Douleur et gloire

Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner...

Note du réalisateur, Pedro Almodovar
« Si on écrit sur un réalisateur (et si on dirige soi-même des films), il est impossible de ne pas penser à soi-même et de ne pas se servir de sa propre expérience comme référence. C’était le plus pratique. Mon appartement est celui où habite le personnage d’Antonio Banderas, les meubles de la cuisine – et le reste du mobilier – sont les miens ou ils ont été recréés pour l’occasion, les tableaux accrochés aux murs sont aussi les miens.   On a fait en sorte que l’apparence d’Antonio Banderas, notamment ses cheveux, ressemble à la mienne.

Quant aux chaussures et aux vêtements qu’il porte, ce sont aussi les miens. De même pour les couleurs de ses vêtements. Quand il fallait compléter un coin du décor, le chef décorateur envoyait son assistant chez moi chercher l’un des multiples objets avec lesquels je cohabite. C’est l’aspect le plus autobiographique du ­ film et cela s’est révélé très pratique pour l’équipe. José Luis Alcaine est venu plusieurs fois chez moi pour voir la lumière à différents moments de la journée et la reproduire ensuite en studio. Je me souviens d’avoir dit à Antonio Banderas pendant les répétitions : « Si tu penses que, pour certaines séquences, ça t’aiderait de m’imiter, n’hésite pas. » Antonio m’a répondu que ce n’était pas nécessaire. Il avait raison : son personnage n’était pas moi, mais il était en moi. 

Au cours du récit, on voit le réalisateur chevronné Salvador Mallo à trois époques de sa vie : enfant dans les années 60, adulte dans les années 80 à Madrid (Salvador est un personnage issu de l’explosion madrilène de cette décennie) et Salvador de nos jours, isolé, dépressif, victime de plusieurs maux, retiré du monde et du cinéma. Je m’identifie à toutes ces époques, je connais les lieux que traverse le personnage et les sentiments qu’il éprouve, mais je n’ai jamais vécu dans une caverne et je ne suis jamais tombé amoureux d’un maçon quand j’étais enfant, même si ces deux choses auraient très bien pu m’arriver.

Au début, je me suis pris moi-même comme référence mais, une fois que l’on commence à écrire, la ­ fiction impose ses règles et s’affranchit de l’origine, comme cela m’est toujours arrivé lorsque j’ai abordé d’autres sujets basés sur des références réelles. La réalité me fournit les premières lignes, mais il me faut inventer les suivantes, c’est en tout cas le jeu auquel j’aime jouer.  Douleur et Gloire révèle, entre autres, deux histoires d’amour qui ont marqué le héros, deux histoires déterminées par le temps et le hasard et qui trouvent une issue dans la ­ fiction.

La première histoire se passe sans que le héros soit conscient de la vivre, il s’en souvient cinquante ans plus tard. C’est l’histoire de la première pulsion de désir, Salvador avait 9 ans. Ce qu’il a ressenti a été tellement intense qu’il est tombé par terre évanoui, comme foudroyé. La seconde est une histoire qui se passe au cœur des années 80, tandis que le pays célèbre l’explosion de liberté amenée par la démocratie.

Cette histoire d’amour que Salvador écrit pour l’oublier devient un monologue interprété par Alberto Crespo. C’est aussi cet acteur qui signe le monologue. Salvador ne veut pas être reconnu et, devant l’insistance de l’interprète, il lui en cède la paternité. »

Drame espagnol de Pedro Almodovar. Film en compétition au festival de Cannes 2019. 4 étoiles AlloCiné.


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