parce que mes années 80 étaient sous influence de la culture pop anglaise, comme pour beaucoup d’autres adolescents à l’époque. J’ai été bercé par la New Wave, les Smiths, Depeche Mode, The Cure avec lesquels le film s’ouvre...

Comment s’est passé le casting du couple d’Alex et David, aux physiques très contrastés...
J’ai commencé le casting très tôt, avant même d’avoir fini le scénario. Je me disais que si je ne trouvais pas les acteurs, je ne ferais pas le film. J’ai rencontré Félix Lefebvre très vite. Quand il a passé des essais, j’ai tout de suite su qu’il était Alex, avec son visage un peu rond, son sourire enfantin, sa vivacité et une mélancolie dans son regard. Il a un air de River Phoenix qui correspond bien à l’époque et au personnage. Félix est un acteur vif et malin, ce qui était important pour le rôle. Il fallait que l’on puisse croire à l’intelligence d’Alex, à sa capacité à devenir un écrivain. Ensuite, il fallait trouver David. Le contraste entre lui et Alex était important. Je voulais que David le domine physiquement et qu’il ait une aisance naturelle. David, c’est un peu un fauve, alors qu’Alex est un agneau qui ne sait pas bien marcher, ni conduire un bateau... Benjamin Voisin avait été casté pour le rôle d’Alex mais en le voyant jouer, j’ai eu l’intuition qu’il pourrait être David, même si, à la base, je recherchais un physique plus impressionnant et plus costaud - en même temps, quand on le voit du point de vue d’Alex, il est effectivement comme ça. Dès les premiers essais, il y a eu une alchimie entre Benjamin et Félix, ce qui était primordial. Ils étaient sur la même longueur d’onde, avaient une grande complicité. On a ensuite fait beaucoup de lectures et répété les scènes ensemble. Et un mois avant le tournage, ils sont partis tous les deux une semaine faire de la voile au Tréport.

SWIMMING POOL, ANGEL, DANS LA MAISON... Ce n’est pas la première fois que vous abordez la figure de l’écrivain.
Ce qui m’intéresse, c’est montrer la vocation artistique. Comment un personnage ressent la nécessité de passer par la sublimation de la création. Et de quoi il se nourrit. Ce que je trouve beau dans le cas d’Alex, c’est que sa découverture de l’écriture est un peu accidentelle : il est incapable de parler de ce qui s’est passé et on lui demande donc d’écrire pour que le juge comprenne son geste. « Parfois, ce qu’on a du mal à dire est plus facile à écrire », lui dit son professeur. Surtout à cet âge-là. Et comme il a un talent d’écriture... En devenant écrivain, Alex se sauve doublement : devant le juge et parce qu’il trouve sa vocation. Il y a un aspect résilient très fort chez Alex, grâce à l’écriture, qui lui permet de transformer son épreuve et d’aller de l’avant.

Comment avez-vous élaboré la danse sur la tombe ?
Il fallait d’abord trouver la musique. Dans le livre, il s’agit de la musique du générique de Laurel et Hardy, une musique évoquant une petite danse de coucou – d’où la traduction en français du titre du livre. C’est Félix qui m’a suggéré la chanson de Rod Stewart, SAILING, qui date en fait de 1975. Dès que je l’ai réécoutée, c’était une évidence, à la fois par son rythme et par ses paroles. Pour la chorégraphie, j’ai tout de suite pensé à Angelin Preljocaj mais comme il est dans le sud de la France, c’était un peu compliqué et il m’a conseillé une danseuse avec laquelle il travaille, Virginie Caussin. Je voulais que la danse s’inscrive dans le réel et s’inspire de la gestuelle de Félix. Au début, il se met à genoux, il se caresse, le rythme le prend progressivement... On a demandé à Félix de danser naturellement sur cette musique, pour ensuite incorporer des gestes récurrents. Des gestes qui rappellent aussi la manière de danser des années 80. Avec des moments où il se déchaîne, dans l’énergie pure, mais toujours canalisée dans une chorégraphie qui évoque aussi une danse funèbre, tribale.

Et le titre du film ?
Le titre du livre en français, LA DANSE DU COUCOU, ne fonctionnait pas du fait du changement de musique sur la tombe. Le titre original du roman est très beau : DANCE ON MY GRAVE, mais il déflorait trop l’enjeu du film – contrairement au livre, où l’on sait tout depuis le début. J’ai donc très simplement rapporté le titre à la date à laquelle j’ai lu le livre et où est sortie IN BETWEEN DAYS, la chanson des Cure qui ouvre le film. Cette chanson marque vraiment le cœur des années 80 et en même temps, c’est un morceau intemporel. Elle est extrêmement joyeuse mais avec un fond mélancolique. Elle correspond à Alex, à sa découverte de la vie avec entrain mais aussi noirceur. 1985, c’est aussi l’année de la mort de Rock Hudson, l’irruption du sida dans le quotidien de tous... C’est la dernière année d’innocence et d’insouciance, où l’on peut ne pas encore être au courant de cette maladie, s’en inquiéter.

Drame, comédie française de François Ozon. 3,9 étoiles sur AlloCiné. 1 nomination au Festival de Cannes 2020 (édition 73).

">