Haoui.com

Tout simplement noir


JP, un acteur raté de 40 ans, décide d’organiser la première grosse marche de contestation noire en France, mais ses rencontres, souvent burlesques, avec des personnalités influentes de la communauté et le soutien intéressé qu’il reçoit de Fary, le font osciller entre envie d’être sur le devant de la scène et véritable engagement militant...

Repertoire Image

Entretien avec les réalisateurs Jean-Pascal Zadi et John Wax

Le titre du film fait-il référence à  « tout simplement noir », ce groupe de hip-hop français de la fin des années 80 ?
John Wax : C’est un clin d’œil. Avec Jean-Pascal, nous avons tous les deux évolué dans ce milieu, avec cette culture du rap qui nous embarquait.

Jean-Pascal Zadi : Le titre est aussi une manière de rappeler que dans le langage courant, les gens n’osent plus employer le mot « noir ». Ils trouvent plus chic de dire « black ». Pour nous, il n’y aucune honte à dire « noir » : c’est juste une couleur.

J.W. : Beaucoup s’imaginent qu’employer « noir » est raciste. On a revu un extrait du film menace II society qui date de 1993 : dans les sous-titres français, tous les mots étaient traduits sauf « black ».

 J-P.Z. : Ça peut s’expliquer à travers l’histoire de la France où le mot « noir » a été utilisé dans des contextes négatifs comme l’esclavage et la décolonisation. Aujourd’hui, dire «  black » c’est soi-disant se montrer plus cool. Comme lorsque tu dis « beur » au lieu de « arabe ».

Le film commence par cette phrase de JP : « je suis en colère ». Est-ce le même sentiment qui a donné naissance au film ?
J-P.Z. : Tout est parti de l’envie de faire une œuvre collégiale, drôle et porteuse d’un message. On voulait fédérer un maximum de personnalités noires autour de ce projet et avoir le plaisir de les voir s’éclater à l’écran.

A quand remonte le début de votre complicité ?
J.W. : C’était il y a plus de 10 ans. Nous avions un ami en commun, on s’est rencontré et on ne s’est plus quitté. En 2013, sur le crocodile du botswanga de Fabrice Éboué, Jean-Pascal jouait un petit rôle et moi, j’étais photographe de plateau. Un tournage et des vacances à Cuba, ça renforce encore les liens. Forcément. (Rires)

J-P.Z. : On s’est rapidement trouvé pas mal de points communs : l’humour, la manière de voir la vie, le type de cinéma qui nous fait vibrer. C’est rare de rencontrer des gens de cette profession avec lesquels on se retrouve, dans la vraie vie, sur la même longueur d’ondes. Tout simplement noir est tombé pile au bon moment dans nos parcours respectifs.

J.W. : Après avoir été assistant technique sur Pataya et Taxi 5, je commençais à avoir fait mes preuves et toi...

J-P.Z. : …j’avais mes documentaires, des interventions dans « Le Before du Grand Journal », ma petite série sur le web. Il était temps de travailler ensemble sur un projet qui nous ressemble...

Quelle expérience de la caméra aviez vous avant ce film ?
J-P.Z. : Je n’ai pas eu la chance d’étudier le cinéma. Mon école a été de tourner african gangster, cramé, sans pudeur ni morale : ces films que j’ai auto-produits sont l’équivalent de mixtapes. Tout simplement noir est vraiment notre premier film avec John.

J.W. : Comme Jean-Pascal, je suis un autodidacte : je n’ai pas dépassé le brevet des collèges, j’étais un peu traîne-savate et je me suis retrouvé dans le milieu du rap. J’ai appris sur le tas motivé par l’envie de créer. J’ai fini par montrer un petit montage à des potes rappeurs et j’ai commencé à tourner des clips.

J-P.Z. : Pareil pour moi. Dès que j’ai eu une caméra entre les mains, j’ai filmé tout et n’importe quoi jusqu’à tourner des clips de rap. Notre énergie, celle qui balaye le film aussi, est très liée au hip-hop : c’est une culture de l’immédiateté, de l’instant...

J.W.  : …de la débrouille aussi. Le ton et les dialogues du film empruntent au rap, à la banlieue, à la street quoi !

J-P.Z.  : Le rap fonctionne à la punchline. Et notre scénario se cale souvent sur ce rythme.

Pourquoi avoir opté pour la forme du faux documentaire ?
J.W. : C’était le meilleur moyen de rester ancré dans le réel, d’avoir un garde-fou qui empêche les situations de basculer dans la dinguerie totale. Dans l’économie de budget qui était la nôtre, c’était aussi un parti-pris malin : pas besoin de travelling ni de grue, une caméra à l’épaule suffit. Une fois le décor éclairé, on peut se concentrer sur le tempo comique et les acteurs... Au fil du récit, on finit aussi par oublier ce procédé. Il n’y a qu’une scène, la bavure policière, où la présence des réalisateurs du documentaire est mise en avant.

J-P.Z. : On ne voulait ni voyeurisme ni imagerie putassière : la caméra filme de loin, comme un témoin neutre qui enregistre des faits. C’est plus puissant que de filmer dans la mêlée. Il s’agissait de dénoncer sans être outrancier dans les sentiments.

J.W. : L’image du film est également volontairement soignée, à l’inverse de ce qu’on pourrait attendre d’un documentaire sur le vif.

Parmi les scènes-clés du film, il y a celle du dérapage entre Ramzy, Rachid Djaidani et Jonathan Cohen. Comment l'avez-vous orchestrée ?
J.W. : À réaliser, c’était un vrai cauchemar ! Le matin, on donne le texte à Jonathan qui le balance en souriant. Le ton était donné, on avait affaire à des volcans comiques.

J-P.Z. : Le fil conducteur de la scène, c’était l’envie des arabes, euxmêmes composites, de se greffer à la marche de JP car ils sont mal vus en ce moment par l’opinion. Le tournage a pris une journée entière ! Capter l’énergie du jour a été une prouesse. J’ai fini la tête en vrac à force d’avoir rigolé.

Avec un tel enchaînement de scènes délirantes, comment éviter le piège du film à sketches ?
J.W.  : C’était notre hantise, de l’écriture jusqu’au dernier jour de montage. On s’est parfois retrouvé avec un vrai micmac, une succession de scènes qui fonctionnaient mais auxquelles il manquait du liant. On a dû retourner des petites choses précises pour que le fil conducteur apparaisse clairement.

J-P.Z. : On a écrit le film avec l’envie de divertir le public mais c’est également ultra personnel. Le fil conducteur est là. Lorsqu’on décide d’évoquer la place des noirs dans la société française, on n’échappe pas au réel, c’est un sujet sociétal. Le scénario brasse des thèmes dont on a débattu mille fois entre amis. C’est le cas de la scène où la discussion entre Fabrice Éboué et Lucien Jean-Baptiste dégénère parce que chacun revendique d’être plus noir que l’autre.

J.W.  : Trouver un équilibre entre réel et fiction nous a obligés à supprimer, à l’écriture et lors du tournage, des scènes trop gaguesques ou loufoques. Celle avec Claudia Tagbo est un exemple parfait d’équilibre. Au-delà du comique de situation, Claudia a été séduite par notre liberté de parole notamment sur son physique, sujet qu’elle ne s’était jamais autorisée à aborder dans ses spectacles.

Coincer le spectateur entre rires et sidération, ne pas démêler le vrai du faux, est-ce jouissif ?
J.W. : C’est génial si le film provoque des questionnements...

J-P.Z. : ...mais ça n’est pas à nous d’apporter des réponses. Savoir ce que l’on en pense n’a aucun intérêt. L’important est de confronter, à travers des thèmes forts, les spectateurs à leur positionnement en tant qu’être humain dans notre société...

...société où chaque mot est passé au scanner du politiquement correct. Dans ce contexte, « tout simplement noir » est libérateur ! 
J.W.  : Ça n’est pas prémédité. C’est simplement le ton qui nous correspond. Ceux qui nous connaissent bien ne sont pas surpris d’entendre ce type de dialogues.

J-P.Z. : On a eu aussi la chance d’avoir carte blanche de la part de Gaumont. Ils ne nous ont jamais censurés. Cette liberté est une force. Être, comme John et moi, des mecs de la vie de tous les jours en est une autre. On n’a pas été conditionnés par le show-biz ou des impératifs commerciaux...

 J.W.  : J’espère qu’on gardera longtemps cette envie d’être politiquement incorrect. On ne recherche ni l’humour facile ni les poncifs ni le consensus. Et c’est du boulot !

J-P.Z. : Aller juste au-delà de ce qui est toléré et convenable, c’est ce qui nous motive pour continuer à créer. Le cinéma français se réfugie souvent dans un entre-soi. Notre parole est celle des gens de la rue, du quotidien. On s’exprime comme ça... Nous n’avons rien inventé d’exceptionnel. 

Comédie française de Jean-Pascal Zadi Wax. 3,9 étoiles sur AlloCiné.

">