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Les éblouis


Camille, 12 ans, passionnée de cirque, est l’aînée d’une famille nombreuse. Un jour, ses parents intègrent une communauté religieuse basée sur le partage et la solidarité dans laquelle ils s’investissent pleinement. La jeune fille doit accepter un mode de vie qui remet en question ses envies et ses propres tourments. Peu à peu, l’embrigadement devient sectaire. Camille va devoir se battre pour affirmer sa liberté et sauver ses frères et sœurs...

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Entretien avec Sarah Suco

Les Éblouis est votre premier film en tant que réalisatrice. Il est dédié à vos frères et sœurs. L’inspiration est-elle autobiographique ?
Oui, j’ai moi-même vécu avec ma famille dans une communauté charismatique pendant dix ans. L’idée d’en faire un film germait dans ma tête depuis très longtemps, et arrivée à la trentaine, la nécessité l’a emporté et je me suis sentie prête à me lancer. J’ai rencontré Dominique Besnehard à qui j’ai raconté mon projet. Il a tout de suite été très enthousiaste et m’a fait confiance dès le début de l’écriture. Avec Michel Feller, ils m’ont accompagnée sans relâche et soutenue avec une grande liberté et un fort désir commun.

Comment avez-vous abordé cette matière personnelle ?
D’emblée, je savais que je voulais écrire avec quelqu’un, parce que je ne voulais pas écrire dans la haine ni la colère. Je voulais prendre de la distance, notamment vis-à-vis de la figure parentale. Je voulais transformer cette montagne de souvenirs en une histoire de fiction, de cinéma, avec des personnages auxquels on puisse s’attacher. Je savais que la distance et la pudeur seraient mes points d’entrée dans le cœur de ce sujet violent. J’ai choisi d’écrire avec Nicolas Silhol, qui a eu une formation de scénariste avant d’écrire et réaliser Corporate, parce qu’il se positionnait à l’endroit qui me convenait  : raconter cette histoire sans chercher le sensationnalisme. Nous étions très complémentaires car nous ne nous situions pas sur les mêmes plans émotionnels et structurels.

Pourquoi avez-vous choisi de transposer votre histoire à l’époque actuelle ?
Parce que je ne voulais pas que le spectateur puisse penser que ça n’existe plus aujourd’hui. On estime entre 50 000 et 60 000 le nombre d’enfants victimes de dérives sectaires dans ce genre de communautés chaque année en France. Des communautés qui ont pourtant pignon sur rue et sont légales. Du fait de la loi de 1901, chacun a le droit de vivre avec qui il veut, se regrouper en communautés, donner de l’argent voire tout son salaire à une association. Tant que cela ne concerne que des adultes avisés et «  consentants  », il est difficile d’intervenir. Définir l’emprise ou une dérive sectaire est très compliqué. Il y a des critères  – embrigadement psychique ou financier, maltraitances… – mais ils restent assez flous et juridiquement difficiles à prouver et donc à condamner tant qu’un drame ouvertement répréhensible n’a pas eu lieu.

Malgré les dérapages, vous montrez que tout n’est effectivement pas négatif dans la communauté qu’intègrent Camille et ses parents…
Moi-même, j’aimais vivre dans ce lieu quand j’étais enfant, j’en ai gardé plein de bons souvenirs. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait un film à charge contre ces communautés et encore moins contre l’Eglise catholique. Mais j’ai fait pour sûr un film de combat. Car il est primordial aujourd’hui de protéger les enfants qui sont les plus grandes victimes de cet embrigadement et le subissent de plein fouet en se retrouvant face à des parents qui deviennent peu à peu fous en pensant faire le bien de leurs enfants. Ensuite, je laisse chacun libre de penser ce qu’il veut. Quand on voit le père de Camille le matin, avant d’aller au travail, faire les courses d’une vieille dame et soulager ses douleurs, c’est quand même admirable. Et le rituel du pardon, même s’il est un peu cocasse, n’est pas négatif en soi. Le problème est juste de savoir jusqu’où ça peut aller.

Les communautaires dégagent une joie dont l’intensité est un peu angoissante.
Le casting des «  communautaires  » a été très important. Je cherchais des visages qui dégagent une humanité, mais qui en souriant peuvent avoir un petit côté béat ou étrange. Ces gens ont décidé d’être dans la joie, mais à force d’obéir à des préceptes et des principes, surgit le risque de ne plus réfléchir par soi-même. La question du libre arbitre est pour moi au cœur du film. Notre héroïne est une adolescente qui, via cette expérience inédite, est dans cette recherche du soi et de l’autonomie de sa pensée. Il est toujours plus difficile de penser par soi-même, et contre ses parents. Dans ce cadre extraordinaire, ce chemin est encore plus compliqué.

Quels étaient vos désirs de mise en scène ?
Il m’a semblé plus juste et plus fort de choisir une forme de simplicité dans le cadre et dans le découpage, presque du formalisme par endroits, pour mieux faire ressentir au spectateur l’enfermement. Je ne voulais pas que le fond de l’histoire et la spirale soient surlignés par des effets de caméras trop insistants. Je souhaitais que le spectateur ressente ce que vivent les personnages : sans que l’on s’en rende compte, puisque la caméra n’est pas intrusive, on se retrouve piégés dans le cadre. Au sens propre et figuré. Le photographe Gregory Crewdson a été d’une grande inspiration pour moi. Ses photos paraissent de prime abord extrêmement naturelles, mais du surnaturel finit toujours par en surgir. Et au montage, j’ai travaillé avec Catherine Schwartz, qui avait déjà monté mon court-métrage. J’aime son exigence, son œil, sa force de propositions et en même temps son écoute. Le scénario était construit sur une dérive progressive qui ne permettait pas la possibilité de changements fous dans la continuité dramatique, mais nous avons beaucoup travaillé l’ambiguïté à l’intérieur des scènes.

Drame français de Sarah Suco. 3,7 étoiles sur AlloCiné.

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