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Sous les étoiles de Paris


Depuis de nombreuses années, Christine vit sous un pont, isolée de toute famille et amis. Par une nuit comme il n’en existe que dans les contes, un jeune garçon de 8 ans fait irruption devant son abri. Suli ne parle pas français, il est perdu, séparé de sa mère… Ensemble, ils partent à sa recherche. À travers les rues de Paris, Christine et Suli vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser. Et Christine à retrouver une humanité qu’elle croyait disparue.

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Entretien avec le réalisateur; Claus Drexel

D’où est née l’envie de réaliser un conte autour de deux personnages vivant dans la rue ?
Après AU BORD DU MONDE, un documentaire sur les sans-abri, je réfléchissais à un sujet de fiction qui témoigne du phénomène. J’éprouve un profond attachement pour ces gens qu’on filme trop souvent avec une image peu soignée. Je souhaitais cultiver leur beauté, leur sensibilité et leur poésie. Catherine Frot, qui avait été très touchée par AU BORD DU MONDE, m’a contacté à ce moment-là. Assez vite, elle et moi avons discuté de la possibilité d’un projet de film qui leur rendrait cette dimension. 

Christine, la femme qu’elle incarne, évoque la Christine de votre documentaire ; une personnalité déjà très atypique.
Catherine avait été très marquée, tout comme je l’avais été, par son témoignage. Avec mon ami et coscénariste Olivier Brunhes, nous sommes partis de cette figure en nous lançant dans l’écriture. 

Catherine Frot a-t-elle pris part au scénario ? 
Elle s’est montrée très respectueuse de notre travail et a tenu à ce qu’Olivier et moi puissions écrire sans qu’elle ne regarde systématiquement par-dessus notre épaule. 

Jusqu’à sa rencontre avec Suli, le petit migrant séparé des siens, cette femme semble comme coupée du monde. 
C’est une personne brisée, presque morte intérieurement, qui a choisi de mettre une barrière entre elle et la communauté des vivants. Elle ne parle plus, elle en a perdu l’habitude. 

Vous faites état de ces différences d’attitude, mais vous ne les jugez pas…
La vie est trop complexe pour qu’on puisse affirmer qu’une personne a raison et l’autre tort. Chacun a son vécu qui le pousse à agir d’une manière ou d’une autre. C’est de ce constat qu’est né le personnage du travailleur des quais qui est généreux envers Christine, mais raciste envers Suli. Et, parallèlement, le personnage de la femme de ménage dans l’aéroport a déjà fait un pas de plus vers l’autre : on peut croire, au départ, qu’elle va dénoncer Christine et l’enfant, mais elle va, au contraire, aller chercher de l’aide. C’est magnifique, de savoir que des gens font ces gestes généreux au quotidien. J’en ai croisé beaucoup.

D’où est né cet intérêt que vous avez pour les plus démunis ? 
On ne sait jamais vraiment réellement pourquoi on choisit un sujet. Mais deux choses me révoltent viscéralement. D’une part, le fait que les richesses qui nous été offertes par la terre sont de plus en plus accaparées par une petite bande de voyous qui est, en plus, très fière d’elle. Et d’autre part, je suis ulcéré par les idées reçues, le fait de dire que les pauvres, les chômeurs, les SDF, les personnes prostituées, etc. sont comme ceci ou comme cela. Ma fille a dit un jour à quelqu’un : « Mon papa fait des films pour essayer de comprendre des gens qu’on ne comprend pas ». Cette phrase m’a éclairé sur ma démarche qui était, jusqu’alors, inconsciente. J’avais envie de connaître ces gens que je croisais dans la rue ou dans le métro et qu’on ne faisait jamais parler sauf à travers la voix des associations qui s’en occupent. J’ai voulu passer du temps auprès d’eux et j’ai pris, durant plus d’un an, sur mon temps personnel pour le faire. Je les ai filmés : les sans abri ont marqué mon entrée dans le documentaire et ont donné une nouvelle orientation à mon travail fictionnel. 

Paris est sublimée dans le film : le contraste avec la situation de ces personnes en est encore plus saisissant. 
Je n’ai pas transformé la ville, sa splendeur est bien réelle. J’aurais pu tourner ailleurs, mais Paris, précisément à cause de sa beauté et de ce choc du faste avec la pauvreté, renvoie, je trouve, à une métaphore du monde. 

Christine et Suli, qui l’arpentent de long en large et du Nord au Sud, embarquent littéralement le spectateur dans leur périple.
Dès l’écriture, Olivier Brunhes et moi imaginions une odyssée. Traverser Paris, pour une femme à la rue, représente une véritable expédition. C’était aussi l’occasion de cartographier la ville : les beaux quartiers, d’abord, puis des lieux de plus en plus populaires et, enfin, les tentes du Canal Saint Martin et les camps de migrants de la Porte de la Chapelle… Plus on avance, plus la misère devient choquante.

Comment avez-vous trouvé Mahamadou, le petit garçon qui interprète Suli ?
J’ai vu une centaine d’enfants que Marlène Serour a repéré dans la rue, dans des clubs de sport et des écoles de théâtre. Celui que j’allais retenir devait être touchant, très vif et, surtout, il devait parler couramment une langue africaine. Mahamadou, dont la famille est d’origine malienne, pratique régulièrement le bambara. Il s’est vite imposé. Il a tout de suite su interpréter le fait que Suli ne comprenait pas le français. « Il ne comprend pas les mots, m’a-t-il dit, il comprend l’émotion ». J’ai été impressionné par l’intelligence de ce petit garçon de neuf ans. Je lui ai fait faire des essais avec Catherine, une connexion s’est immédiatement établie entre eux.

Comment l’avez-vous fait travailler ?
Il fallait à la fois préserver sa fraîcheur et lui apprendre quelques bases. Maryam Muradian l’a coaché en le faisant travailler sur ses émotions, sur le froid, sur la peur. Il a acquis une sorte de savoir-faire, mais sans s’habituer aux scènes qu’il devait tourner. Car il y a toujours le risque d’un jeu un peu mécanique, si les scènes sont trop apprises par coeur. 

Comédie dramatique française de Claus Drexel. 3,1 étoiles sur AlloCiné.

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