Haoui.com

Brooklyn secret


Olivia travaille comme soignante auprès d’Olga, une grand-mère russe ashkénaze de Brighton Beach à Brooklyn. Fragilisée par sa situation d’immigrante philippine, elle paie secrètement un Américain pour organiser un mariage blanc. Alors que celui-ci se rétracte, elle rencontre Alex, le petit fils d’Olga, avec qui elle ose enfin vivre une véritable histoire d’amour...

Repertoire Image

Entretien avec la réalisatrice Isabel Sandoval

Quel est le point de départ du film ? 
Brooklyn Secret est mon troisième long métrage. Je reviens toujours aux mêmes thèmes et parmi ceux-là, le féminin. Je m’intéresse aux femmes qui sont marginalisées et qui doivent prendre des décisions personnelles difficiles dans un contexte social et politique tendu. Mon second film, intitulé Apparition et présenté en France au Festival du film asiatique de Deauville, racontait l’histoire de nonnes aux Philippines pendant la dictature de Marcos. Brooklyn Secret parle d’une immigrante philippine transgenre et sans-papiers qui essaie d’obtenir la nationalité américaine sous l’administration Trump. Ces personnages féminins se confrontent à des problèmes différents mais on retrouve un même contexte oppressif. J’ai fait ce film juste après ma transition. Le fait d’être une immigrée et une femme trans pesaient lourd dans mon existence à ce moment- là, précisément quand Donald Trump est devenu Président des Etats-Unis. Donc Brooklyn Secret est le résultat de mon état d’esprit de l’époque. Quand je l’écrivais, j’éprouvais de l’angoisse et de l’inquiétude. Je me sentais vulnérable par rapport à ma situation aux Etats-Unis. Je ne suis pas sans-papiers comme mon personnage. Je possède une Green Card avec mon prénom et mon sexe féminin. En revanche, j’ai un passeport qui correspond à mon identité masculine d’avant. Quand je vais à l’étranger et que je reviens aux Etats-Unis, j’ai toujours peur de subir un interrogatoire lorsque je passe les contrôles et d’être retenue dans une pièce pendant des heures, ce qui n’est pas impossible vu le climat politique actuel. Quand Brooklyn Secret a été projeté au Festival de Venise pour sa première mondiale, j’étais assez nerveuse de savoir si j’allais pouvoir revenir aux Etats-Unis. Cela faisait cinq ans que je n’avais pas voyagé à l’étranger. D’ailleurs dans le film, c’est mon vrai passeport que l’on voit. J’ai juste changé le nom dessus ! 

Votre récit n’est pas autobiographique mais dans quelle mesure vous identifiez-vous au personnage d’Olivia ?
Elle est résiliente et pleine de ressources intérieures. Elle essaie de trouver un moyen de survivre à la situation difficile qu’elle traverse. Je voulais faire le portrait d’une trans qui se démarque des représentations excessives et flamboyantes que l’on trouve habituellement dans le cinéma philippin. Je voulais nuancer cette vision en montrant une femme trans qui travaille comme aide ménagère, ce qui est tout de suite moins glamour. J’avais l’espoir que plus de gens s’identifient de cette manière à Olivia. Le fait qu’elle soit trans ne constitue qu’un aspect de son identité. Ce statut ne l’emprisonne pas. Ce n’est qu’une facette de ce qu’elle est. 

Comment avez-vous écrit le personnage introverti d’Olivia de manière à pouvoir aussi l’incarner ? 
Je crois qu’elle me ressemble en de nombreux points. C’est une femme silencieuse comme moi. Dans mes films, mes personnages sont souvent introvertis. Mon approche du dialogue est minimaliste. Mes personnages ne communiquent pas nécessairement leurs émotions avec des mots. Ils ont des secrets et éprouvent une culpabilité qu’ils ne sont pas en mesure d’exprimer. Alex et Olivia sont animés par ce même sentiment de honte et de culpabilité. Alex a honte d’être attirée par Olivia et celle-ci a peur qu’il découvre qu’elle est transgenre, surtout par rapport au milieu machiste et sexiste dont il est issu.

Etait-ce compliqué d’interpréter le rôle principal, en plus d’écrire, de réaliser et de monter le film ?
Pas vraiment. J’avais déjà commencé à jouer dans mes films avec Senorita que j’ai réalisé en 2011. Et puis interpréter le rôle principal fait une personne de moins à diriger ! [rires]}. Mais surtout, occuper tous ces postes se met au service du film et de l’histoire que j’ai envie de raconter. Dans cette optique, j’endosse naturellement ces différentes casquettes. Cela m’a pris trois ans pour écrire et développer le film. Le scénario a beaucoup évolué mais le seul élément immuable du récit a toujours été Brighton Beach. 

Pourquoi avoir situé précisément votre film à Brighton Beach ? Même si on ne voit jamais les Philippines, ce pays est aussi très présent, à travers les coups de téléphone entre Olivia et sa mère... 
James Gray a beaucoup influencé mon travail. Il a tourné plusieurs films à Brighton Beach dont Little Odessa. Je vis à Brooklyn et Coney Island et Brighton Beach me fascinent. Les films situés à New York montrent le plus souvent les gratte-ciels et Manhattan. Brooklyn a été popularisé par Lena Dunham et des films qui mettent en scène des hipsters. Mais des lieux comme Brighton Beach, marqué par la culture russe et juive, ne sont pas beaucoup représentés. Mon film se situe aujourd’hui mais ce lieu semble être resté bloqué dans les années 1950-1960. Il est vrai qu’on ne voit jamais le pays natal d’Olivia mais seulement la pression qu’il exerce sur elle. Dans les dernières séquences du film où je filme Brighton Beach sous la neige, on peut sentir la présence d’Olivia grâce à la voix off. Mais elle a quelque chose de spectral. On peut se demander à ce moment-là où elle est.

Pouvez-vous nous parler de la structure du film avec cette ouverture et cette fin qui sont similaires ? Pourquoi ce choix de la répétition ?
Je voulais montrer simplement que la vie continue pour Olivia. L’histoire ne s’arrête pas là pour ces personnages, leur destin est dicté par une force qui les dépasse. C’est le sens des longues séquences à la fin du film, où les personnages ne sont plus dans le cadre. 

Souhaitiez-vous montrer avec ce film le côté obscur du melting pot et du rêve américain ?
Oui. Je crois que je voulais montrer le prix à payer pour vivre le rêve américain. Vu des Philippines, s’envoler pour les Etats-Unis est synonyme de réussite. Beaucoup de familles aux Philippines nourrissent le souhait que leurs proches aillent gagner leur vie aux Etats-Unis. Brooklyn Secret dépeint l’envers de ce rêve mais je l’espère, d’une manière mélancolique et teintée d’espoir. 

Votre film traite t-il avant tout du désir et de la manière conflictuelle dont les personnages s’y confrontent ? 
Oui absolument. D’ailleurs, la toute première scène que j’ai écrite était la scène où Olivia se masturbe. On ne voit pas beaucoup de films d’un point de vue féminin et a fortiori, encore moins du point de vue d’une femme trans. La caméra est sur son visage et on la voit prendre du plaisir. Et cette scène est dirigée par une femme. S’agissant des scènes de sexe à proprement parler, je tourne en plan moyen, à la différence de ce que l’on peut voir dans La vie d’Adèle par exemple où les actrices se livrent à des positions acrobatiques pendant vingt minutes. A tel point que je me suis demandé si ces scènes étaient là pour parler du plaisir des héroïnes ou plutôt pour exciter le public ? Je souhaitais que les scènes de sexe dans Brooklyn Secret expriment le désir d’Olivia. Mais à mesure qu’elle se rapproche d’Alex, elle se demande si c’est une bonne chose d’être intime avec un homme qui ignore qu’elle est transgenre. Cela l’expose mais en même temps, elle aime trop cette situation pour y mettre un terme. Le désir - et l’ambivalence qui l’entoure -, c’est cela qui m’intéresse. 

Drame Américain, Philippin de Isabel Sandoval. 3,8 étoiles sur AlloCiné. 1 nomination au festival du film de Cabourg.

">