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Alice et le maire


Le maire de Lyon, Paul Théraneau, va mal. Il n’a plus une seule idée. Après trente ans de vie politique, il se sent complètement vide. Pour remédier à ce problème, on décide de lui adjoindre une jeune et brillante philosophe, Alice Heimann. Un dialogue se noue, qui rapproche Alice et le maire et ébranle leurs certitudes.

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Entretien avec le réalisateur : Nicolas Pariser

Quel était le point de départ du film ?

A l’origine du film, il y avait l’envie de travailler avec Fabrice Luchini qui est un acteur que j’admire depuis très longtemps. Ensuite, j’ai tendance à accumuler des bouts de projets qui ne me semblent pas suffisants pour faire un film. Je dois en mélanger deux ou même trois pour arriver à imaginer un vrai film. Il y a quelques années, j’avais vu au cinéma le documentaire Le Président de Yves Jeuland qui m’avait donné l’envie de faire un film de fiction sur un président de région haut en couleur qui emmènerait un jeune assistant intello partout avec lui. J’avais ensuite un autre projet qui racontait l’histoire d’une jeune femme qui ne savait pas quoi faire dans la vie et qui essayait tout un tas de métiers. Elle avait fait Sciences-Po, voulait s’engager en politique, faisait du théâtre, s’essayait au jeûne : elle se cherchait faute d’avoir une vocation. J’ai mélangé ces deux projets mais j’avais l’impression qu’il manquait encore quelque chose. C’est là que j’ai pensé à « L’homme sans qualités » de Robert Musil. L’un des premiers films amateurs que j’ai réalisé quand j’étais étudiant en était une adaptation lointaine. C’est vraiment un livre fondateur pour moi, le livre de mes 25 ans. Musil m’a servi de liant entre ces deux projets. L’idée de « Lyon 2500 », par exemple, dans « Alice et le maire » est un décalque de l’Action Parallèle, manifestation politique qui se révèle être une usine à gaz dans le roman. 

Avez-vous dirigé vos acteurs principaux d’une manière particulière ?

De mon point de vue la direction d’acteur n’existe pas. A partir du moment où je choisis Fabrice Luchini, où il y a un texte extrêmement contraignant et qu’il le dit comme le grand acteur qu’il est alors je n’ai pas de direction d’acteur à faire. Pour moi, la direction c’est de lui imposer ce texte-là. Anaïs Demoustier est une actrice extraordinairement douée, je n’ai pas non plus à la diriger. Sa grande force est de parvenir à rendre naturel et habité n’importe quel texte. Mon travail consiste simplement à mettre en place les contraintes et que mes acteurs puissent « vivre » à l’intérieur de celles-ci.

Pourquoi avoir choisi de tourner en 35mm ?

D’abord parce que je n’aime pas le numérique, je trouve ça le plus souvent très laid. Il y a évidemment des films tournés avec une caméra numérique qui sont superbes mais ce sont des films qui, pour des raisons diverses, ne sont pensables qu’en numérique. Je dirais en vrac « Neon Demon » de Nicolas Winding Refn, « Miami Vice » de Michael Mann, les films d’Abdellatif Kechiche ou encore la dernière saison de « Twin Peaks » de David Lynch. Malheureusement, aujourd’hui en France le numérique est le plus souvent une simple économie dans le devis du film, on ne réfléchit pas assez à ce que cela implique. En fait, ce qui me dérange c’est de filmer en numérique et de faire comme si c’était du 35 parce que c’est forcément moins bien pour les peaux, les couleurs, la texture de l’image... Et puis on est encore à une époque où la mémoire des films qu’on a aimés est une mémoire de films tournés sur pellicule. Je pense qu’on ne peut pas passer comme ça de l’argentique au numérique sans réfléchir à ce que l’on fait et sans penser la perte immense qu’il y a de l’un à l’autre.

Le personnage de Luchini est ambigu : il sait qu’il a arrêté de penser contrairement à son milieu mais il ne rompt pas avec celui-ci. 

Je n’arrive pas à détester tout à fait les hommes politiques. Je trouve cela stérile de les détester. On peut détester et combattre un système de domination mais mettre ça exclusivement sur les épaules des hommes politiques, ça me parait absurde. Donc je ne voulais surtout pas présenter un homme politique qui serait condamnable simplement parce qu’il fait ce métier. Pour autant je ne voulais pas non plus être complaisant et qu’on se dise « il fait de son mieux ! », il ne fallait pas sous-estimer le fiasco auquel il participe. C’était un équilibre difficile à trouver. 

A chaque fois qu’Alice parle au maire c’est toujours entre deux réunions, sur un trajet, dans un couloir...Ils sont toujours en mouvement. 

Ça me paraissait intéressant d’un point de vue narratif et plastique qu’Alice n’ait aucune place dans l’emploi du temps du maire. Elle se glisse dans les trous, donc je pouvais varier les endroits où ils dialoguent. Je voulais aussi filmer toutes les paroles politiques possibles : la parole technique, lyrique, les négociations, l’écriture d’un discours qui n’est pas la même chose que son élocution. Au début du film le maire prononce un discours, à la fin il en écrit un. Le film est aussi une variation sur toutes les formes de la parole politique.

Cela dit quoi de notre démocratie ? 

Dans les grands films politiques américains, il y a toujours l’utopie d’une démocratie où l’on peut penser, débattre et agir. Aujourd’hui, cette articulation penser-discuter-agir ne semble plus fonctionner du tout. La crise de cette articulation-là est mortelle pour la démocratie et le film parle de ça. Le maire est quelqu’un qui agit sans penser et à partir du moment où il repense un peu cela met en danger sa capacité à agir.

Mon film parle de la crise de la démocratie. Selon moi on arrive à la fin d’un cycle, je veux montrer le moment périlleux dans lequel on se trouve aujourd’hui. Les hommes politiques font comme s’ils avaient toujours des marges de manœuvre qu’ils n’ont plus et les citoyens font comme s’il suffisait de prendre quelques mesures pour revenir à un état antérieur de l’Histoire – état antérieur d’ailleurs dont ils n’étaient pas du tout satisfaits. Or, selon moi, on vit quelque chose d’inédit – lié notamment à la question écologique. C’est ce moment de crise aiguë qu’incarne le maire. 

La mise en scène est très classique. Il y a toutefois ce long plan séquence où Alice et le maire écrivent ensemble un discours et ne sont jamais interrompus, contrairement au reste du film. Ils ont enfin un moment à eux.

Les personnages et la mise en scène se posent. Il n’y a pas beaucoup le temps de penser dans une mairie, Alice et le maire sont tout le temps interrompus, leurs échanges sont presque toujours des moments volés. Au début du récit je les filme principalement en champ contrechamp parce que chacun est dans son coin, il y a une forme de confrontation. Et au fur et à mesure que le film avance, ils sont de plus en plus souvent dans le même plan et à la fin ils ont un plan-séquence pour eux. Ils écrivent un texte ensemble, ce qui se rapprochent un peu d’une communion d’âmes selon moi. Pour la première fois, le temps du plan coïncide exactement avec le temps de leur pensée.

Comédie dramatique française de Nicolas Pariser. Un prix "Quinzaine des Réalisateurs 2019" à Cannes et 3 nominations. 3,8 étoiles sur AlloCiné.

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