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Au nom de la terre


Pierre a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver Claire sa fiancée et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, l'exploitation s’est agrandie, la famille aussi. C’est le temps des jours heureux, du moins au début… Les dettes s’accumulent et Pierre s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il sombre peu à peu… Construit comme une saga familiale, et d’après la propre histoire du réalisateur, le film porte un regard humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années.

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Entretien avec Edouard Bergeon ; le réalisateur

« Au nom de la terre » est né de votre propre histoire : Guillaume Canet interprète le personnage principal, Pierre, directement inspiré de votre père agriculteur.

 Le film est tiré de mon vécu. Je suis descendant d’une longue lignée de paysans, fils et petitfils de paysans, tant du côté de ma mère que de mon père. Christian Bergeon, mon père, s’est installé comme agriculteur en 1979 avec l’envie et la passion du métier. Avec ma mère, ils ont beaucoup travaillé pour que ma soeur et moi nous vivions une jeunesse heureuse à la ferme. « Au nom de la terre » est une saga familiale qui porte un point de vue humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années.

Vous êtes l’auteur de nombreux reportages et documentaires pour la télévision. Qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser ce premier long métrage de fiction ?

L’idée ne m’aurait pas effleuré si je n’avais pas fait la connaissance de Christophe Rossignon, le producteur du film. En 2012, il a vu « Les Fils de la terre », un quatre-vingt-dix minutes dans lequel je suivais Sébastien, un agriculteur dont la trajectoire me rappelait celle de mon père. Christophe, luimême fils et frère d’agriculteur, a été bouleversé par le film et a souhaité me rencontrer. Son grand frère, qui a pris la suite de son père dans l’exploitation familiale, a dû se confronter lui-même à une réalité agricole qui aurait pu le faire basculer… Le projet d’une fiction, inspirée de l’histoire de ma famille, a germé dès notre première conversation. Christophe et moi avons de nombreux points communs, nous sommes deux des fils de la terre, le courant est de suite passé.

La réaction de Jacques, le père de Pierre, interprété par Rufus, lorsqu’il visite le nouveau bâtiment, est loin d’être encourageante. On retrouve d’ailleurs la même attitude chez le père de Sébastien, l’agriculteur en difficulté des « Fils de la terre »…

 Cela fait partie de la transmission. La plupart des patriarches que j’ai rencontrés leur ressemblent. Il y a, malgré tout, beaucoup d’amour entre Pierre et lui. Il est touchant, le père Jacques, il est même parfois drôle. Mais, comme tous les vieux de sa génération, il est totalement dénué de psychologie et ne peut pas s’empêcher d’envoyer des scuds à son fils. Le problème de ces deux-là, c’est qu’ils ne savent pas se parler, encore moins se dire « Je t’aime ».

La descente aux enfers de Pierre est terrible. Son exploitation est ravagée par un incendie, on l’assomme d’antidépresseurs…

 Le généraliste le place tout de suite sous camisole chimique. Il y a vingt ans, on ne s’embarrassait pas de thérapies parallèles. Comme Pierre, mon père a été hype. 

Dans ce contexte, les femmes sont assez exceptionnelles. Elles travaillent à l’extérieur pour faire bouillir la marmite, s’occupent des enfants, gèrent la comptabilité et sont aussi là pour soutenir leur conjoint. Pourtant, elles sont toujours la cible des critiques des anciens. Quand ca va mal, c’est de leur faute.

 « La fumelle ! », comme mon grand-père les appelait… Pour lui une femme ne peut pas gérer une exploitation agricole. Il n’a jamais accepté ma mère. Les femmes de la terre ont un rôle très important. Elles font le tampon entre des générations qui ne se comprennent pas, qui n’ont pas la même vision du métier, entre mari et fils. Ce sont des battantes. Quand Pierre dévisse dans le film, il faut beaucoup de force pour aller chez un psychiatre avec ses enfants et prendre la décision de faire interner son mari. Veerle Baetens, qui interprète Claire, la femme de Pierre, en rend merveilleusement compte.

 C’est un film engagé ?

« Au nom de la terre » a clairement un message politique, mais dans le sous-texte. C’était très important de ne pas surligner mais d’être précis dans la reconstitution des décors, du matériel, des pratiques de l’époque. Par exemple, on voit que le grand-père pique ses moutons aux antibiotiques. Ce sont de petites touches mais elles sont parlantes. Si le film pouvait éveiller la conscience de nos concitoyens, ce serait formidable.

Comment les autres acteurs sont-ils arrivés ?

Très simplement, avec l’aide de Gigi Akoka, la directrice de casting. Dès notre première réunion, et alors que nous avions tous des listes de comédiennes en tête pour interpréter le personnage de la mère, elle nous a proposé le nom de Veerle, l’actrice d’« Alabama Monroe ». L’idée était tellement bonne que nos listes n’ont pas franchi nos lèvres. Pareil pour Anthony Bajon. Moins de vingt-quatre heures après notre rencontre, Rufus, auquel je tenais beaucoup parce qu’il est un acteur populaire et qu’il a ce coté sec et rugueux qui m’évoque mon grand-père, m’appelait : «J’ai lu le scénario, je veux défendre le père Jacques, cet aristocrate de la terre ! ». Anthony Bajon, qui venait de recevoir l’Ours d’argent pour « La Prière », de Cédric Khan, et était très sollicité, a également répondu oui tout de suite. J’ai eu beaucoup de chance. Je trouve la filiation entre les trois hommes évidente.

Vous n’aviez jamais travaillé avec des comédiens. Comment les avez-vous préparés en amont ?

Nous avons fait une lecture tous ensemble et j’ai surtout passé du temps avec chacun d’eux pour les nourrir, leur donner un maximum d’éléments sur leur rôle, leur parler de ma famille aussi puisque, dans ce film, tout est un peu mélangé.

Et durant le tournage ?

Chacun était différent. Avec Guillaume et Veerle, il m’est arrivé de revoir parfois certains dialogues le matin avant de tourner. Autant Rufus se montrait très attentif, autant il a parfois fallu le freiner tant il est impétueux – à soixante-dix-sept ans, il court comme un cabri. Je me suis mis à l’écoute de chacun. Eux m’ont constamment rassuré.

Qu’éprouve-ton à se retrouver pour la première fois sur un plateau avec cinquante personnes autour de soi ?

 Le plateau, c’était une découverte et j’ai adoré ! C’était comme emmener une équipe, dont j’aurais été le général, à la guerre. Un général en formation : je partais dans l’inconnu. Mais Christophe Rossignon était présent au cas où les choses seraient compliquées. Il a passé beaucoup de temps sur le tournage d’« Au nom de la terre » ; plus que sur beaucoup d’autres. Mais tout s’est extrêmement bien passé et Christophe a surtout pu se faire plaisir ! On a tourné « Au nom de la terre » en deux étapes, quatre semaines l’été et quatre autres l’hiver. En démarrant le second tournage, j’étais mieux préparé : toutes mes scènes étaient découpées, j’avais déjà monté la première partie du film, je savais ce qui marchait et ce qui ne marchait pas, le temps qu’il fallait pour préparer un plan, à quelle vitesse le plateau pouvait réagir et, surtout, j’ai retrouvé l’instinct qui me guide lorsque je tourne mes documentaires que je cadre toujours moi-même. J’ai davantage et beaucoup mieux assumé ma mise enscène.

Les paysages sont absolument grandioses.

Je voulais que le film ait le souffle d’un western moderne ; que l’on ressente la noblesse de la terre et du métier d’agriculteur et que l’on ait du plaisir à y voir circuler les personnages à vélo, à moto, à cheval ou en tracteur. Ils ont été difficiles à trouver tant ils étaient conditionnés par le choix de la ferme que l’on a fini par trouver aux confins de la Mayenne, dans la région qu’on appelle les Alpes mancelles. Cette ferme, elle est magnifique. Avec les paysages, elle justifie, s’il le fallait, le choix du format scope.

Drame français de Edouard Bergeon avec Guillaume Canet. 3,6 étoiles sur AlloCiné. 

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