Le grand bain

C’est dans les couloirs de leur piscine municipale que Bertrand, Marcus, Simon, Laurent, Thierry et les autres s’entraînent sous l’autorité toute relative de Delphine, ancienne gloire des bassins. Ensemble, ils se sentent libres et utiles. Ils vont mettre toute leur énergie dans une discipline jusque-là propriété de la gent féminine : la natation synchronisée. Alors, oui c’est une idée plutôt bizarre, mais ce défi leur permettra de trouver un sens à leur vie... 

Entretien avec Gilles Lellouche, le réalisateur.  

 Depuis combien de temps portez-vous le projet du GRAND BAIN ?
Cinq ans. En fait, il y a HUIT ans, j’ai commencé à écrire un film qui contenait déjà un peu les prémices du GRAND BAIN. Je voulais parler de cette lassitude - pour ne pas dire dépression un peu latente - que je sentais chez les gens de ma génération ou même plus globalement, dans ce pays. Dans cette course un peu individualiste où l’on se retrouve tous malgré nous coincés, on oublie le collectif, l’entrain, le goût de l’effort.

Il y avait déjà ce côté cercle de parole qui m’avait beaucoup marqué quand j’avais assisté à des réunions d’alcooliques anonymes pour préparer UN SINGE SUR LE DOS, le film de Jacques Maillot dans lequel je jouais un alcoolique. J’avais été ébahi par la chaleur humaine, le dialogue, l’écoute qui y régnaient, sans aucun jugement. On vit dans une société où les émissions de télé, les débats sont remplis de jugements et d’avis tranchés sur tout, alors j’ai adoré cette bulle de partage. J’avais commencé à écrire autour de ça, mais il manquait une dimension poétique et cinématographique.

Hugo Selignac m’a conseillé de regarder un documentaire sur ARTE qui suivait une bande de Suédois pratiquant la natation synchronisée masculine, j’ai su que j’avais trouvé mon sujet : une troupe d’hommes plus ou moins désenchantés qui courent après des rêves déchus. Ensuite j’ai demandé à Ahmed Hamidi, dont je connaissais bien le travail et qui était un auteur phare des Guignols à la grande époque, d’écrire avec moi et, dans un second temps, Julien Lambroschin. 

Il y a une bonne dizaine de personnages dans LE GRAND BAIN, et fait rare dans les films choraux, ils existent tous !
J’ai souvent lu des scénarios où il y avait une intention de film choral mais qui, la plupart du temps, laissaient certains personnages sous-développés, ou sans arche, sur le bascôté de la route. On souffre un peu d’une sorte de psychologie de bandes dessinées dans les comédies.

Alors j’ai pris soin pendant presque un an de ne développer que l’arche et la trajectoire de mes personnages, je voulais qu’ils aient tous une existence propre et des accidents de parcours. Et puis étant donné que le film était relativement masculin par son sujet, j’avais envie de faire la part belle aux personnages féminins aussi. C’est par les femmes et pour elles que mes héros vont y arriver.

L’Idée, c’était aussi de réunir des acteurs d’horizons différents ?
Oui, c’était une volonté mais pas une nécessité, je ne me suis pas dit « tiens je vais mélanger des familles d’acteurs ». C’était surtout pour moi des évidences de personnages.

Mathieu, je l’ai rencontré sur le tournage du Rappeneau, BELLES FAMILLES, j’admire son talent depuis le Cours Florent donc l’idée de travailler avec lui me trottait dans la tête depuis longtemps.

Philippe Katerine, s’il m’avait dit non, j’aurais été dans une merde noire car c’est le seul qui pouvait jouer Thierry sans en faire une caricature d’homme enfant agaçante. Il a une fantaisie lunaire, dadaïste, qui collait parfaitement au personnage.

Anglade, on habite dans le même quartier, je le croisais au supermarché du coin, sa poésie me touche infiniment. J’avais ce souvenir de lui dans LA REINE MARGOT avec ses cheveux longs, c’était parfait pour mon rockeur revenu de tout.

Poelvoorde était déjà dans mon premier film, pour moi c’est un génie absolu qui peut tout jouer et qui excelle dans les rôles de roublard.

LeÏla, dans la vie, quand je la croisais, je voyais qu’elle avait une autorité naturelle qui n’avait jamais été exploitée au cinéma. Elle était idéale pour incarner la rigueur du sport, et Virginie, la philosophie.

Quant à Guillaume, je craignais que le personnage l’effraie parce que c’est peut-être le moins sympathique, mais Il a eu l’intelligence de voir sa beauté et ses failles. On parle souvent d’amitié à propos de Guillaume et moi, mais on est aussi beaucoup dans une relation de travail.

D’ailleurs, je n’ai pas voulu tourner avec ma bande de potes. Au bout d’un moment, ça peut être très inhibant. Je suis ravi d’avoir pu me dégager d’une certaine bande dans laquelle on avait pu m’enfermer, me confronter à d’autres univers, d’autres façons de fonctionner. 

Ce sont des acteurs habitués à tenir seuls des films entiers sur leurs épaules, à faire cavaliers seuls. Le slip de bain annihile-t-il les guerres d’egos ?
Absolument ! C’est comme quand vous allez dans une soirée déguisée, la glace se brise beaucoup plus vite ! J’avais effectivement très peur des conflits d’ego, mais il n’y en a pas eu. Ils avaient tous une haute estime les uns des autres, avoir un petit souci d’ego aurait tout de suite été ridicule. 

D’autant que ce n’est pas un film de copains.
C’est quelque chose qui m’a toujours fasciné, ces mecs qui sont capables de faire 20 km le dimanche soir pour se rejoindre et jouer au foot dans un stade municipal alors qu’ils ne se connaissent pas. Il y a une foi, un esprit de groupe entre des gens qui n’ont a priori rien à se dire et qui pourtant, vont aller boire un coup après. Pour autant, ce ne sont pas des amis, mais ils partagent un moment très précis dans leur vie, où se joue quelque chose qui dépasse l’idée du sport, quelque chose comme l’esprit de corps et l’absence de cynisme. 

Ils s’exhibent la moitié du temps en maillot de bain avec un bonnet sur la tête, un pince-nez, pas forcément très sexy. Vous avez eu certaines pudeurs à vaincre ?
Pas du tout. Je dois dire que je n’ai eu à subir aucune coquetterie de la part des acteurs. La mise à nu devait se faire à tout point de vue. Je voulais aussi tenir un discours sur le corps, le ventre, des physiques pas forcément très gracieux dans une époque où règne la dictature de l’esthétique parfaite, du corps musclé, tonique. Je souhaitais montrer des hommes entre 40 et 50 ans qui ne sont pas des athlètes, qui vivent avec leur corps, leur bedaine qui sort, leurs poils, en se grattant le genou.   

Vous aviez des références en tête ? On pense à THE FULL MONTY pour le côté thérapie de groupe chorégraphiée et feel-good movie assumé.
Je ne l’ai jamais vu en entier ! Et je n’ai surtout pas voulu le regarder quand les gens ont commencé à m’en parler. Quand j’ai fait NARCO, j’étais tellement pétri de références que j’ai calqué des plans d’autres films malgré moi. Pour LE GRAND BAIN, je n’ai regardé aucun film, je préférais m’affranchir de toutes références, même s’il y en a forcément plein d’inconscientes.

Comédie dramatique de Gilles Lellouche. Nominé en 2018 au Festival de Cannes et au festival du film francophone d'Angoulême.


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