L’économie collaborative : vers la fin du capitalisme ?

L’économie collaborative est une activité humaine de pair à pair, qui vise à produire de la valeur en commun et qui repose sur de nouvelles formes d'organisation du travail et d'échanges. Elle repose sur une société du partage, qui passe par la mutualisation des biens, des espaces et des outils, des savoirs (l'usage plutôt que la possession), l'organisation des citoyens en "réseau" ou en communautés et généralement l'intermédiation par des plateformes internet. Selon l’essayiste américain, Jeremy Rifkin, la conjonction des nouvelles technologies  et de l’économie collaborative entraînera l’éclipse du capitalisme...

 

Le coût marginal zéro
Le coût marginal est le prix de revient d’un article dès lors que l’amortissement de ce produit a été couvert par les ventes déjà effectuées. Ce coût ne concerne que les frais d’utilisation. Il est extrêmement faible dans le cas d’Internet (coût de diffusion), des énergies renouvelables (hydraulique, photovoltaïque, éolienne) ou des imprimantes 3D. La faiblesse du coût d’utilisation de ces nouvelles technologies (Rifkin parle même de « coût marginal zéro ») et les nouvelles formes collaboratives ne permettront pas de répondre aux exigences de rentabilité des capitaux en secteur capitaliste.

La fin de la concentration capitaliste
Rifkin explique que le capitalisme s’est développé pour répondre aux besoins des révolutions industrielles de la seconde moitié du XIX  siècle. Il fallait de gros capitaux pour tirer les matières premières du sol, créer les structures matérielles nécessaires à leur acheminement (chemins de fer, routes) et édifier les réseaux indispensables de communication et de fourniture d’énergie. La gestion de ces chantiers ne pouvait être que centralisée. La concentration devenait d’autant plus importante qu’il fallait réaliser des économies d’échelle pour garantir un retour sur investissement. Avec Internet, les énergies renouvelables et les imprimantes 3D, cette centralisation n’a plus sa justification.

La relocalisation de l’économie est un facteur de résilience. Des recherches sur les écosystèmes naturels ont établi que la nature n’optimise pas l’efficacité mais assure une balance optimale entre l’efficacité et la résilience. Le journal Science du 22 mai 2015 rapporte les enseignements d’une analyse du plancton océanique effectuée entre 2009 et 2013. Pour la plupart des organismes marins la collaboration est plus importante que la compétition. La conjonction de la collaboration et de la résilience dans l’économie pourrait être la source d’une supériorité de l’économie collaborative délocalisée sur l’économie capitaliste.

Une alternative incertaine
La substitution de l’économie collaborative à l’économie capitaliste n’est pas assurée. D’une part il lui faudra trouver ses propres modes de financement. D’autre part fondée souvent sur des rapports entre individus elle requiert la confiance. Enfin les entreprises fonctionnant sur une base capitaliste se rentabilisent également en fonctionnement collaboratif. C’est le cas de Uber et de Blablacar dans le partage de voitures, Airbnb dans le logement, Lending Club dans le financement et pour les dépôts-ventes dans les vêtements ou les biens. Elles trouvent facilement des capitaux financiers et font des bénéfices à l'instar des autres entreprises capitalistes. Blablacar a procédé à une levée de capital de 100 millions de dollars et a racheté successivement l'européen Car.pooling, le hongrois Auto-Hop et le mexicain Rides. Uber France transfère ses bénéfices à sa maison mère aux Pays-Bas. Des entreprises capitalistiques normalement non collaboratives intègrent également des comportements collaboratifs dans leurs activités habituelles. Leroy Merlin teste la vente de produits d’occasion. Decathlon ou M. Bricolage servent d’intermédiaires dans la vente, voire la location, de matériel d’occasion entre particuliers. Facebook utilise la production participative (crowdsourcing) pour améliorer les services qu’il fournit à ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent développer de petits logiciels connexes et les greffer à son code informatique. Amazon accroît son audience en diffusant les avis, qu’ils soient bons ou mauvais, de ses clients sur ses produits et en servant d’intermédiaire dans la vente de produits d’occasion.

Il est aussi régulièrement fait référence à un mouvement qui conduirait à supprimer le salariat pour lui substituer une société reposant sur une multitude d'offreurs (tout à chacun pourrait le devenir afin de mobiliser au mieux les ressources). Cela pose la question des travailleurs indépendants et de l'explosion de leur nombre (ex : des livreurs, des chauffeurs, des jardiniers et...). Si cela n'est pas sans interroger le droit du travail  la société a effectivement changé de visage puisque les travailleurs indépendants sont beaucoup plus nombreux qu'il y a une dizaine d'années et le salariat n'est plus l'unique modèle (même s'il demeure dominant). L'essentielle de cette question réside dans la protection sociale offerte aux travailleurs indépendants et de l'éventuelle adaptation des mécanismes existant.

Débat autour d'une régulation
En France, plusieurs acteurs de l'économie collaborative sont critiqués par les acteurs dits « traditionnels ». On peut citer le combat des taxis  contre la société Uber, l'inquiétude des hôteliers  face à AirBnb, ou encore la grogne des restaurateurs  face aux cuisiniers amateurs. Face aux protestations des différentes filières, le gouvernement a commencé à étudier plusieurs pistes pour réguler les acteurs de l'économie collaborative. Une instruction fiscale du 30 août 2016 fait le point sur l'obligation de déclaration des revenus issus des plateformes collaboratives et leur imposition. Elle a établit le seuil de 3.000 € à partir duquel les utilisateurs devront déclarer leurs revenus via les plateformes collaboratives. A partir du 1er janvier 2019, il sera obligatoire pour ces dernières de déclarer automatiquement en ligne, à l’administration fiscale, les revenus réalisés par leurs utilisateurs.

L’investissement
Le financement participatif fournit des fonds à l’économie collaborative. Ce n’est pas suffisant. Les investissements peuvent être importants (fablabs, énergies alternatives). Jérémy Rifkin estime que l’État ou les collectivités territoriales sont à même de prendre la relève. Les retombées quantitatives et qualitatives dans les domaines économiques, écologiques ou sociaux justifieraient cette dotation.

La confiance
Les échanges, le partage, la coproduction, la mutualisation nécessitent, à des degrés divers, la confiance entre participants. La confiance, qu’elle soit entre pairs ou envers la plateforme, apparaît comme l’élément fondamental garantissant le bon fonctionnement de l’économie participative. C’est d’ailleurs l’avis de Brian Chesky, cofondateur d’Airbnb, qui explique que « La confiance est la monnaie d’échange qui fait la valeur ». Les plateformes collaboratives ont mis en place des systèmes de notations réciproques, de commentaires, d’indicateurs statistiques (temps de réponse, pourcentage de satisfaction…) afin de rassurer les particuliers et de leur donner des critères de choix, de jugement.

"Dans son rapport sur l’économie collaborative rendu en février 2016, Pascal Terrasse, député d’Ardèche, soulève le point de la fiabilité des systèmes de notations et d’avis en ligne. En se basant sur le baromètre 2015 de l’institut Opinion Way sur le commerce entre internautes, il rappelle que 74 % de ces internautes trouvent essentielle la possibilité de noter ses pairs pour instaurer une confiance. Et pourtant, d’après le député, les systèmes de notations ne sont pas toujours fiables."

Déjà la quasi-totalité des grands réseaux sociaux collaboratifs ont institué un classement fondé sur la réputation et la fiabilité des membres. Chaque membre est ainsi doté d’un «capital social ». Ces plateformes mettent également en place des systèmes afin de permettre la vérification d'identité de ces utilisateurs (scanner des pièces d’identité, lier ses comptes Facebook et/ou Google au compte de la plateforme, contrôle de l’identité (pas de pseudonyme), etc.). Afin d’inspirer confiance, nombreuses sont les plateformes qui permettent (voire imposent) d’écrire un cours résumé pour se présenter, mais également d’insérer une photo d'identité. Enfin, pour accroître le capital confiance de ces utilisateurs, certaines plateformes imposent le paiement en ligne.

Pourtant, cette confiance pose certaines limites. Thierry Pénard, Mehdi Farajallah, Robert Hammond ont mené des expériences en France et aux États-Unis pour y soulever une forme de comportements discriminatoire de la part de certains utilisateurs de Blablacar et de AirBnB. « Deux études américaines menées sur la plateforme AirBnB mettent en évidence des comportements de discriminations raciales. Ainsi, Edelman et Luca (2014) montrent qu’à New York, un logement Airbnb proposé par un hôte « afro-américain » est 12 % moins cher qu’un logement à caractéristiques identiques proposé par un hôte « blanc ». De même, Edelman, Luca et Svirsky (2016) observent que sur AirBnB, la probabilité d’accepter une demande de réservation est plus faible lorsqu’elle émane d’une personne ayant un nom à consonance afro-américaine. » De la même façon, une étude menée sur le site de covoiturage Blablacar (Farajallah, Hammond et Pénard, 2016) montre que « les conducteurs ayant un nom à « consonance arabe ou musulmane » ont une probabilité plus faible de remplir leur voiture que des conducteurs ayant un nom à « consonance française » et affichent des prix plus bas sur les trajets qu’ils offrent ». « Si l’environnement numérique peut réduire les discriminations, en facilitant les interactions et transactions anonymes, il peut aussi les exacerber et attiser les discours racistes comme on le voit sur les réseaux sociaux. Des plateformes numériques comme AirBnB, Facebook ou Blablacar permettent de rendre plus visibles les discriminations et de mieux quantifier leurs effets (et leur coût économique) ». Ainsi dans ce contexte-là, AirBnB a mis en place un certain nombre de mesure tel que l’obligation de respecter une charte interdisant toute forme de discrimination et de développer un système de réservation instantanée.

L'assurance
La confiance est garantie par l’assurance : sans assurance, pas de confiance, et, sans confiance, pas d’économie collaborative. Selon T. Ollivier, responsable de l’économie collaborative à la Maif, « L’économie collaborative nous renvoie aux fondamentaux de l’assurance : rassurer ». Les assureurs et start-ups de l’économie participative travaillent ensemble en vue d’élaborer de nouvelles solutions de garanties permettant de passer d’une « économie de possession » à une « économie d’usage ».

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : Fotolia.com.

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