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Licenciement économique et faute de l'employeur


Cinq salariés contestent leur licenciement économique et demandent qu’il soit requalifié sans cause réelle ni sérieuse car, selon eux, l’employeur avait commis une faute en remboursant un emprunt qui privait l’entreprise de ressources financières. La Cour d’appel leur donne raison mais pas la Cour de cassation : la décision de l’employeur de faire supporter à l’entreprise le remboursement de l’emprunt du groupe ne suffisait pas à caractériser une faute de l'employeur…

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale du 4novembre 2020. Pourvois n° : 18-23.029, 18-23.030, 18-23.031, 18-23.032 et 18-23.033.

[…] 

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Attendu que si la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation, l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. X..., Y..., Z..., et P... et Mme Q..., salariés de la société Pages jaunes, ont été licenciés pour motif économique entre le 30 avril et le 11 août 2014 après avoir refusé la modification de leur contrat de travail pour motif économique proposée dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise ayant donné lieu à un plan de sauvegarde de l’emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France le 2 janvier 2014 ; que par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d’un autre salarié, une cour administrative d’appel a annulé cette décision de validation, au motif que l’accord du 20 novembre 2013 ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par les dispositions de l’article L. 1233-24-1 du code du travail ; que le Conseil d’Etat a, le 22 juillet 2015, rejeté les pourvois formés contre cet arrêt ; que les salariés ont saisi la juridiction prud’homale pour voir juger sans cause réelle et sérieuse leur licenciement pour motif économique ;

Attendu que pour condamner la société Pages jaunes à verser aux salariés diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ordonner le remboursement à l’organisme concerné des indemnités de chômage payées aux salariés dans la limite de trois mois d’indemnités, les arrêts retiennent que la société Pages jaunes est une filiale à 100 % au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce de Pages jaunes groupe, aujourd’hui dénommé Solocal ; que dans le cadre d’une opération de rachat d’entreprise par endettement dite « LBO » pour « leverage buy-out », l’utilisation des ressources financières du groupe, constituées essentiellement par les ressources financières de la société Pages jaunes, n’a été possible que parce que cette dernière a accepté de prendre des décisions permettant de nourrir les besoins de sa holding, laquelle a ainsi asséché la source de financement des nécessaires et incontournables investissements stratégiques, alors même que l’essor d’un marché « online » et la multiplication d’entreprises au modèle innovant ou spécialisées ayant une activité concurrentielle nécessitaient de proposer des prestations spécialisées et adaptées ; que si une ébauche de transformation et d’adaptation a été lancée en 2011 avec le projet « Jump », pour répondre au besoin de spécialisation du marché, force est de relever la tardiveté et l’insuffisance de cette restructuration, qui a coïncidé avec la décision de ne plus affecter les liquidités à la distribution de dividendes ; que la société Pages jaunes ne met pas la cour en mesure de considérer que l’inadaptation de son organisation à la nouvelle configuration du marché de la publicité et la dégradation de la situation économique qui s’en est suivie ne résulte pas de l’incapacité dans laquelle elle se trouvait depuis 2006 et l’opération dite « LBO », du fait de la mise à disposition de ses liquidités en 2006 et des versements continus de dividendes opérés jusqu’en 2011, de financer les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l’entrée dans un marché évoluant très rapidement et de faire les indispensables investissements en recherche et développement depuis 2008 ; que dès lors le péril encouru en 2014 par la compétitivité de l’entreprise au moment de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement n’est pas dissociable de la faute de la société Pages jaunes, caractérisée par des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires, ces décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l’actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils condamnent la société Pages jaunes à verser, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à MM. X... et P... la somme de 70 000 euros chacun, à MM. Y... et Z... la somme de 90 000 euros chacun, à Mme Q... la somme de 60 000 euros, ordonnent le remboursement à l’organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées à ces salariés dans la limite de trois mois d’indemnités, les arrêts rendus le 2 août 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

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