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La Belle Epoque


Victor, un sexagénaire désabusé, voit sa vie bouleversée le jour où Antoine un brillant entrepreneur lui propose une attraction d’un genre nouveau : mélangeant artifices théâtraux et reconstitution historique, cette entreprise propose à ses clients de replonger dans l’époque de leur choix. Victor choisit alors de revivre la semaine la plus marquante de sa vie : celle où, 40 ans plus tôt, il rencontra le grand amour…

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Entretien avec Nicolas Bedos, réalisateur

Comment est née l’idée de La Belle Époque?
D’une image, ou plutôt d’une situation qui m’a paru à la fois pathétique et comique: je voyais un type vieillissant, chez lui, en train de se disputer avec sa femme, elle lui reprochait sa misanthropie, son côté dépassé par l’époque, la technologie, Macron, ses enfants, bref, le type sort de la cuisine, traverse un couloir et rentre dans une petite pièce où tout le ramène dans les années 70, de la déco aux disques en passant par les vieilles cassettes VHS. Une sorte de bulle de protection régressive qu’il se serait luimême fabriqué. Je le voyais allumer une gauloise, mater une speakerine dans un vieux téléviseur en bois et pousser un soupir de soulagement. Voilà: un homme qui se noie dans le présent et qui fuit dans une époque dont les codes le rassureraient, le protégeraient. Je voulais filmer ce vertige que je ressens parfois autour de moi, cette défaite psychologique, et cette solution à la fois grotesque et assez bouleversante. Je me suis dit que cette image contenait quelques promesses de cinéma, de satire. D’autant que cet homme m’est venu comme l’écho de quelques proches, de mon père un peu et, par certains aspects, de moi-même. J’avais donc de quoi jouer. Car le reste fut un vrai jeu scénaristique. Et psychanalytique !

Il y a donc une large part autobiographique dans ce scénario?
Oui et non, comme pour mon film précédent : les histoires que je raconte sont inventées de toutes pièces. C’est mon travail et mon plaisir. J’ai beaucoup donné dans l’autofiction par le passé, à travers des chroniques et quelques livres, jusqu’à provoquer une certaine confusion dont je me suis un peu lassé. Le film est une fiction. En revanche, j’ai besoin que les personnages, leur caractère, leurs émotions, tout me parle très intimement. Depuis quelques mois, je notais des idées d’intrigues mais j’attendais fébrilement celle qui me permettrait d’aborder un maximum de sujets personnels. Pour une raison toute simple: ça donne du sens et de la matière à ces longs mois de travail que représente un film ! 

Quel doit être, selon vous, l’équilibre entre fiction et réalité?
J’aurais grande peine à le définir. Si une scène n’aborde rien qui me concerne personnellement, j’aurai tendance à m’en détacher. Si elle n’est que la reproduction d’un épisode vécu, elle ne m’excite pas davantage. La mise en abîme est particulièrement flagrante concernant les personnages joués par Doria et Guillaume. J’ai écrit ces scènes comme une lettre d’excuse après mes sautes d’humeur sur le plateau d’Adelman! Mais à côté de cet aspect très anecdotique, l’histoire de ce couple m’offrait surtout la possibilité d’aborder le thème du transfert narcissique chez certains metteurs en scène qui, de tout temps, ont pu confondre leur fiction et la réalité, au point de ne plus aimer l’actrice (ou l’acteur) qu’à travers leur caméra. Je pense en particulier à quelques grands noms de la Nouvelle Vague! Guillaume et Doria constituent aussi le miroir moins cérébral, plus charnel, plus névrotique, du couple formé par Daniel et Fanny.

Vous semblez développer une réflexion sur le temps qui passe, la valeur des souvenirs, déjà présente dans Monsieur & Madame Adelman…
Sans me prendre pour Marcel Proust, depuis tout petit je développe surtout une peur pathologique de l’érosion des sentiments, l’effacement des souvenirs, tout ça. Il y a une trouille du désamour qui se balade dans mes trois pièces et mes deux films. Je cherche – en vain – des solutions à travers la fiction qui permettraient de recouvrer l’intensité du souvenir. Des astuces susceptibles de réconcilier ces fragments de vie dont nous sommes tous constitués.

Pourquoi avoir choisi Daniel Auteuil pour camper Victor?
C’était une évidence. Il me fallait un acteur auquel le public s’identifierait très facilement, dès les premières minutes. D’autre part, le scénario oscillait sans cesse entre comédie et drame, parfois au sein d’une même scène, et rares sont les comédiens à maîtriser ce mélange des tons. Daniel a tourné avec Claude Sautet et André Téchiné, deux metteurs en scène que je place au sommet de mon panthéon du cinéma français. Je savais donc son respect des répliques, des silences, des rapports ambivalents entre les personnages. Je cherchais également un homme dont l’âge «mûr» ne rendrait pas pour autant pathétique ou grotesque ce retour à sa jeunesse, aux costumes cintrés des années 70! Un homme sans âge. Qui nous ferait croire à son histoire d’amour avec une très jeune femme, sans que cela ne paraisse jamais libidineux, prosaïque. Je dois dire que Daniel a largement dépassé tous les espoirs que je mettais dans ce personnage. Nous avons tous été chaque jour bouleversés par l’implication de ce grand comédien dans ce tournage. J’ai eu le sentiment de le voir reprendre un peu plus goût à son métier. Daniel aimait Victor, il en éprouvait chaque réplique. À tel point que nous avons partagé ensemble des moments très puissants, des rires mais aussi quelques larmes.

Il était évident que vous retravailleriez avec Doria Tillier après Monsieur & Madame Adelman?
Il ne fait aucun doute qu’elle m’a copieusement inspiré son propre personnage! Il eut été ingrat de le confier à une autre (Rires) ! Contrairement à Adelman qui présentait Sarah sous un jour littéraire et cérébral, j’ai cette fois-ci mis l’accent sur la sensualité de Doria. Margot est bien moins réfléchie, plus animale. Nos rapports ont été très apaisés sur le plateau. On apprend à se connaître! Doria s’abandonne complètement car elle sait que nous partageons le même goût, qu’elle ne regrettera pas le résultat.

Parlons du dernier membre du quatuor principal de La Belle Époque, Fanny Ardant…C’était l’une des seules données préalables du scénario que je voulais écrire: qu’il comporte un rôle assez riche pour Fanny, que j’ai la grande chance de fréquenter depuis quelques années. Je suis fou de cette femme, dont la poésie, la folie, l’humour et la fragilité m’enthousiasment. Sur le tournage, Fanny n’entretenait pas toujours des rapports pacifiés avec son personnage: elle redoutait la gratuité de sa méchanceté et il m’a fallu sans cesse lui rappeler à quel point la dureté apparente de Marianne prend sa source dans la peur de sombrer, de mourir. Marianne reproche à Victor son refus de l’avenir et de la faire crever à petit feu. La perfidie dont elle fait preuve au début du film est une révolte, un cri de survie. L’avantage du regard inquiet que Fanny posait sur Marianne au début, c’est qu’elle a redoublé d’émotion et de talent pour l’aimer à la fin !

Comment avez-vous composé la musique?
J’avais demandé à ce qu’on installe un piano dans le café du film, comme un élément de décor, et je jouais souvent dessus pendant l’installation technique ou les pauses. C’est là que sont nés plusieurs thèmes qu’on retrouve dans le film. D’autres thèmes ont été composés par Anne-Sophie Versnaeyen, une violoniste à qui je devais déjà l’orchestration de la BO d’Adelman. Notre difficulté consiste à se maintenir en permanence entre émotion et ironie pour respecter le ton du film. Même chose pour les chansons qui passent dans le bar. Quel niveau de lyrisme peut-on s’autoriser? C’est pour cela que Billie Holiday, par exemple, m’a semblé idéale. Son The man I love charrie une émotion subtile, jamais racoleuse.

Romance, comédie dramatique française de Nicolas Bedos. 2 nominations : au Festival de Cannes et au Festival du film de Cabourg. 3,5 étoiles sur AlloCiné.

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