Le chant du loup

Un jeune homme a le don rare de reconnaître chaque son qu’il entend. A bord d’un sous-marin nucléaire français, tout repose sur lui, l’Oreille d’Or. Réputé infaillible, il commet pourtant une erreur qui met l’équipage en danger de mort. Il veut retrouver la confiance de ses camarades mais sa quête les entraîne dans une situation encore plus dramatique. Dans le monde de la dissuasion nucléaire et de la désinformation, ils se retrouvent tous pris au piège d’un engrenage incontrôlable... 

Une des surprises réservées par LE CHANT DU LOUP, c’est qu’il ne ressemble pas vraiment à un film français à gros budget avec des acteurs connus. Par exemple, ce n’est ni un polar, ni une comédie. Vous avez conscience de cette différence ?
Oui j’en ai totalement conscience. Et je remercie vraiment mes producteurs, Jérôme bien sûr, mais aussi Alain Attal et Hugo Sélignac, de m’avoir fait confiance pour cette aventure risquée. Je remercie aussi tout autant ceux qui ont donné sans compter, pendant des mois et certains des années, pour ce film – je pense à toute mon équipe.

Ce n’était pas évident de faire confiance à quelqu’un qui n’a encore jamais fait de film, chacun d’entre eux avait le choix entre ce projet et d’autres, et ils m’ont suivi. Stéphane Riga (producteur exécutif et artistique) est le premier nom qui me vient à l’esprit. Je ne remercierai jamais assez ceux qui m’ont fait confiance. C’est une chance. L’originalité du projet a plu. C’est ça qui nous a donné l’énergie.

D’où vient cette histoire de sous-marin ? Le genre est plutôt traditionnellement américain. Ça réactive également des souvenirs de la guerre froide… J’aime les mondes inconnus, invisibles, le mystère. Quand j’ai pu m’immerger dans un sousmarin pendant plusieurs jours, j’ai été saisi. On a l’impression d’être dans le ventre d’une baleine. Les machines sont semi-organiques. Les équipages se connaissent intimement. C’est un microcosme de la société dans lequel ce qui sépare les gens à la surface – la religion, la politique, les origines – n’existe pas. Seuls comptent la solidarité, le courage, le fait de pouvoir réagir ensemble.

Et en même temps le monde des sous-marins nucléaires est un univers dur, qui met en jeu la dissuasion nucléaire, l’auto-annihilation de l’espèce. J’ai voulu essayer de comprendre ce paradoxe : ils s’entrainent à la guerre pour qu’elle n’ait pas lieu : c’est le principe de la dissuasion, qui structure la doctrine française de défense. Autour de cette idée, bien réelle, de l’ordre irréversible. C’est très particulier.

Votre expérience antérieure dans la diplomatie, vos connaissances en géopolitique vous ont-elles servi pour l’écriture du scénario du CHANT DU LOUP ?
Il y a une dimension géopolitique dans le film. Bien sûr, mes connaissances en la matière m’ont servi. Les relations internationales, sous les apparences, ça reste le domaine de la guerre de tous contre tous, le Leviathan. Les adversaires vous piègent, les amis vous trahissent.

Des engrenages fatals peuvent se déclencher très vite. Je connais ces rouages. Les événements que je décris pourraient vraiment avoir lieu un jour, hélas – sans que nous n’en sachions rien. Dans ce film, tout est montré du point de vue des sous-mariniers : ils ne savent pas tout et n’assistent pas aux discussions des décideurs politiques. Ils assument, pour le meilleur et pour le pire, les décisions.

Parfois, il faut le courage exceptionnel de quelques hommes pour sortir d’un engrenage fatal. Nous n’en savons rien, ici, à la surface, et nous n’en saurons jamais rien... tant que le pire est évité.

Est-ce que c’est un film qui fait l’éloge d’un héroïsme discret ?
Il est difficile de ne pas être sensible à l’héroïsme de personnes invisibles, qui font des choses dont personne ne saura jamais rien et qui risquent leur vie pour cela. Cet héroïsme qui ne vise aucune reconnaissance me touche profondément.

Est-ce que la construction scénaristique du CHANT DU LOUP, avec ce prologue qui nous propulse tout de suite de plain-pied au cœur de la tension, s’est imposée tout de suite ?
J’aime entrer in medias res dans une histoire, sans préambule. Pour moi, la meilleure façon de présenter des personnages, c’est de les voir dans l’action. Ensuite, on peut se demander qui ils sont. Un commandant de sous-marin qui rentre après sept semaines d’action intense sous les mers, quand il rentre chez lui, c’est qui ? C’est un type comme tout le monde, qui marche seul dans la rue avec son baluchon sur le dos. A quoi pense-t-il ? Comment vit-il, tout d’un coup, la solitude, après des semaines passées à devoir prendre une décision à chaque minute ?

Avez-vous tourné les scènes de sous-marin dans un véritable sous-marin ou avez-vous tout reconstitué en studio ?
On a tourné avec des vrais sous-marins pendant leurs temps d’exercice ! Pour les intérieurs, on a recréé les salles de commandes des deux sous-marins en studio. Benoît Barouh, le chef décorateur du film, a fait un travail extraordinaire. En dernier ressort, pour les plans littéralement infilmables sous l’eau, j’ai eu recours aux technologies numériques. 

A ce propos, quelle est la part des effets spéciaux dans ce film ? Est-ce que ça allonge beaucoup le temps de la post-production ?
C’est à la fois un pouvoir supplémentaire et une difficulté supplémentaire. On peut montrer des choses qu’on ne pourrait pas montrer sans. Mais il faut avoir une ligne claire, s’y tenir tout en étant capable de tout changer, et beaucoup s’investir en termes de temps. Pour chaque plan numérique, il y a mille étapes. Quand on vous propose un plan, il faut en général dire non, refaire. C’est quand on travaille un plan numérique qu’on comprend, par contraste, ce qu’est le réel : une série d’accidents imprévisibles. 

Votre film donne un sentiment de réalisme, de précision dans la connaissance des procédures, des rituels à l’œuvre dans un sous-marin. Cette précision vient-elle de votre imagination de scénariste ou des informations que vous avez recueilli lors de vos séjours en sous-marin ?
J’ai passé en tout plusieurs semaines en immersion sous l’eau, à bord des deux types de sous-marins français (les Sous-marins Nucléaires d’Attaque, SNA, et les Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engin, SNLE). J’ai beaucoup observé tout ce qui se passait, de la chaufferie nucléaire à la salle des commandes. Toutes les procédures que je montre dans le film sont basées sur une observation précise, de la plus simple (détecter un bateau inconnu) à la plus complexe (vérifier l’authenticité d’un ordre du président de la république). J’ai décidé de conserver la façon d’être et le langage des sous-mariniers tel qu’il était, sans rien édulcorer. J’ai fait le pari qu’avec les images le spectateur comprendrait tout ce qui se passe – comme je l’ai moi-même fait quand j’ai été à bord.

Je crois que la façon de parler, le langage étrange des sous-mariniers constitue un élément dramatique important pour le film, c’est pourquoi les termes techniques ont été maintenus dans leur réalisme et leur vérité humaine. De la même manière, tous mes décors sont construits à l’échelle 1, c’est-à-dire qu’on n’a pas triché les espaces pour avoir plus de place pour la caméra. Les acteurs ont dû jouer et bouger dans un espace très confiné, et on a fait des prouesses techniques pour pouvoir les filmer malgré l’exiguité des décors.

C’était important de faire cet effort. Je voulais que le plateau devienne un lieu de vérité, et que les comédiens agissent dans des situations réelles. La vie dans un sous-marin, ce sont des rituels et des accidents. Les rituels permettent d’effectuer en groupe des opérations complexes, où il faut à la fois gérer une chaufferie nucléaire, naviguer à l’aveugle sous des centaines de mètres d’eau, détecter et identifier tout ce qui bouge autour, et surtout se maintenir indétectable, y compris par d’autres bateaux alliés et même français. Alors chacun déroule des rituels, des litanies de chiffres, de codes, qui servent à vérifier que la situation est « cohérente », à corroborer.

C’est un ballet, une chorégraphie où chacun sait ce qu’il a à faire, assume son rôle. Mais il y a aussi une autre dimension : chaque sous-marinier respire sur une longueur d’onde qui lui est propre, et qui s’accorde avec celle des autres. Il faut sentir cela, profondément, et le transcrire – le montrer avec des images, des visages, des figures, des raccords, des notes, des sons... 

Le huis-clos donne aussi au film un poids, une densité…
Le huis-clos donne évidemment une force et une énergie particulières, surtout s’il agit par contraste avec le monde extérieur, le monde de la surface. Cet ancrage dans des lieux qui sont, à la fois, très réalistes et très serrés, crée une grande intensité humaine. Ce dispositif est très cinématographique, car il permet de déployer des moments d’intériorité à plusieurs. C’est une situation unique qui prend parfois la tournure d’un moment de grâce. 

Dans la mesure où le film se déroule dans un milieu militaire très sensible, avez-vous dû donner des gages à l’armée française ?
La seule contrainte était de ne pas révéler des choses qui mettraient en danger les sousmariniers français. Or, ces secrets reposent principalement sur des chiffres. Ce ne sont pas des choses qui m’intéressaient pour le film. Par conséquent, il n’y a eu aucun souci.

Drame français d'Antonin Baudry. 4,4 étoiles AlloCiné.


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