Edmond

Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie héroïque, en vers, pour les fêtes. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi des caprices des actrices, des exigences de ses producteurs corses, de la jalousie de sa femme, des histoires de cœur de son meilleur ami et du manque d’enthousiasme de l’ensemble de son entourage, Edmond se met à écrire cette pièce à laquelle personne ne croit. Pour l’instant, il n’a que le titre : « Cyrano de Bergerac »... 

Quelle a été la genèse d’Edmond ?
C’est un projet que je porte depuis plus de quinze ans. Le premier déclic s’est produit en 1999 lorsque j’ai vu au cinéma Shakespeare In Love dans lequel Joe Madden, en se basant sur des faits réels, raconte comment, grâce à une jolie muse, le jeune Shakespeare, alors criblé de dettes, retrouve l’inspiration et écrit son plus grand chef-d’œuvre, Roméo et Juliette. Je m’étais alors demandé pourquoi, en France, nous n’avions jamais fait de film similaire. Mais, c’en était alors resté à l’état de réflexion…

Quelques années après, je tombe sur un dossier pédagogique dans lequel on relatait les circonstances de la «première» de Cyrano. Et là, je repense au film de Madden, me dis qu’il est incroyable que personne encore n’ait songé à raconter ce qui fut la plus grande «success story» du théâtre français, la dernière aussi, puisqu’elle a eu lieu juste avant l‘arrivée du cinématographe, où ce ne seront plus les pièces, mais les films, comme Autant en Emporte le Vent qui feront des triomphes torrentiels. J’ai donc commencé à lire tout ce qui existait sur et autour de Cyrano. Je me suis rendu compte que son auteur, Edmond Rostand n’avait que 29 ans lorsqu’il l’avait composé.

Écrire un tel chef-d’œuvre à même pas trente ans ! J’ai été sidéré ! J’ai commencé à prendre des notes et suis allé voir Alain Goldman qui m’a incité à développer un scénario. Pendant ce temps-là, nous cherchions un cinéaste, car à l’époque, je ne pensais pas réaliser moi-même… C’était il y a environ six ans… J’avais tout juste trente ans. Nous avons eu beau nous démener, nous n’avons pas trouvé de financier pour faire ce film, jugé trop onéreux…

J’étais sur le point d’abandonner, lorsque je vais à Londres. Et là, incroyablement, parmi les spectacles qui s’y donnent, il y a l’adaptation théâtrale de Shakespeare In Love ! La pièce est si merveilleuse et si merveilleusement reçue, que cela me donne l’idée de reprendre mon Edmond et de le réécrire pour le théâtre et soumettre mon idée à Alain Goldman. Comme Le Porteur d’Histoire et Le Cercle des illusionnistes n’avaient pas mal marché, ils me disent banco.

Malgré le nombre important de comédiens qu’Edmond nécessite, le Théâtre du Palais Royal donne son accord pour l’accueillir… Le succès s’est avéré tel que nous avons trouvé assez vite derrière le budget pour financer le film… 

Avec Edmond, vous avez, en quelque sorte, réitéré le « coup d’éclat » de Cyrano…
Il ne faut pas exagérer, ce n’est pas comparable (rire). Je n’ai pas été, comme Rostand, décoré de la Légion d’Honneur ni admis à l’Académie française dans la foulée de la première représentation d’Edmond ! Mais entre son parcours et le mien, il y a quelques petites similitudes.

Par exemple, même si c’était mille fois moins phénoménal, j’ai connu, comme le père de Cyrano, mon premier succès théâtral à vingtneuf ans (avec Le Porteur d’Histoire). Et même si elle est advenue sur deux ou trois ans et, non, comme un tsunami, en une seule soirée, j’ai vu comment une réussite peut changer la vie d’un auteur. Indéniablement, il y a l’avant et l’après. 

Vous menez votre film «bon train»…
À dire vrai, en dehors de la direction d’acteurs, le rythme est une de mes plus grandes préoccupations. Un temps mort ? Une longueur ? Et c’est l’ennui qui s’installe, ce que je ne supporte, ni au théâtre, ni au cinéma. J’aime que les choses swinguent. J’ai grandi avec les films de Spielberg et de Zemeckis, des films grand public, intelligents mais qui ne s’appesantissent jamais sur rien et ne se piquent pas d’intellectualisme. Ils sont clairs, enlevés, populaires ce qui ne les empêche pas d’être en même temps exigeants. Je conçois mes pièces comme cela…

J’ai essayé de faire de même avec mon Edmond de cinéma. Pour garder le bon tempo, ce diable d’Offenbach et ses musiques virtuoses m’ont beaucoup aidé ! (Rire). Les comédiens aussi, qui, tous, sans aucune exception, sont entrés, ensemble, dans mon «jeu». Ils ont travaillé comme j’aime le faire, vite, beaucoup, et bien, la main dans la main, sans jamais mettre leur ego en avant. Ils arrivaient toujours sur le plateau texte su et se pliaient de bonne grâce aux difficultés des plans séquences. Ils ont tous été formidables et adorables. 

Presque contre toute attente, vous avez offert le rôle de Coquelin à olivier Gourmet…
Olivier est un très grand, un immense interprète. Il fait partie de ces comédiens, très rares, qui peuvent tout jouer, absolument tout. Mais il se trouve qu’on lui confie la plupart du temps des rôles de salaud ou de violeur ou de sadique ou de mec sérieux. Il y a longtemps qu’on ne l’avait plus vu dans une comédie.

J’ai pensé à lui tout de suite, car en endossant le rôle du «gargantuesque» Coquelin, il devait aussi s’emparer de celui, si complexe et si particulier, de Cyrano, avec, notamment cette scène de la mort où il doit faire oublier qu’il est un comédien pour redevenir un homme face à sa condition…

Il a été évidemment plus que parfait. C’est un garçon d’un humour fou et d’une bienveillance sans égale, toujours à l’écoute de l’autre. Il est d’une équanimité inébranlable. Je ne l’ai jamais vu s’énerver, et pourtant, quand on porte huit heures par jour bottes, lourde cuirasse et postiche, il aurait pu y avoir de quoi… Il a joué le jeu de la troupe avec une loyauté exemplaire.

Dans quelle case mettriez-vous votre film ?
À l’issue des projections tests, les gens ne savaient pas trop s’il s’agissait d’une comédie romantique, d’une pure comédie, d’un film historique ou d’une tragi-comédie. À dire vrai, je pense qu’Edmond est un peu tout ça. Je l’ai conçu comme un spectacle grand public, « Élitaire pour tous », selon la belle formule qu’avait inventée Antoine Vitez quand il dirigeait le Théâtre Chaillot.

À votre avis, comment va-t-on recevoir Edmond ?
J’espère qu’il va provoquer beaucoup de rires et d’émotions, qu’il va donner envie d’aller au théâtre et de relire, par exemple Cyrano. Au théâtre ou au cinéma, ce que j’aime, c’est susciter l’envie.

Un jour à l’issue d’une avant-première, un spectateur m’a dit : «C’est bête, mais en regardant votre film j’ai ressenti une certaine fierté d’être Français, j’ai eu envie de me replonger dans la culture hexagonale.» Ça m’a fait un plaisir fou. Qu’est-ce qui définit et rassemble le mieux une nation si ce n’est sa langue, ses arts et ses poètes. Shakespeare est mort il y a quatre siècles, mais les anglais continuent à se prévaloir de ses pièces et de sa poésie.

Drame de Alexis Michalik. Une nomination au festival du film francophone d'Angoulème 2018. 4,5 étoiles AlloCiné.


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