Jusqu’à la garde

Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive...

Comme dans votre court-métrage, Avant que de tout perdre, vous abordez un drame social, la violence conjugale, en mettant le spectateur sous tension.
La peur est à l'origine de Jusqu'à La Garde. La peur que suscite un homme prêt à tout pour retrouver la femme qui veut se séparer de lui et fuir son extrême violence. Le personnage d'Antoine, interprété par Denis Ménochet, est une menace permanente pour ses proches. Il met son entourage sous tension, il n'entend que sa douleur, il est prêt à manipuler quiconque, y compris ses enfants. Les femmes qui ont subi des violences conjugales, comme celle jouée par Léa Drucker, sont tout le temps en alerte, elles savent que le danger peut surgir de n'importe où, n'importe quand, et n'épargner personne. En France, une femme meurt tous les deux jours et demi des suites de ces violences, et même si les médias en parlent, le sujet reste tabou. Les victimes ont peur de se confier, les voisins et les proches ne disent rien, ils ne veulent pas s'immiscer dans un couple, une histoire privée. Le secret reste lourd. Je ne voulais pas en parler à la manière d'un dossier d'actualité. Comme dans Avant que de tout perdre, je désirais sensibiliser le public à ce drame en le traitant avec les armes du cinéma qui me passionne depuis toujours, celui d'Hitchcock, d'Haneke ou de Chabrol, un cinéma qui fait participer le spectateur en jouant avec son intelligence et avec ses nerfs. 

Vous citez d'ailleurs La Nuit du Chasseur de Charles Laughton et Shining de Stanley Kubrick comme vos principales sources d'inspiration pour aborder ce sujet de société.
Trois films m'ont guidé dans l'écriture : Kramer contre Kramer, La Nuit du Chasseur et Shining. Je les ai oubliés ensuite, au moment du tournage, mais ils m'ont aidé à réfléchir aux thèmes que je voulais traiter, et à trouver les humeurs et les ambiances que mes personnages traversent. Kramer contre Kramer est un film sur le droit parental qui m'a beaucoup marqué. On y voit, pour la première fois, une femme abandonner l'exclusivité de la garde de ses enfants et il dépeint, avec une acuité terrible, la douleur de la séparation. La Nuit du Chasseur montre comment l'on peut se montrer sans concession avec les enfants pour arriver à ses fins. Shining m'a inspiré pour la dernière partie de mon film, la folie, l'enferment, la terreur. La violence conjugale peut mener à l'épouvante pure et c'est ce que je voulais raconter.   

Vous commencez le film de manière presque documentaire par une scène d'un réalisme saisissant où le couple passe devant le juge.
Il faut savoir que ces audiences sont très courtes. Environ vingt minutes pendant lesquelles tout se décide de l'avenir des enfants. La justice estime que si la violence est dirigée vers le parent et non l'enfant, il n'y pas de raison de rompre le lien. Or c'est une question d'une grande complexité car, même s'il y a pour l'enfant un besoin légitime d'avoir ses deux parents, il peut cristalliser le conflit et devenir un moyen de pression, un instrument pour le conjoint écarté qui n'arrive plus à atteindre sa compagne. Le juge traite une vingtaine de dossiers par jour. Il n'a que quelques minutes pour évaluer la situation et tenter de faire respecter le droit face à des gens fragiles qui jouent souvent un rôle, face à des avocats plus ou moins habiles. J'ai tenu à rendre la tension et la charge émotionnelle de ce moment en le filmant dans l'intensité de sa durée, et en installant le spectateur à la place du juge. Les personnages sont placés sur un pied d'égalité, présentés par leurs avocats respectifs. Qui le public va-t-il croire ? Que voit-il se dérouler sous ses yeux ? À quel genre de plaidoirie est-il sensible ? Il est plongé dans l'incertitude, il doit se faire son idée. Le film lui montre ce qui se passe ensuite, ce que le juge ne verra pas.

À propos de Xavier Legrand
En parallèle d’une carrière de comédien au théâtre, à la télévision et au cinéma, c’est en 2013 que Xavier Legrand tourne son premier court métrage Avant que de tout perdre, qui est sélectionné dans une centaine de festivals à travers le monde. Nommé aux Oscars en 2014, le film a obtenu de nombreuses récompenses, notamment quatre Prix (dont le Grand Prix du Jury) au Festival International du Court Métrage de ClermontFerrand en 2013 et le César du Meilleur Court Métrage en 2014. Jusqu’à La Garde est son premier long métrage.

Drame français de Xavier Legrand. 4 prix et 6 nominations aux César 2019 dont celui du meilleur film français. 4,1 étoiles AlloCiné.


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr