Rebelles

Sans boulot ni diplôme, Sandra, ex miss Nord-Pas-de-Calais, revient s'installer chez sa mère à Boulogne-sur-Mer après 15 ans sur la Côte d'Azur. Embauchée à la conserverie locale, elle repousse vigoureusement les avances de son chef et le tue accidentellement. Deux autres filles ont été témoins de la scène. Alors qu'elles s'apprêtent à appeler les secours, les trois ouvrières découvrent un sac plein de billets dans le casier du mort. Une fortune qu'elles décident de se partager. C'est là que leurs ennuis commencent... 

Entretien avec Allan Mauduit, le réalisateur

La première singularité de REBELLES est d'inscrire la comédie dans le milieu ouvrier qui est plutôt le terreau des films sociaux...
Dans le cinéma français c’est vrai que les films sociaux trustent le milieu ouvrier. Mais ce n’est pas vrai ailleurs. Regardez THE FULL MONTY, BILLY ELLIOT, SLUMDOG MILLIONAIRE, LE KID... Ken Loach a fait RIFF-RAFF et LA PART DES ANGES qui ne manquent pas d'humour. Même chose pour Stephen Frears avec THE SNAPPER et THE VAN.

Je trouve que le cinéma français manque de personnages de prolos avec lesquels on se marre. LA LOI DU MARCHÉ est un film formidable mais, dans la vie des ouvriers, tout n'est pas source de drame. J'ai aussi été nourri à la littérature anglo-saxonne, aux romans noirs américains, à des univers très populaires, et je dois avouer que la littérature et le cinéma français - par nature beaucoup plus bourgeois - me gonflent un peu parfois.

Pour REBELLES, je rêvais d'une zone portuaire, de personnages loin des centres-villes proprets et de leurs grands appartements lumineux. De personnages qui se bagarrent pour survivre.   

Pourquoi avoir féminisé des archétypes qui sont d'ordinaire l'apanage des hommes ?
Pour cette raison ! J’aime décaler le point de vue. J’appelle ça « faire un pas de côté ». Ça permet de voir les choses différemment. Les perspectives changent, c’est intéressant.

Dans la série KABOUL KITCHEN, j’avais pris un grand plaisir à regarder l'Afghanistan par le prisme de la comédie. Ici, décaler le film noir implique de bousculer les codes du genre : plonger trois ouvrières d'une conserverie de thon dans un univers de mafieux, c'est réinventer les points de vue...

Et puis j’aime les films mettant en scène des femmes qui défient les conventions. Je ne vais pas tous les citer mais BOUND, THELMA ET LOUISE, ERIN BROCKOVICH, un vieux western comme CONVOI DE FEMMES ou une comédie comme YOUNG ADULT avec Charlize Theron sont des œuvres qui m’enthousiasment et me donnent envie de faire du cinéma.   

L'un des paris de REBELLES est de ne pas rendre son héroïne immédiatement sympathique...
Oui j’y tenais beaucoup. Je voulais que l’attachement à Sandra soit progressif. Sandra n’est pas aimable. Elle ne veut pas se mêler, sympathiser. Sandra n'a pas réussi à capitaliser sur son titre de Miss Nord-Pas-de-Calais. Revenir dans sa ville natale après 15 ans passés sur la Côte d’Azur est une régression.

Ça m'intéressait de montrer ce personnage de femme superficielle à un moment de sa vie où le vernis craque et les artifices de sa beauté s'étiolent. Pour Sandra, les étoiles ne sont plus alignées ; elle a 35 ans et c'est l'heure des comptes (rires). Elle revient à Boulogne-sur-Mer habillée en cagole, avec son manteau de léopard synthétique, ses lunettes bling-bling, son maquillage outrancier et ses faux ongles. Elle a une attitude très méprisante, envers sa mère comme envers ses collègues de l'usine. Son unique objectif est de repartir. Je voulais observer sa mue, l'inflexion de sa trajectoire.

REBELLES raconte en creux l'histoire d'une acceptation : Sandra va renouer avec ses racines. 

Est-ce le côté caméléon de Cécile de France qui vous a conquis ? C'est ce qui m'a guidé vers elle... Et je ne me suis pas trompé : Cécile m'a scié !
Elle est capable de tout jouer. C'est jouissif de la voir passer en quelques mois de MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES à Sandra. Cécile a un côté glam', même lorsqu'elle incarne une Miss déchue comme Sandra. Son personnage n'a ni règle ni morale. Par effet de contraste, il permet aux deux autres personnages de jouer leur partition dans le registre de la comédie.

Je rêvais depuis longtemps d'un personnage comme celui de Marilyn : elle est comme ces Anglaises qui enfilent des fringues improbables pour aller se mettre minables au pub. Avec Audrey Lamy, on a rapidement évoqué cette dimension punk, au sens profond du terme : libre et sans limites.

Nadine, c'était le clown blanc, celle qui essaye tant bien que mal de tempérer les deux autres phénomènes. Yolande Moreau a l'intelligence du cœur et la sensibilité qui correspondent parfaitement au personnage de Nadine : c'est une mère de famille, plus ancrée dans la réalité. C'est la première qui, dans la scène du vestiaire où Sandra riposte à son agresseur, estime que ce fric ne va leur apporter que des emmerdes. Elle a raison, même si la beauté du personnage fait qu'elle va, elle aussi, se métamorphoser, s'émanciper tout en donnant un coup de fouet à son couple. 

Y a-t-il une part de provocation dans REBELLES ?
Oui mais sans méchanceté ni dureté. Je préfère l’irrévérence. La comédie est un fantastique véhicule pour aborder des sujets qui me tiennent à cœur.

VILAINE était un film contre les diktats de l’apparence et REBELLES débute avec le personnage de Sandra, victime des mêmes diktats, même si la suite raconte plutôt la prise en main par trois femmes de leur destin… façon trash.

J’aimerais que l’on voit REBELLES comme une « comédie Rock’n Roll ». J’en écoute tous les jours. Je suis un inconditionnel du Velvet Underground mais le film se rapprocherait plutôt du rock anglais de T.Rex avec, je l’espère, un côté éminemment sympathique, populaire, accessible.

Comédie française de Allan Mauduit. 1er prix du Festival International du Film de Comédie de l'Alpe d'Huez 2019. 4 étoiles AlloCiné.


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