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Felicità


Pour Tim et Chloé, le bonheur c’est au jour le jour et sans attache. Mais demain l’été s’achève. Leur fille, Tommy, rentre au collège et cette année, c’est promis, elle ne manquera pas ce grand rendez-vous. C’était avant que Chloé disparaisse, que Tim vole une voiture, et qu’un cosmonaute débarque dans l’histoire.

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Entretien avec Bruno Merle le réalisateur

Où êtes-vous allé chercher une histoire pareille ?
Je voulais raconter une histoire très simple, épurée, mais qui fonctionnerait comme un jeu de piste ludique, une «balade », au double sens du terme, où le spectateur serait aussi « baladé » que les personnages entre eux. C’est vrai qu’il y a aussi un peu de mon rapport à mes enfants dans les vannes, dans la parentalité décomplexée. Le film est devenu de plus en plus personnel au fur et à mesure de sa conception : ma fille joue, notre maison de campagne a servi de décor, mon beau-père a prêté son bateau…

Vous inscrivez votre histoire dans une unité de temps très précise : 24 heures…Comme un compte à rebours, oui. C’est le dernier jour de l’été, le dernier jour de liberté. Il faut qu’à 8h le lendemain matin, Tommy entre au collège, un moment charnière, un moment où une enfant a envie d’être comme tout le monde, hyper normée, où elle a tendance à éteindre son unicité, son identité pour se fondre dans le moule. Et Tommy est très investie dans ce désir de normalité, en opposition à ses parents. Choisir ce créneau des dernières 24 heures collait au cadre que je désirais : que ça aille vite, tout droit, ne pas dilater. Foncer vers quelque chose ou quelque part sans trop savoir quoi ni où.

Il est vrai que vous ne donnez pas beaucoup d’informations, comme par exemple le passif du père sur lequel vous restez flou, ou encore celui de la mère sur laquelle on ne sait quasiment rien…
J’écris comme cela. J’ai du mal avec les scènes d’exposition. J’aime que les choses se dévoilent petit à petit. Ou pas. Si dès le début, on sait qu’ils sont en cavale, cela change tout le regard sur l’histoire. J’imagine qu’il n’est pas revenu en détention après une autorisation de sortie, mais je ne le précise pas.

La toise tatouée sur le bras du père est une jolie preuve d’amour, cela dit…
C’est une idée fondatrice du film, ça. Je regrette de ne pas avoir fait pareil, d’ailleurs ! Dès la naissance de mes enfants : un bras pour chaque. La taille est le premier marqueur de normalité : on est dans les petits ou dans les grands. Et cela travaille beaucoup Tommy – on le voit dans la séquence où elle parle face à la glace, juchée sur des patins à glace.

Pour illustrer le refus de la normalité, le père montre à sa fille Freaks de Tod Browning. Un choix pas innocent…
Ce film fonctionne très bien sur les enfants. Ils adorent. J’aime l’idée que ce mec, qui n’est pas un intello, ait cette culture cinéphile. J’avais pensé, dans une autre version, à Invasion Los Angeles de John Carpenter – où les personnages s’aperçoivent en mettant des lunettes que la normalité n’est pas celle qu’ils croient. Freaks, c’était beaucoup plus premier degré.

Le thème récurrent de Felicità, c’est le choix. Comme quand, par exemple, le père dit à Tommy : «T’as toujours le choix. À chaque instant de ta vie. Mais te plante pas, parce qu’après, ça change tout.»…
Quel enfoiré de lui dire ça ! Être obligé de faire face à de tels choix à 12 ans, c’est fou ! Mais je ne voulais pas spécialement porter le film là-dessus. Simplement, quand on fait un film de fausses pistes, on est amené à créer une route qui part à droite et une autre qui part à gauche, et confronter le personnage au choix de l’une des deux. Et la vraie question, c’est celle que pose le cosmonaute : «Comme il faut, pas comme il faut, c’est le seul putain de choix ! »

Ce cosmonaute, c’est l’ami imaginaire ?
Dans le premier scénario, la réplique que vous avez citée était écrite ainsi : «Dans la vie, t’as toujours le choix. Mais attention ça change tout : d’un côté tu deviens un clochard, de l’autre tu deviens cosmonaute. » C’était sa vanne récurrente qui justifiait ce cosmonaute. Je l’ai tournée, cette phrase. Et au montage, j’ai décidé de la couper. Pour ne pas tout justifier, justement. Cela parle de l’imagination, et faut-il expliquer l’imagination? Non. On peut s’autoriser la fantasmagorie d’une petite fille sans devoir nécessairement dire d’où elle vient. À chacun, dans la salle, de le vivre et l’interpréter comme il en a envie.

Et le fait que Tommy se coupe du monde avec son casque anti-bruit, est-ce parce qu’elle veut se créer une bulle ?
Vous avez vu les parents qu’elle a ?! Le bruit et la fureur qu’ils dégagent ? Elle a besoin de s’isoler, de s’affranchir d’eux. Elle n’a pas de copine, pas de maison. Son seul endroit à elle, c’est ce silence d’où surgit son ami imaginaire. Et puis c’est étrange quand le silence se fait dans une salle de cinéma. Je trouvais que cela participait de l’esprit ludique et poétique de Felicità.

Comment votre fille réagit-elle quand vous lui proposez le rôle ?
Elle était emballée. De toute façon je n’aurais pas pu le proposer à une autre. Je ne me voyais pas lui annoncer : «J’ai écris un personnage, c’est toi, mais c’est une autre qui va le jouer. » Je savais que cela se passerait bien. J’avais une entière confiance en elle. Elle a cette distance, cette force, cette fausse maturité, et cet humour. Je savais aussi que le tournage serait dur, et je ne voulais pas avoir à faire un peu plus attention à une petite comédienne pour rassurer ses parents. Avec ma fille, je savais que je pouvais la pousser un peu plus loin sans culpabiliser. C’était étrange d’ailleurs, car sur le plateau je n’avais pas l’impression que c’était mon enfant. C’était un vrai rapport de travail et de confiance, comme avec les autres. Au montage, c’était différent. Je ne voyais que ma fille sur l’écran.

Comment avez-vous choisi ses parents de cinéma ?
J’avais envie d’un film populaire, simple, solaire. En cela, Pio est extraordinaire. Malgré tous les travers de son personnage, on est immédiatement en empathie avec lui. Dès le début, c’est lui que je voulais. J’aime son côté simple, accessible, spontané, auquel on a envie de s’identifier. Pour jouer sa femme, je ne voulais pas une actrice connue, car dès lors qu’il y a un «couple star », le spectateur focalise dessus. Cela enlève de la crédibilité. Et je remercie mes producteurs de m’avoir suivi sur le choix de Camille Rutherford. Elle est drôle, étrange, belle, maternelle tout en ayant l’air très jeune pour une maman. Je trouve que ce qu’ils font dans le film est extraordinaire.

Comment en êtes-vous arrivé au titre Felicità ?
Un titre, soit vous le trouvez au bout de trois jours d’écriture et vous n’en démordez jamais ; soit vous ne l’avez pas, vous reportez à plus tard, et arrive le moment où il faut se décider. Ce qui comptait le plus pour moi, c’était que le titre indique 1H20 de plaisir. La séquence où on entend Felicità sert de soupape, après vingt premières minutes assez intenses. Et c’était bien de placer le film de ce côté solaire, joyeux, musical.

Comédie française de Bruno Merle. 3,2 étoiles aur AlloCiné.

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