Les bleus : ils nous on fait oublier la honte de Knysna

Le magnifique parcours de l’équipe de France dans la coupe du monde russe de 2018 a réussi à faire oublier le fiasco de Knysna lorsque la génération précédente des joueurs français a fait grève lors de la Coupe du monde de football 2010 en Afrique du Sud. Cet épisode constitue le paroxysme d'une série d’événements ayant mis à jour l'échec sportif, les conflits internes  et, plus généralement, la crise connue par l'équipe de France de football et ses joueurs durant cette Coupe du monde. Considérée comme la plus grave crise que l'équipe de France de football a connue dans son histoire, elle se produisit dans la ville sud-africaine de Knysna où se trouvait le centre d'entraînement de la sélection française...

Malmenés dans les éliminatoires à la fin desquels la France se qualifie en barrage grâce à une main de Thierry Henry, les Bleus connaissent une préparation compliquée marquée par plusieurs polémiques avant de sombrer dès le premier tour de la compétition finissant sans aucune victoire. Toutefois, l’événement prend une tout autre tournure lorsque la presse révèle que l'attaquant Nicolas Anelka a insulté le sélectionneur Raymond Domenech à la mi-temps du match contre le Mexique. La Fédération décide d'exclure l’attaquant de l'équipe mais les joueurs marquent leur opposition à cette décision en boycottant un entraînement prévu le 20 juin 2010. Cette grève, symbolisée par l'image du bus dont les joueurs refusent de descendre, constitue alors une situation inédite et aggrave considérablement la situation des Bleus en Afrique du Sud. La défaite finale face aux Sud-Africains lors du troisième et dernier match provoque l’élimination déjà imminente de la France et achève le fiasco.

Les événements sont vivement relayés dans les médias français et internationaux, et occupent une grande partie de l'espace médiatique durant l'été 2010 en France en parallèle de l'affaire politique Woerth-Bettencourt. En effet, cette crise et les événements relatés en Afrique du Sud provoquent un large scandale dans l'opinion publique et dans la presse, dont l'ampleur est telle que le président de la République Nicolas Sarkozy décide d'intervenir par l’intermédiaire de ses ministres, la ministre des Sports Roselyne Bachelot et la secrétaire d'État Rama Yade. L'affaire remonte même jusqu'à l'Assemblée Nationale. Cette crise a de nombreuses conséquences avec un vaste changement à la Fédération et des sanctions sportives et financières à l'encontre de plusieurs joueurs. De manière plus générale, ce fiasco contribue à une perte de réputation massive de l'équipe de France et du football français à l'étranger. Plusieurs enquêtes, livres et documentaires paraissent dans les années suivantes pour en expliquer les raisons.

Cette crise marque les esprits de ses acteurs et des observateurs et donne naissance à un désamour de la part du public français pendant quelques années. Elle précipite la fin de la carrière internationale de plusieurs joueurs remplacés par une nouvelle génération. Elle marque enfin l’arrivée de plusieurs joueurs champions du monde 1998 aux commandes de l'équipe de France à commencer par Laurent Blanc qui prend dans la foulée le poste de sélectionneur.

Échanges entre Anelka et Domenech
Au cours de la mi-temps du match France-Mexique, Raymond Domenech, très agacé par la première période de ses joueurs, demande à Nicolas Anelka d'effectuer plus d'appels en profondeur et de cesser de « décrocher », l'international tricolore exprime son désaccord envers son sélectionneur et finit par lui adresser son mécontentement par une phrase insultante dans les vestiaires en le tutoyant. Objets de débats, les vrais mots d'Anelka varient selon les sources. Si Raymond Domenech précise qu’il n'a « pas entendu la phrase telle qu'elle a été imprimée à la Une de L'Équipe », cette incertitude s'explique par le fait qu’il était seul face aux joueurs et qu'aucun membre de l'encadrement n'était présent dans le vestiaire à ce moment-là.

La Une du journal L'Équipe
Le lendemain de la rencontre, l'encadrement évoque la décision d'exclure Nicolas Anelka tout en sachant que la Coupe du monde est déjà presque terminée pour les Français. Une avalanche de critiques s'abat sur les Bleus à la suite de la défaite contre le Mexique. Cependant, la révélation de la dispute entre le sélectionneur et Anelka va changer considérablement la donne. En effet, Anelka puis l'encadrement sont prévenus dans la nuit du 18 au 19 juin que l'altercation se retrouvera dans L'Équipe le lendemain. Le 19 juin, le quotidien sportif français publie en première page l'image sombre de Raymond Domenech et de Nicolas Anelka, en inscrivant en gros titre : « Va te faire enculer, sale fils de pute », propos prêtés au joueur.

Dans l'après-midi, Jean-Louis Valentin (directeur délégué de la Fédération), Jean-Pierre Escalettes et Patrice Évra se rendent en conférence de presse. Tandis que le président de la FFF tente de minimiser l'incident, Patrice Évra déclare alors : « Mais le problème de l'équipe de France, ce n'est pas Anelka, c'est le traître qui est parmi nous, il faut le dire. Comment cette chose a pu sortir dans la presse ? Il n'y a que nous, les joueurs et le staff, qui savions. C'est ce traître qu'il faut éliminer du groupe. », citation restée dans les annales et qui lui sera vivement reprochée par la suite. En effet, à la suite de cette publication polémique du journal L'Équipe, les joueurs de l'équipe de France cherchent à connaître l'identité de celui qui a parlé à un membre extérieur de l'équipe de France de l'altercation entre Domenech et Anelka, qu'ils surnomment « la taupe ». Cet intérêt pour retrouver « la taupe » plutôt que de se concentrer sur le dernier match provoque la consternation des observateurs.

Devenu très médiatique, cet épisode extra-sportif a des conséquences directes sur la gestion du groupe en interne. Prévenu, le président de la Fédération française de football, Jean-Pierre Escalettes, affirme qu'« il faut le [Anelka] renvoyer chez lui, pour le futur, pour l'image et pour l'exemple ». Peu après, à la demande du capitaine Patrice Évra, Domenech et Escalettes acceptent de garder Nicolas Anelka à condition qu'il s’excuse « publiquement, devant le staff et l'équipe ». Devant le refus de ce dernier de s'excuser publiquement même s'il avait engagé une démarche avec le sélectionneur, la FFF publie un communiqué en début de soirée qui annonce le renvoi du joueur de Chelsea.

Peu avant son départ, Nicolas Anelka a l'autorisation de rester pour le repas avec ses coéquipiers. Lors d'une réunion improvisée, l'ensemble des joueurs se réunissent une dernière fois dans l’un des salons du luxueux hôtel Pezula. Tandis que quelques applaudissements sont entendus, il semblerait que c'est lors de ce conciliabule que l'idée de faire grève en soutien à Nicolas Anelka aurait germé. Le joueur de Chelsea reprend l'avion quelques heures plus tard à destination de Londres. Mais si tous les joueurs ont accepté ce boycott à cette occasion, « on ne croit toujours pas complètement que cette grève ait été une question de solidarité, mais plutôt une question de pouvoir classique, de savoir qui commande, qui parle et qui se tait ».

La grève du bus
Alors qu'ils se rendent à l'entraînement, les joueurs refusent de s'entraîner en soutien à l'attaquant français, exclu du groupe. Après avoir salué les supporters présents au Field of Dreams (le nom du stade), les Bleus refusent de participer à l'entraînement et remontent dans leur bus. Cette décision provoque la colère du préparateur physique Robert Duverne, qui a alors une altercation avec le capitaine des Tricolores, Patrice Évra. Les deux hommes finissent par être séparés par Raymond Domenech. Cet épisode reste marqué par l'image de Robert Duverne, jetant son chronomètre au sol, excédé par le comportement des joueurs.

En compagnie d'Évra, remonté dans le bus, les joueurs de l'équipe de France vont pendant près d'une demi-heure s'entretenir à l'écart des membres de l'encadrement technique, restés sur la pelouse. D'après William Gallas, les joueurs voulaient alors quitter le centre d'entrainement, mais Domenech a demandé au chauffeur de quitter le bus, bloquant ainsi les joueurs. Évra demande à François Manardo, le chef de presse, de lire le communiqué de presse des joueurs mais ce dernier, ne voulant pas être complice ou l'otage des joueurs contre ses employeurs, refuse. Excédé, Raymond Domenech sort finalement du bus pour lire devant les médias présents un communiqué expliquant les raisons de cette mutinerie : « Par ce communiqué, tous les joueurs de l’équipe de France, sans exception, souhaitent affirmer leur opposition à la décision prise par la Fédération française d’exclure Nicolas Anelka ».

Face à cette situation inédite, Jean-Louis Valentin, le directeur délégué de la FFF, annonce vouloir présenter sa démission et quitter l'Afrique du Sud pour rentrer à Paris. À la suite de la lecture du communiqué expliquant le refus de s'entraîner, les joueurs, restés dans le bus, repartent en direction de leur hôtel, sans Robert Duverne.

D'après Patrice Evra, les Bleus envisageaient initialement de faire grève pour le match contre l'Afrique du Sud, et c'est lui qui aurait convaincu ses coéquipiers d'y renoncer pour, à la place, faire une grève de l'entrainement. Cette grève du match aurait en effet conduit la Fifa à rayer la France de la carte pendant quatre à six ans.

Jours suivants et élimination
Le 22 juin 2010, les Bleus jouent leur dernier match de la Coupe du monde contre l'Afrique du Sud, Éric Abidal « l'un des plus agités dans le bus », refusant de jouer cette rencontre. Au vu des scores du Groupe A, la France était quasiment éliminée, car elle devait absolument gagner avec 4 buts d'écart (si l'Uruguay gagne) ou 5 (si le Mexique gagne). En effet, un match nul entre l'Uruguay et le Mexique les qualifierait tous les deux.

Après que son équipe a encaissé deux buts, Florent Malouda inscrit l'unique but des Bleus dans cette Coupe du monde à la 70 minute. La France est donc éliminée sur le score final de 2 buts à 1 pour l'Afrique du Sud. La fin du match prend une tout autre tournure puisque Raymond Domenech refuse de serrer la main du sélectionneur de l'Afrique du Sud, Carlos Alberto Parreira qui avait déclaré que l'équipe de France ne méritait pas de participer à la Coupe du monde à la suite de la main de Thierry Henry.

Un évènement devenu enjeu de débat public
Dépassant le cadre purement sportif, l'épisode de Knysna a provoqué l'intervention de certains politiques, à l'image de Roselyne Bachelot. L'ancienne ministre avait déclaré à propos des leaders de ce mouvement de grève avoir affaire à des « caïds immatures ».

Comme énoncé plus haut, cette intervention de l'État s'est poursuivie avec la rencontre entre Thierry Henry et le président de la République Nicolas Sarkozy au palais de l'Élysée, le jeudi 24 juin 2010. Le président français s'est par la suite entretenu avec quelques membres de son gouvernement (François Fillon, Roselyne Bachelot et Rama Yade) après cette déconvenue des Tricolores. Le gouvernement avait alors demandé à la FFF de ne pas verser de primes financières aux joueurs.

La grève de Knysna, par l'ampleur du débat public qu'elle a provoqué, a même fait l'objet de plusieurs ouvrages. Des personnalités du spectacle, des journalistes, des anciens joueurs champions du monde 1998 et des anciens sélectionneurs ont témoigné pour expliquer les raisons du fiasco sur le plan sportif, relationnel entre les joueurs, et gouvernemental.

Ce coup médiatique a été l' objet de quolibets et moqueries, de la part des humoristes, chansonniers, jamais les joueurs, ainsi que Raymond Domenech, n' ont été autant la-risée des chroniqueurs dans les émissions satiriques de TV et de radio.

Sanctions
Une mission d'information a été mise en place par la Fédération Française de Football, composée de 3 membres : Jacques Riolacci (ex-président de la commission de discipline de la LFP), Laurent Davenas (magistrat), Patrick Braouezec (député de Seine-Saint-Denis et président de la Fondation du Football).

18 des 23 joueurs grévistes ont été audités. À la suite du rapport de la commission de discipline, la FFF a décidé de convoquer les cinq joueurs suivants : Nicolas Anelka (pour ses insultes à l'encontre du sélectionneur), Patrice Évra, Franck Ribéry, Jeremy Toulalan, Éric Abidal.

Le 17 août 2010, la commission de discipline de la FFF a rendu son verdict et a infligé : 18 matches de suspension ferme pour Nicolas Anelka, 5 à Patrice Évra, 3 à Franck Ribery et 1 à Jérémy Toulalan. Seul Éric Abidal n'a pas été sanctionné. Le lendemain, Nicolas Anelka a du reste déclaré qu'il était mort de rire et qualifie les dirigeants de la FFF de « clowns » en annonçant que sa carrière internationale était terminée après son éviction de Knysna.

Le 23 août 2010, Patrice Évra a annoncé qu'il ferait appel à sa sanction, que la FFF confirmera le 9 septembre 2010. Le lendemain, les ex-sélectionneurs Michel Hidalgo, Aimé Jacquet, Guy Roux et Jean Djorkaeff (président de la commission fédérale de la Coupe de France), Sylvain Kastendeuch (vice-président), Philippe Piat (président de l'Union Nationale des Footballeurs Professionnels), demandent dans une lettre ouverte adressée à la FFF, l'annulation des sanctions. À l'inverse de Patrice Évra, Franck Ribéry a annoncé le 25 août 2010 qu'il ne fera pas appel des sanctions. Quant à Yoann Gourcuff, désigné par Frank Ribéry et Nicolas Anelka comme « la taupe », et Jérémy Toulalan, ils ne se relèveront pas de cette affaire, Gourcuff sera miné par les blessures et Toulalan refusera de revêtir le maillot bleu et partira dans la foulée pour Malaga avant de devenir capitaine de l'AS Monaco.

De plus, le 5 septembre 2010, Raymond Domenech est officiellement licencié par la FFF pour « faute grave » dans sa gestion de la grève et son attitude en Afrique du Sud (refus de serrer la main du sélectionneur de l'Afrique du Sud).

Jean-Pierre Escalettes, président de la FFF, sera remplacé officiellement par Noël Le Graet le 18 juin 2011.

Texte et photo sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : soccer.ru.


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