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Sorry we missed you


Ricky, Abby et leurs deux enfants vivent à Newcastle. Leur famille est soudée et les parents travaillent dur. Alors qu’Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile, Ricky enchaîne les jobs mal payés ; ils réalisent que jamais ils ne pourront devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. C’est maintenant ou jamais ! Une réelle opportunité semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette afin de devenir chauffeur-livreur à son compte. Mais les dérives de ce nouveau monde moderne auront des répercussions majeures sur toute la famille…

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Entretien avec Ken Loach, réalisateur

Comment vous est venue l’idée de SORRY WE MISSED YOU ?  
Après MOI, DANIEL BLAKE, je me suis dit : « Bon, c’est peut-être mon dernier film. » D’un autre côté, quand on visitait les banques alimentaires, pour nos recherches, la plupart des gens qui venaient là travaillaient à temps partiel, avec des contrats zéro heure. C’est une nouvelle forme d’exploitation. Cette économie des petits boulots, comme on l’appelle, les travailleurs indépendants ou intérimaires, la main-d’œuvre précaire, n’ont cessé d’être au cœur de mes discussions quotidiennes avec Paul Laverty. Peu à peu s’est profilée l’idée que ça pourrait faire l’objet d’un autre film – pas vraiment un pendant à MOI, DANIEL BLAKE, plutôt un film connexe.

Avez-vous toujours envisagé cette histoire autour de deux axes ?
Non, je pense que ce qui a grandi dans l’esprit de Paul n’était pas seulement lié au degré d’exploitation des travailleurs, mais aussi à ses conséquences sur leur vie de famille et la manière dont tout ça se répercute dans leurs relations personnelles. La classe moyenne parle d’équilibre travail-vie privée quand la classe ouvrière est acculée à la nécessité.

S’agit-il d’un nouveau problème ou bien d’un ancien sous une autre forme ?
Il n’est nouveau que dans la mesure où on y emploie la technologie moderne. La technologie la plus en pointe se trouve dans la cabine du chauffeur, dictant les itinéraires, permettant au client de savoir exactement où se trouve le colis qu’il a commandé et son heure d’arrivée estimée. Il arrivera – s’il s’agit d’un « suivi », comme ils appellent ça – dans un créneau d’une heure. Le consommateur est chez lui à suivre le parcours de ce véhicule dans tout le quartier. C’est un équipement hautement sophistiqué, avec des signaux qui rebondissent sur un satellite, quelque part. Le résultat est qu’une personne se tue à la tâche dans une camionnette, allant d’un point à un autre, de rue en rue, se démenant pour répondre aux exigences de cet équipement. La technologie est nouvelle, mais l’exploitation est vieille comme le monde.

Comment vous êtes-vous documenté ?  
Paul a effectué la plupart des recherches, puis on a rencontré des gens. Les chauffeurs hésitaient souvent à se confier : ils ne voulaient pas courir le risque de perdre leur boulot. Les dépôts étaient difficiles à pénétrer. Un homme très serviable, d’un dépôt voisin de là où on a tourné, dont il était le responsable, nous a donné des indications très précises pour l’aménagement du dépôt en lui-même. Les chauffeurs du film le sont presque tous dans la vie ou l’ont été. Quand on tournait ces scènes, ils savaient ce qu’ils faisaient… Ils connaissaient le processus, son fonctionnement, ainsi que les pressions exercées pour que ce soit exécuté rapidement.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé lors de vos recherches ? 
Ce qui est étonnant, c’est le nombre d’heures que les gens doivent faire pour gagner décemment leur vie, ainsi que l’insécurité de leur travail. Ils travaillent à leur compte et, en théorie, c’est leur affaire, mais si quelque chose tourne mal, ils prennent tout sur eux. Assez facilement, il peut y avoir un problème avec la camionnette et ils ont des sanctions équivalentes à celles de Daniel Blake s’ils ne sont pas là pour livrer le service. Ils peuvent alors très rapidement perdre beaucoup d’argent. Quant aux aides à domicile, comme Abby, ils sont de sortie pendant douze heures, à faire des visites, et ne perçoivent que six ou sept heures de rémunération sur la base du salaire minimum.

Présentez-nous les personnages de SORRY WE MISSED YOU…
Abby est une bonne mère, dans un bon mariage – elle et Ricky sont amis, il y a de l’affection entre eux, ils se font mutuellement confiance et s’efforcent d’être de bons parents. Son souci, c’est d’essayer de s’occuper de ses enfants de la manière dont elle le souhaiterait : elle travaille tellement dur qu’elle n’est jamais là, donc la plupart du temps, elle doit donner des instructions aux enfants par téléphone. Évidemment, ça a tendance à mal se passer, car les gamins sont des gamins, et elle ne rentre que tard dans la nuit. Elle est tributaire des bus, qui ne sont pas très fréquents, et elle perd beaucoup de temps à attendre aux arrêts de bus.

Quelles questions soulève le film ?
Ce système est-il viable ? Est-il viable de faire nos courses par l’intermédiaire d’un homme dans une camionnette, qui se tue à la tâche quatorze heures par jour ? Est-ce finalement un meilleur système que d’aller nous-mêmes dans un magasin et de parler au commerçant ? Veut-on vraiment un monde dans lequel les gens travaillent avec une telle pression, des répercussions sur leurs amis et leur famille, ainsi qu’un rétrécissement de leur vie ? Ce n’est pas l’échec de l’économie de marché, c’est au contraire une évolution logique du marché, induite par une concurrence sauvage visant à réduire les coûts et à optimiser les bénéfices. Le marché ne se préoccupe pas de notre qualité de vie. Ce qui l’intéresse, c’est de gagner de l’argent, et les deux ne sont pas compatibles. Les travailleurs à faibles revenus, comme Ricky et Abby, ainsi que leur famille, en paient le prix.

Drame Britanique, Belge, Français de Ken Loach. 12 nominations au Festival de Cannes. 3,8 étoiles sur AlloCiné.

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