Vice

Fin connaisseur des arcanes de la politique américaine, Dick Cheney a réussi, sans faire de bruit, à se faire élire vice-président aux côtés de George W. Bush. Devenu l'homme le plus puissant du pays, il a largement contribué à imposer un nouvel ordre mondial dont on sent encore les conséquences aujourd'hui…  

Note de production

Comme de nombreux Américains, Adam McKay connaissait assez peu l'insaisissable – et en apparence impénétrable – Dick Cheney qui a presque été coprésident aux côtés de George W. Bush de 2001 à 2009. Et qui, du coup, a bouleversé le cours de l'histoire américaine, sinon pour toujours, du moins pour les décennies à venir. Il confie : « Je ne connaissais pas vraiment Dick Cheney, mais en lisant des livres à son sujet, il a commencé à me fasciner, et je me suis passionné pour ses motivations et ses convictions. J'ai continué à me documenter, et j'ai été stupéfait par la méthode sidérante avec laquelle Cheney a conquis le pouvoir et estomaqué de voir à quel point il a redéfini la place actuelle des États-Unis dans le monde. »

Le réalisateur a également lu la formidable biographie de Robert Caro sur Robert Moses, « The Power Broker », ouvrage intelligent sur l'accession au pouvoir d'un homme et son combat pour y demeurer. « Ensuite, j'ai lu tout ce que je pouvais trouver sur le thème du pouvoir, reprend-il, en remontant même à Shakespeare – et c'est alors que le scénario a commencé à prendre forme. » Cheney était un fervent pêcheur à la mouche, discipline qui nécessitait une grande patience. Une qualité qui a largement contribué à son ascension méthodique, à la fois en politique et dans le milieu des affaires.

Cependant, rien de tout cela n'aurait été utile sans l'encouragement et l'ambition de sa femme, Lynne Vincent, sa petite amie depuis le lycée. Après que Cheney a été renvoyé de Yale et écopé de deux amendes pour conduite en état d'ivresse, sa femme l'a aidé à se reprendre en main. « Incontestablement, c'est grâce au tempérament ambitieux de sa femme que Dick Cheney s'est métamorphosé, affirme McKay. Ceux qui la connaissaient à l'époque disaient que quel que soit celui qui allait l'épouser irait très loin. Sinon, Dick aurait mené une vie bien tranquille comme ses frères et soeurs".

Selon le réalisateur, à travers Cheney, Lynne a accédé au pouvoir par procuration. "Elle avait l'intelligence et l'ambition mais elle était consciente qu'en tant que femme, certaines portes lui seraient fermées", dit-il. "Si elle ne pouvait pas actionner les manettes du pouvoir, elle savait faire en sorte qu'un autre qu'elle les actionne à sa place. » Plus il se plongeait dans la carrière politique de Cheney, plus il s'apercevait que celui-ci a eu une influence durable et considérable sur la politique américaine contemporaine. Sa mission, à ses yeux, consistait à écrire un scénario qui dépasse les convictions politiques et aborde des thèmes universels. « C'était un chapitre majeur de l'histoire politique américaine qui, à mon sens, n'a jamais été vraiment exploré au cinéma, analyse-t-il. C'est une pièce maîtresse qui explique comment nous en sommes arrivés là – autrement dit, à une situation où on obtient une forme de consensus politique grâce à la publicité, la manipulation et la désinformation. Et Dick Cheney en a été l'artisan. »

Après d'importantes recherches et des rencontres avec des témoins directs, McKay a pu resserrer son propos et s'attaquer à l'écriture, selon le producteur Kevin Messick qui l'avait accompagné sur plusieurs projets et, dernièrement, la minisérie SUCCESSION, autre étude des rapports entre pouvoir et manipulation. « Bien entendu, dans notre cas, resserrer l'intrigue revenait à démarrer l'histoire au Wyoming dans les années 50, puis à la poursuivre jusqu'aux premières années du XXIème siècle. »

Comme dans ses films comiques et THE BIG SHORT – LE CASSE DU SIÈCLE, Oscar du meilleur scénario, McKay a ponctué les différentes temporalités du récit de dispositifs inhabituels, à l'instar d'un narrateur peu orthodoxe qui s'adresse directement au spectateur, des moments d'humour surréaliste, des images d'archives et même des conversations sur l'oreiller entre Lynne et Dick Cheney en vers ! « Si Adam a du génie, c'est notamment grâce à sa totale liberté de ton, un peu comme dans le jazz, affirme Messick. Du coup, il a créé une forme de métissage entre plusieurs genres qui séduit le public, mais qui reste inclassable. Car des films comme THE BIG SHORT – LE CASSE DU SIÈCLE et VICE ne sont ni de purs drames, ni de pures comédies. Mais ils se nourrissent des deux.

Son style incomparable fait presque partie intégrante de son ADN. » Pour Dede Gardner et Jeremy Kleiner (MOONLIGHT, 12 YEARS A SLAVE), producteurs deux fois oscarisés qui avaient collaboré avec le réalisateur sur THE BIG SHORT, les réactions au scénario de McKay ont été enthousiastes et immédiates. « C'est une histoire extrêmement ambitieuse, affirme Dede Gardner. Il s'agit davantage d'une fresque que d'un biopic. Il fouille quarante ans d'histoire politique américaine et raconte comment nous en sommes arrivés là où nous en sommes. Mais il parle aussi de culture américaine et des changements que notre société a connus au fil du temps. » « Pour moi, c'est un ensemble d'éléments qui m'a convaincu, souligne Kleiner.

Comme dans THE BIG SHORT, Adam joue avec la forme. Il cherche des moyens de raconter des histoires complexes. Le scénario était un nouveau numéro d'équilibriste qui s'avérait également très émouvant. Son interprétation de l'Histoire avec un grand H nous offre un éclairage sur la trajectoire qui nous a menés là où nous en sommes aujourd'hui. Et il nous permet de faire le lien entre le passé, le présent et peut-être même l'avenir. »

Dede Gardner et Kleiner ont été frappés par le recours à un narrateur peu orthodoxe (campé par Jesse Plemons, aperçu dans PENTAGON PAPERS et FARGO). La première le considère comme un personnage métaphorique – autrement dit, une incarnation du spectateur qui emprunte divers visages au cours du film. « Adam a trouvé un moyen de représenter monsieur-toutle- monde dans cette histoire – quelqu'un dont les réactions sont proches des nôtres, dit-elle. Et il l'a fait avec humour et précision, permettant au personnage d'être l'épicentre émotionnel du film. »

Pour Kleiner, le narrateur fait écho aux préoccupations de McKay pour la justice sociale. « Il s'intéresse aux conséquences des changements sociaux majeurs sur les gens, dit-il. C'était logique d'entrer dans cette histoire par l'entremise d'un personnage qui ne vient pas du sérail politique, mais de la société civile.

C'est un dispositif astucieux qui traverse le récit et qui a un impact émotionnel. » McKay souhaitait également s'attacher à la famille de Dick Cheney au moment où il était en pleine ascension, comme le note Kleiner. « Cheney défend lui-même les valeurs familiales, reprend-il. Il a été poussé par sa femme Lynne, avec qui il avait pas mal de points communs. Ils partageaient tous les deux les idées de la plupart des personnages du film – ils avaient à cœur de protéger leurs proches, même si les mesures de sécurité étaient parfois prises au détriment de ceux qui ne faisaient pas partie de leur famille.

LE PARRAIN parlait du même sujet. C'est difficile de faire le lien entre un père de famille dévoué et les événements qui se sont déroulés au moment où il était au pouvoir – et c'est d'ailleurs au coeur de la trajectoire décrite par Adam dans le film. » En s'attachant au parcours de la famille de Cheney, on comprend mieux ce qui l'a motivé à se lancer en politique et l'intrigue gagne en densité et en humanité, indique Dede Gardner. « La famille occupe une place centrale dans la vie de Dick Cheney et sa présence dans le film permet au spectateur – et aux comédiens – de cerner ces personnages dans leur intimité. »

Film américain de Adam McKay. 2 prix et 4 nominations au Golden Globes 2019. 8 nominations aux Oscars. 4 étoiles AlloCiné.


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