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Notre Dame


Maud Crayon est née dans les Vosges, mais vit à Paris. Elle est architecte, mère de deux enfants, et remporte sur un énorme malentendu le grand concours lancé par la mairie de Paris pour réaménager le parvis de Notre-Dame… Entre cette nouvelle responsabilité, un amour de jeunesse qui resurgit subitement et le père de ses enfants qu’elle n’arrive pas à quitter complètement, Maud Crayon va vivre une tempête. Une tempête, qu’elle devra affronter pour s’affirmer et se libérer.

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Entretien avec Valérie Donzelli

NOTRE DAME n’est-il pas avant tout une formidable lettre d’amour à Paris ? Vous la filmez merveilleusement bien.
Paris, c’est ma ville d’adoption, et j’avais envie de me réconcilier avec, de lui faire du bien. Elle a été très malmenée depuis les attentats de 2015, c’est comme si on était désormais dans un état de chaos permanent. Toutes les cinq minutes, on entend maintenant se déclencher les sirènes de police. Alors, oui, lui rendre un peu de sa beauté, mais sans occulter sa violence.

Pourquoi avoir choisi le parvis de Notre-Dame de Paris comme monument à réaménager ?
Je voulais traiter de l’histoire d’un échec lié à l’architecture. Qu’est ce qui pouvait faire scandale dans ce domaine aujourd’hui ? Cela ne pouvait concerner qu’un monument ancien auquel on proposait d’apporter de la modernité. Le seul endroit réaliste qui me paraissait à la fois symbolique de Paris et qui pouvait permettre un projet architectural était le Parvis de Notre-Dame. Je me suis beaucoup renseignée sur les polémiques, innombrables, autour d’aménagements urbains à Paris : le plus de Paul McCarthy place Vendôme en 2014, Beaubourg, la Pyramide du Louvre, l’Opéra Bastille, les colonnes de Buren dans la cour d’honneur du Palais-Royal en 1986… C’est finalement le concours de l’Opéra Bastille et le scandale autour de l’œuvre de Daniel Buren qui m’ont le plus inspirés.

Quelle a été votre réaction quand vous avez vu le 15 avril dernier Notre-Dame prendre feu ?
J’étais catastrophée. J’ai filmé un monument que j’aime. J’ai vécu avec Notre-Dame pendant toute l’écriture du film, qui a été longue. J’allais régulièrement lui rendre visite, je m’y suis attachée, je ressentais la blessure de l’incendie. Je savais que tourner là-bas ne serait pas simple, que les autorisations seraient longues, bref que c’était un peu la star de mon film. Filmer dans Notre-Dame et sur son parvis, c’était un vrai défi. En fait, dès l’écriture, en faisant ce choix, j’ai vécu dans la hantise d’un événement de ce type. C’est drôle mais j’ai réalisé un documentaire pour Arte «Le cinéma de maman» en 2017, qui parle de l’acte de filmer, pour laisser une trace, une mémoire, pour ne pas mourir. Je ne pensais pas pouvoir l’illustrer à ce point avec un de mes films. Aujourd’hui, Notre dame a cet écho particulier avec Notre-Dame, c’est vrai. Je crois que je suis la dernière personne à avoir filmé la cathédrale telle qu’elle était, ce n’est pas un film sur Notre-Dame. Tout ça est un pur hasard, et depuis la polémique qui oppose modernistes et conservateurs, le film est au cœur du sujet. Cela me dépasse un peu…

Racontez-nous la genèse du film.
Après Marguerite et Julien, mes producteurs, Edouard Weil et Alice Girard, m’avaient conseillé de revenir à un projet plus inspiré de ma vie, et dont j’aurais été le personnage central. J’ai écrit un premier scénario, «Taille de guêpe», qui suivait le cheminement d’une réalisatrice. Trop proche de moi, la distance entre autobiographie et fiction n‘était pas bonne. J’ai finalement enlevé le cinéma que j’ai remplacé par l’architecture. Ces métiers ont des points communs - mener un projet à terme avec un budget à respecter, courir le risque de voir son œuvre décriée… En donnant cette profession à mon héroïne, je m’accordais la permission de parler de ce que je vivais sans que cela soit complètement collé à ma propre expérience.

Vous dites souvent que vos scénarios évoluent énormément au fil des tournages…
Le scénario, c’est un point de départ mais je ne veux surtout pas m’y attacher. Je réinvente des choses, souvent à la veille de tourner. Tout ce que je vis, tout ce qui m’entoure, participe à la fabrication du film. Rien n’est jamais verrouillé : c’est comme s’il y avait une espèce de grand courant d’air autour de moi et que j’attrapais tout ce que je pouvais. C’est un peu bizarre parce que le cinéma a besoin d’être organisé et, qu’au contraire, moi, je désorganise tout pour ensuite le réorganiser. J’ai besoin d’en passer par une phase de déconstruction totale pour reconstruire.

Ecrit-on différemment en sachant que l’on sera le personnage principal du film ?
Oui. Quand je joue, je ne m’écris jamais des rôles forts, ce sont plutôt des personnages assez contemplatifs, assez passifs en fait. Ils distribuent le jeu et je les regarde gérer ces événements. Je sais que ce sont des films que je vais mettre en scène différemment : on a un regard tout à fait autre selon qu’on est à l’extérieur du plateau ou qu’on est dedans. D’un côté, le rapport aux acteurs est plus facile parce qu’on joue la même partition et qu’on a davantage de complicité avec eux ; d’un autre, il faut parvenir à les regarder tout en étant parmi eux.

Vous vous autorisez tout : les ruptures de ton, d’univers, les modes de narration. Comment procédez-vous pour rendre cela aussi naturel ?
C’est difficile à expliquer. C’est un peu comme faire un grand tableau. Le travail avance de façon intuitive et aussi hasardeuse. Je commande par exemple une chorégraphie à Maud Le Pladec pour la scène de l’attaque chimique qui amène l’idée de la boite noire, et quand je vois que je n’aurai pas le temps de faire rentrer les scènes de location Airbnb dans mon plan de travail, je reprends l’idée de la boite noire en y incluant ces scènes de danse. Une chose m’en amène une autre qui m’en amène une autre mais j’ai toujours mon tableau en tête. Ce qui est sûr c’est que je ne sais pas répondre à des règles de cinéma très classiques. Ma seule préoccupation, c’est l’équilibre du film, cette équation si difficile à réussir.

Vous parlez beaucoup de hasard ou d’intuition sur le tournage. Laissez-vous beaucoup de place à la spontanéité ?
J’ai évidemment un plan de travail que je ne modifie pas. Mais j’invente beaucoup de choses et j’ai besoin de temps pour le faire. Je ne découpe pas mes plans à l’avance, sauf s’il s’agit de séquences compliquées comme celles que nous avons tournées à Notre-Dame. Dans ce cas, j’adore storyboarder. Sinon, cela m’est très difficile, j’ai besoin, des acteurs, des décors… Je n’ai pas vraiment de méthode, je construis mes scènes au fur et à mesure, et je le fais le jour J avec mes acteurs. Il suffit que l’un d’eux adopte une position qui me séduise pour que je parte de là. Tout est ouvert, tout est possible. Je suis totalement désinhibée sur un plateau, c’est vraiment mon aire de jeu.

Film français, belge de Valérie Donzelli. Une nomination au festival du film francophone d'Angoulême 2019. 3,6 étoiles sur AlloCiné.

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