Choix d’un prestataire incompétent : un président de SAS sanctionné

Une SAS souhaite mettre en place un logiciel de gestion. Le président de la société fait appel à un prestataire malgré les réticences de son conseil de surveillance qui avait soulevé le fait que ce prestataire avait déjà travaillé pour l’entreprise et n’avait pas donné satisfaction. Au final, le logiciel reviendra à un coût sept fois plus élevé que le devis initial. La SAS après avoir révoqué son président l’assigne en responsabilité pour faute de gestion. La Cour de cassation condamne l’ancien dirigeant à plus de 200.000 € de réparation... 

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre commerciale du 5 avril 2018.
Pourvoi n° 16-23365. 

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant : 

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X... que sur le pourvoi incident relevé par M. Z... ; 

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que M. X... a été recruté le 3 juin 2002 par la société RM System GmbH, dont la SARL RM System France devenue la SAS RM System France (la société RM) et la SARL RM System Nord étaient les filiales ; qu'il est devenu, en 2007, gérant de cette dernière, puis, le 3 novembre 2008, président de la société RM ; qu'en 2010, la société RM System Nord a été absorbée par la société RM ; que, reprochant diverses fautes à M. X..., celle-ci l'a révoqué puis assigné en paiement de dommages-intérêts ; que M. X... a appelé en garantie les deux actionnaires de cette société, MM. Z... et Y... ; 

Sur le premier moyen du pourvoi principal : 

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société RM la somme de 242 423,66 euros alors, selon le moyen : 

1°/ que dans ses conclusions, la société RM précisait que la faute de gestion reprochée à M. X..., consistant à avoir accepté un voyage privé en contrepartie d'avantages commerciaux, avait causé à la société RM un préjudice tenant à une augmentation des coefficients tarifaires appliqués ; qu'elle ajoutait que : « la concession de la société Reflex de financer le voyage est la contrepartie d'une augmentation indue des prix supportés par la société RM System » ; qu'elle n'incluait pas, dans son préjudice, l'abandon d'un avoir de 23 777 euros ; qu'en retenant l'abandon de cet avoir au titre du préjudice, la cour d'appel a statué ultra petita et a violé l'article 4 du code de procédure civile ; 

2°/ que pour fixer le préjudice subi par la société RM à la somme de 56 759,20 euros, la cour d'appel s'est livrée à des calculs qui n'étaient pas ceux des parties ; qu'elle a retenu que le trop versé par société RM correspondait à la différence entre le coefficient qu'il aurait été « normal » d'appliquer et celui qui avait été effectivement appliqué ; qu'en calculant, sans s'en expliquer, ce différentiel au regard du chiffre d'affaires réalisé en 2009 et en 2010 par la société RM, la cour d'appel a privé sa décision de motif et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

 Mais attendu, d'une part, que la société RM ayant réclamé dans ses écritures la somme de 87 126,02 euros au titre du préjudice résultant du financement d'un voyage par la société Reflex au bénéfice de M. X..., la cour d'appel, qui a évalué à 56 759,20 euros ce préjudice, n'a pas statué au-delà de ce qui lui était demandé ; 

Et attendu, d'autre part, que sous le couvert d'un grief non fondé de violation de l'article 455 du code de procédure civile, le moyen, en sa seconde branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, de l'étendue du préjudice réparable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; 

Sur le troisième moyen du pourvoi principal : 

Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 

1°/ qu'en reprochant à M. X... d'avoir choisi la société Ideal Concept comme prestataire informatique et de n'avoir pas mis fin au contrat en dépit du retard de livraison, sans préciser en quoi ce faisant, M. X..., qui n'était pas un professionnel de l'informatique, avait commis une faute de gestion, la cour d'appel a violé les articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce ; 

2°/ qu'en retenant, pour considérer que M. X... avait commis une faute de gestion en choisissant la société Ideal Concept, que les précédentes prestations de celle-ci n'avaient déjà pas donné satisfaction, quand aucune des parties ne soutenait un tel moyen, la cour d'appel qui a méconnu l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ; 

3°/ qu'il résultait des pièces produites par M. X... que MM. Y... et Z... étaient parfaitement informés des difficultés rencontrées par le projet et de l'augmentation des coûts ; qu'en reprochant à M. X... d'avoir cherché à échapper au contrôle du comité de surveillance en versant des acomptes inférieurs au seuil au-delà duquel il aurait dû l'informer, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur les documents dont il ressortait que le comité était tenu informé, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ; 

4°/ qu'en condamnant M. X... au paiement du dépassement du coût du marché, sans s'expliquer sur ses conclusions qui faisaient valoir que la société RM avait bénéficié d'un crédit d'impôt qui avait réduit d'autant son préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de motif et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

 

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que le comité de surveillance était réticent quant à la décision de M. X... de confier à M. B..., sous l'enseigne Ideal Concept, la réalisation d'un logiciel, M. B... ayant réalisé précédemment un logiciel pour la société Reflexe services « pas convivial et compliqué à utiliser » selon les témoignages de MM. Z... et Y... ; qu'il en déduit que M. X... a commis une erreur en confiant un projet à un informaticien dont les prestations passées étaient d'une qualité douteuse ; qu'en retenant un élément de fait contenu dans deux pièces régulièrement produites aux débats, peu important qu'il n'ait pas été spécialement invoqué par la société RM, la cour d'appel n'a pas modifié l'objet du litige ; 

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que M. X... a commis une erreur initiale en n'élaborant pas un projet prenant réellement en compte les besoins de l'entreprise, puis en confiant à M. B... un projet dépassant les compétences d'un informaticien travaillant individuellement et ayant précédemment fourni des prestations d'une qualité douteuse et ce, malgré la réticence du conseil de surveillance ; qu'ayant relevé que le coût initialement prévu avait été multiplié par sept, que le logiciel commandé n'avait jamais été livré, et que tous les acomptes versés étaient inférieurs à 10 000 euros, seuil en-dessous duquel la validation du conseil de surveillance n'était pas requise, il retient que M. X... a commis une erreur en maintenant le contrat cependant que le cocontractant ne respectait pas ses obligations ; qu'il retient enfin une erreur de M. X... qui, jusqu'à la décision du conseil de surveillance de bloquer le paiement des factures, a laissé faussement croire aux cadres de la société RM qui se plaignaient de l'inefficacité de la société Ideal concept, que le contrat avec cette société allait être rompu ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu décider que M. X... avait commis une faute de gestion ; 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; 

Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal : 

Attendu que M. X... fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que la cour d'appel a retenu qu'entre octobre 2003 et décembre 2005, Mme C... avait été employée fictivement par la société RM System Nord ; qu'en imputant à M. X... cet emploi, tout en constatant qu'il n'était devenu gérant de la société RM System Nord que le 6 juillet 2007, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres décisions et a violé les articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce ; 

Mais attendu qu'ayant constaté que Mme C... avait été employée fictivement par la société RM System Nord à compter du 20 octobre 2003 et travaillait en réalité aux domiciles de MM. X... et Z..., l'arrêt relève qu'à cette date, cette société n'avait pas encore de personnalité juridique cependant que M. X... avait la qualité de directeur général de la société RM, avait déjà été nommé fondé de pouvoirs et, à ce titre, avait reçu mandat de négocier et de conclure des opérations pour le compte de la société, sa signature engageant l'entreprise, notamment en matière de recrutement ; qu'il retient que si M. X... n'est devenu gérant de la société RM System Nord que le 6 juillet 2007, il a cependant rédigé dès le 2 janvier 2006 un faux certificat de travail relatif à Mme C..., et qu'il est établi par les pièces du dossier qu'il l'a embauchée directement ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que M. X... avait commis des fautes de gestion en manquant au devoir de loyauté envers la société RM et en agissant à l'encontre de son intérêt social ; que le moyen n'est pas fondé ; 

Sur le moyen unique du pourvoi incident : 

Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt de dire qu'il garantira M. X... de sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour l'emploi fictif de Mme C... mais de dire que cette garantie se limitera à la moitié de la somme arrêtée alors, selon le moyen, que si la cassation devait être prononcée du chef du quatrième moyen du pourvoi principal, la censure, remettant en cause le principe de la condamnation de M. X... au paiement de dommages-intérêts pour l'emploi fictif de Mme C..., devra être étendue au chef de dispositif par lequel la cour d'appel a condamné M. Z... à le garantir pour moitié de cette condamnation, conformément aux dispositions de l'article 625 du code de procédure civile ; 

Mais attendu que le rejet du quatrième moyen du pourvoi principal rend sans objet le moyen du pourvoi incident ; que le moyen ne peut être accueilli ; 

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, qui est recevable : 

Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile ; 

Attendu que l'arrêt condamne M. X... à payer à la société RM la somme de 242 423,66 euros dont 62 756,14 euros au titre du préjudice financier résultant de la création d'une fausse facture au nom de la société Alstom, acquittée indûment par la société RM par des fonds dont elle a été privée durant six mois ; 

Qu'en statuant ainsi, alors que dans ses écritures, la société RM ne demandait que de constater la faute commise sans réclamer de dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé les textes susvisés ; 

Vu l'article 624 du code de procédure civile ; 

Attendu que la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif qui constate que le montant des préjudices subis par la société RM du fait des agissements de M. X... se chiffre à 263 823,02 euros mais que la société RM entend limiter le montant des dommages-intérêts qu'elle sollicite à la somme de 242 423,66 euros ; 

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties ; 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : 

REJETTE le pourvoi incident ; 

Et sur le pourvoi principal : 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la création d'une fausse facture au nom de la société Alstom, acquittée indûment par la société RM System France par des fonds dont elle a été privée durant six mois a généré un préjudice financier de 62 756,14 euros, constate que le montant des préjudices subis par la société RM du fait des agissements de M. X... se chiffre à 263 823,02 euros mais que la société RM entend limiter le montant des dommages-intérêts qu'elle sollicite à la somme de 242 423,66 euros, et condamne M. X..., en conséquence, à payer à la société RM System France la somme de 242 423,66 euros, augmentée des intérêts, l'arrêt rendu le 7 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; 

Dit n'y avoir lieu à renvoi ; 

Condamne M. X... à payer à la société RM System France la somme de 201 066,88 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2016 ; 

Condamne la société RM System France aux dépens ; 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros, condamne M. X... à payer à M. Z... la somme de 3 000 euros et à M. Y... la somme de 1 500 euros ; rejette les autres demandes ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille dix-huit. »

Photo : TexelArt - Fotolia.com

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