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Kajillionaire


Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fi lle unique, Old Doli, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d’un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d’Old Dolio.

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Notes de production

En 2016, Miranda July a rédigé deux premières moutures de deux scénarios très différents. Aucun d’entre eux ne la satisfaisait pleinement, mais ils abordaient chacun le rôle des parents et la réparation d’un lien parental malmené pendant l’enfance. Ils parlaient des circonstances de notre naissance d’une manière qui l’intriguait.

Elle a eu une révélation un matin de 2017, alors qu’elle était allongée sur son lit, entre son mari qui dormait encore et son enfant pas tout à fait réveillé. « Je me suis représenté mentalement ces trois personnages qui semblaient marcher dans ma direction : deux femmes aux longs cheveux et un homme » , raconte la cinéaste. « Je me souviens m’être dit que je pouvais soit me rendormir et m’abandonner à ce rêve, soit prendre mon téléphone et commencer à dicter ce qui me passait par la tête. J’ai tendu le bras pour attraper mon téléphone qui était à côté de Mike et je me suis mise à raconter ce que je voyais. Pendant les trois jours qui ont suivi, j’ai continué à dicter à mon téléphone cette histoire qui prenait forme progressivement » .

La première scène qu’elle imaginait, située dans la zone de livraison de bagages d’un aéroport, orientait le projet vers le film de braquage et faisait écho aux thématiques qu’elle souhaitait aborder. Une jeune femme et ses parents montent une arnaque pour se faire rembourser par leur assurance un soi-disant bagage égaré. La jeune femme est censée déclarer la perte de la valise à la compagnie aérienne, alors qu’en réalité ses parents l’auront retrouvée. Pour que cette escroquerie fonctionne, la jeune femme doit faire croire qu’elle voyage seule. « Dans cette arnaque, il faut que les protagonistes fassent comme s’ils ne se connaissaient pas » , précise Miranda July. « Faire comme si on ne connaissait pas ses parents en public m’a fortement interpellée, d’autant plus que c’est à ce moment-là que ses parents sont réellement devenus de parfaits étrangers aux yeux de la jeune femme » .

Cette séquence a été un moment charnière dans l’élaboration de KAJILLIONAIRE et la jeune femme s’est appelée Old Dolio fille unique de Robert et Theresa Dyne. Arnaqueurs hors normes, les Dyne montent des coups foireux qui leur permettent à peine de payer leur loyer. Ils ont choisi de se tenir à l’écart d’un milieu qu’ils jugent abêtissant et hypocrite. Ils ont rejeté tout confort matériel et vivent dans un espace de bureau délabré, mais très bon marché, jouxtant une fabrique de bulles. 

« Les Dyne se donnent un mal fou pour gagner de toutes petites sommes d’argent, et parfois même pas d’argent, mais des objets sans valeur » , reprend la cinéaste. « Ils sont devenus outsiders par choix et très moralisateurs. Il y a presque une dimension religieuse et politique dans leur activité qui ne souffre pas la moindre contestation. On n’a pas le droit de s’écarter de la doxa familiale. Je crois qu’on a tous en tête des gens qui se posent comme outsiders et qui, malgré tout, ont un regard psychorigide sur le monde ».

Complice des arnaques de ses parents depuis son plus jeune âge, Old Dolio a parfaitement intégré leurs traditions et adopté leur regard sur le monde. Elle n’a jamais rencontré d’amis et ne s’éloigne du champ de vision de ses parents que le temps nécessaire à concocter une arnaque. « Les Dyne ont un côté sectaire, mais je pense que, d’une certaine façon, toutes les familles sont des sectes » , remarque Miranda July. « Chaque famille a ses propres codes. Et je crois qu’à un moment donné, on constate tous, autant que nous sommes, que nous avons des modes de fonctionnement qui nous appartiennent, même s’ils ne sont pas les plus répandus au monde. C’est une prise de conscience qui permet d’avancer dans la vie ».

La trajectoire d’Old Dolio, qui la mène à cette prise de conscience et au constat qu’elle peut faire des choix personnels, est au cœur du film. Il faut dire qu’elle a vécu une enfance très particulière. « Pour poursuivre ma réflexion sur les sectes, je me disais que les enfants se retrouvent dans une position intenable » , note la cinéaste. « D’une certaine façon, ils sont les membres les plus soumis de la secte puisqu’ils grandissent en son sein et qu’ils n’ont jamais rien connu d’autre. Mais il leur appartient aussi de quitter le nid, ce que les membres d’une secte ne sont pas censés faire. Cette trahison inévitable fait partie intégrante de la structure familiale ».

Un changement majeur se produit lorsque les Dyne font la connaissance d’une certaine Mélanie, jeune femme au charme désarmant. Après avoir sympathisé avec Robert et Theresa pendant un vol New York-Los Angeles, Mélanie est ravie d’apprendre que ses nouveaux amis préparent un coup. Ayant elle-même le goût de l’aventure, elle est plus que partante pour s’associer à cette bande d’excentriques.

Mélanie incarne le regard du spectateur. En faisant de ce personnage une latino, Miranda July a souhaité réunir le Los Angeles contemporain et une certaine tradition cinématographique. « À mes yeux, Mélanie est le double du spectateur » , souligne la réalisatrice. « Il fallait qu’elle soit une version moderne de la ‘petite fiancée de l’Amérique’, attachante et proche du public. C’est le genre de personnage qui, au cinéma, nous donne envie de lui dire ‘ne va surtout pas dans la cave !’ Mais le plus surprenant chez Mélanie, c’est qu’elle est en réalité une sorte de chevalier valeureux et qu’elle est d’une force insoupçonnée ».

La vitalité de Mélanie, sa grande curiosité et son enthousiasme inépuisable – pour les gadgets, la pop-culture, la mode etc. – offre un point de vue alternatif auquel le public peut s’identifier. « Quand Mélanie débarque dans le film, on commence à trouver nos repères car elle nous permet de nous rendre compte à quel point les Dyne sont étranges » , témoigne Miranda July. « Elle tranche vraiment avec eux. Pour autant, je dirais que le film devient de plus en plus bizarre en raison de la force émotionnelle qu’elle y insuffle. Les émotions sont bizarres et ne font que rendre la situation plus complexe ».

L’irruption de Mélanie dans le clan des Dyne bouleverse les habitudes ancestrales et le rythme de la famille. Alors qu’elle devrait théoriquement être le genre de personne que détestent Robert et Theresa, le couple l’adore. Ces changements soudains provoquent des sentiments inédits et déstabilisants chez Old Dolio. De son côté, Mélanie se sent non seulement en empathie avec cette jeune femme si peu conventionnelle, mais elle éprouve peut-être même une certaine attirance pour elle.

Comédie, drame américaine de Miranda July. 5 nominations au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 (edition 46). 3,7 étoiles sur AlloCiné.

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