Haoui.com

Proxima


Sarah est une astronaute française qui s’apprête à quitter la terre pour une mission d’un an, Proxima. Alors qu’elle suit l’entraînement rigoureux imposé aux astronautes, seule femme au milieu d’hommes, elle se prépare surtout à la séparation avec sa fille de 8 ans.

Repertoire Image

Entretien avec la réalisatrice, Alice Winocour

D’où est venue l’envie de PROXIMA, projet singulier et ambitieux dans le contexte du cinéma français ?
Depuis toute petite, je suis fascinée par le monde de l’espace, mais c’était plus une attirance poétique, un peu abstraite. Puis j’ai commencé à investiguer ce monde et j’ai été littéralement happée. J’ai commencé à rencontrer des entraîneurs qui préparent les astronautes, j’ai visité des lieux d’entraînement et j’ai pris conscience de la somme de travail et des années nécessaires pour apprendre à se séparer de la Terre. Le cinéma a peu montré cela. Dans les films les problèmes arrivent dans l’espace pas sur terre, mais la plus grande partie de la vie des astronautes est la préparation. Parfois certains ne partent jamais. Comme pour chacun de mes films, je suis d’abord attirée par un univers et en chemin, je me rends compte que ce qui m’a poussée vers ce monde est lié à quelque chose d’intime. Pour parler de moi, j’ai besoin d’aller vers des mondes très lointains. L’intime ici, c’était le rapport entre mère et fille, ayant moi-même une fille de 9 ans. Je voulais explorer le processus de séparation entre une mère et sa fille, qui résonnait avec la séparation entre l’astronaute et la Terre.

Pourquoi avoir fait le choix d’une astronaute femme ?
Mon désir principal était de montrer une super-héroïne et une mère, dans le même corps. Le cinéma ne représente pas souvent ces deux états dans un même corps, comme si héroïne et mère étaient incompatibles. Les super-héroïnes sont toujours détachées des questions de maternité ou de féminité quotidienne. Une femme de la NASA m’a dit que son meilleur enseignement pour devenir astronaute avait été d’être mère ! Parce qu’une mère accomplit de multiples tâches en même temps. Une entraîneuse de l’Agence Spatiale Européenne, m’a confié que les astronautes hommes sont très fiers de parler de leurs enfants alors que les astronautes femmes ont plutôt tendance à cacher qu’elles sont mères comme si elles craignaient que ça les décrédibilise. Il y a cette idée dominante, qui est une construction sociale, selon laquelle la responsabilité d’un enfant incombe plus à la mère. C’est la question féministe évoquée dans le film, montrer qu’une femme peut être à la fois une mère et une professionnelle de haut niveau.

PROXIMA est de fait plus terrien que spatial. Le film montre par exemple l’épreuve très physique que subissent les corps des astronautes.
Dans tous mes films, le rapport au corps est central. Je voulais montrer le rapport mère-fille dans sa dimension charnelle, par exemple dans la scène où elles sont dans la piscine comme dans un bassin amniotique. Ensuite, je voulais montrer que le corps humain n’est pas fait pour vivre ailleurs que sur Terre. Dans l’espace, on grandit de 10 à 15 cm, les bronches ne sont pas faites pour là-haut… Ces entraînements intensifs faisaient coïncider l’aspect documentaire avec mes obsessions de cinéma : le corps-cobaye, sanglé dans les machines, des centrifugeuses… C’est une mutation du corps qui est en jeu, comme dans le cinéma de Cronenberg. Sarah (Eva Green) doit se séparer de la Terre mais aussi de son corps de terrienne “normale”. Elle doit devenir une “space personne”. Quand on la voit badigeonnée de Bétadine, ou quand on prend l’empreinte de son corps pour mouler son siège de fusée, il y a l’idée qu’elle devient une créature spatiale, une mutante.

À la fin, le générique nous rappelle que les astronautes femmes ont été nombreuses, ce qu’on ignore généralement. Claudie Haigneré n’était pas la seule !
À ce propos, j’ai reçu plein de messages très émouvants de femmes de la NASA qui disent que c’est très important qu’un film montre enfin qu’on peut être à la fois une bonne astronaute et une bonne mère. C’est ce que dit le film, qu’on peut faire les deux, même si c’est difficile. Comme dit Matt Dillon dans le film à Eva : « La mère parfaite n’existe pas ». Les femmes représentent 10% des astronautes. La proportion augmente mais il y a encore du travail. La NASA vient d’annuler la première sortie extravéhiculaire de deux femmes. Il n’y avait pas deux combinaisons spatiales de taille M…. PROXIMA est un film de libération et d’apaisement : Sarah accomplit tout un trajet face à ses propres obstacles de femme et de mère, elle dépasse son complexe de culpabilité. La petite fille aussi prend son envol, elle s’émancipe du cocon maternel.

La séquence du décollage de la fusée est impressionnante, on ressent cet arrachement tellurique dans son propre corps de spectateur. C’est étonnant d’avoir pu filmer si près.
Je voulais faire un film physique. On a aussi fait un gros travail sur le son, il fallait ressentir tout l’aspect sensoriel de ce monde. La conquête spatiale nous fait réaliser à quel point on est fragile, à quel point on est terrien, tout petits face à des forces qui nous dépassent. Thomas Pesquet m’a dit qu’en voyant le film et le décollage, il avait ressenti des émotions qu’il n’avait pas pu éprouver lors de son vrai décollage.

Cette gamine est étonnante, à la fois enfantine et consciente des enjeux adultes. Comment l’avez-vous trouvée ?
On a fait un immense casting, on a vu près de 300 fillettes. Il fallait trouver une petite fille qui joue bien, qui fonctionne avec Eva, qui puisse voyager avec nous jusqu’en Russie et au Kazakhstan… Ce qui m’a plu, c’est que Zélie avait elle aussi ce côté geek, cet aspect enfant pas dans le moule. J’ai pensé aussi au petit garçon de YI YI d’Edward Yang : cette manière de chercher à montrer l’humanité des êtres à travers des petits détails du quotidien. C’était le pari de cinéma de mon film : parvenir à une vérité humaine, mais par un processus immersif plutôt que par des effets démonstratifs.

On a découvert Sandra Hüller récemment, plutôt dans des rôles de comédie. Vous la dirigez dans un registre plus sérieux.
J’adore cette comédienne, elle est impressionnante dans sa manière de faire passer différentes émotions. Comme Lars, elle vient du théâtre allemand, alors qu’Eva vient du cinéma, Alexei Fateev vient du théâtre russe... Plusieurs écoles de jeu coexistent dans le film. Sandra joue Wendy, qui a un côté marraine. Comme le personnage de Matt, il fallait qu’elle soit aimée tout en arborant une certaine froideur liée à sa fonction.

Vous avez travaillé avec George Lechaptois, votre directeur photo habituel. C’est important d’avoir avec vous des collaborateurs que vous connaissez bien ?
J’aime bien retrouver la même équipe technique, c’est comme une famille. J’ai souvent en tête des images très hétéroclites, comme ici, de YI YI à Tarkovski et le travail en amont m’aide à digérer ces références. Ensuite, c’est assez libre, en fonction des circonstances de tournage. Là, on devait se conformer à des horaires très précises, à la lumière russe qui monte tôt le matin et décline très vite le soir.

Drame, action français allemand de Alice Winocour. 3,9 étoiles sur AlloCiné.

">