Pupille

Théo est remis à l'adoption par sa mère biologique le jour de sa naissance. C'est un accouchement sous X. La mère à deux mois pour revenir sur sa décision...ou pas. Les services de l'aide sociale à l'enfance et le service adoption se mettent en mouvement. Les uns doivent s'occuper du bébé, le porter (au sens plein du terme) dans ce temps suspendu, cette phase d'incertitude. Les autres doivent trouver celle qui deviendra sa mère adoptante. Elle s'appelle Alice et cela fait dix ans qu'elle se bat pour avoir un enfant. PUPILLE est l'histoire de la rencontre entre Alice, 41 ans, et Théo, trois mois...

Entretien avec Jeanne Herry, la réalisatrice 

Pourquoi ce sujet, l’adoption, s’est-il imposé à vous ?
Il est peu traité au cinéma, et pas comme ça, je crois. Les films évoquent la recherche des origines, la quête de l’enfant et parfois aussi celle de l’adopté pour retrouver ses parents plus tard, mais assez peu le moment où le bébé est remis à l’adoption. Le sujet est étranger à ma vie intime, j’ai eu deux enfants biologiques mais j’ai une amie dont je suivais le parcours d’adoption.

Je sortais de mon film ELLE L’ADORE, travaillais sur une pièce de théâtre, je cherchais un sujet, quand cette amie m’a laissé un message qui a tout déclenché. Elle me disait « on m’a appelée, ils ont un bébé pour moi, un bébé français, je le vois dans 4 jours, si tout va bien, il est chez moi dans 8 jours ». Le mélange d’euphorie et de panique dans sa voix était fascinant. Je me suis demandé pourquoi elle était surprise que ce soit un bébé, et un bébé français, et que les délais soient si courts. J’étais allumée de l’intérieur par sa façon de vivre l’événement. Je lui ai demandé la permission d’aller plus loin, de rencontrer les intervenants sociaux, étant entendu que je ne raconterais pas son histoire.

Je suis partie dans le Finistère où j’avais un contact. J’y suis allée plusieurs fois et j’ai compris que la tâche de ces travailleurs sociaux était de trouver des parents pour un bébé, pas de trouver un enfant pour des parents en manque : ce fut une révélation. J’ai trouvé des dispositifs de fiction intéressants dans la matière documentaire. Ces séquences de face-à-face, le fait de parler sans arrêt au bébé, car Françoise Dolto est passée par là, tout ce que je découvrais représentait de futures pépites de mise en scène. 

Il y a eu documentation et décantation, la masse de procédures de l’accouchement sous X jusqu’à l’adoption n’alourdit pas le film, elle l’inscrit au contraire dans le réel. Cette façon de décrire un enchaînement vertueux, de la naissance d’un bébé sous X à son adoption, sans temps morts, huilé comme une mécanique de précision.
Quand j’écrivais, je me disais, on a une équation simplissime, une femme qui ne veut pas de son enfant, et une autre femme qui veut un enfant. Maintenant, il faut nourrir, étoffer cette équation qui est belle et jeanne herry - RÉALISATRICE - sèche comme un énoncé de logique. Et raconter tout ce collectif qui se mobilise et se met en branle pour rendre cette équation possible. Le film traite d’une addition de manques qui vont devenir un plus. 

Les acteurs jouent avec des bébés ou des poupons en plastique ?
Comme c’est un film qui met en scène la réceptivité des bébés au langage verbal, il n’était pas question de prendre des risques, de les mettre dans des situations potentiellement traumatisantes, des scènes où ils auraient entendu « ta mère n’a pas voulu de toi », etc. Les acteurs parlaient avec des poupons en plastique, y compris à la fin, quand Élodie rencontre Théo et se fissure en lui expliquant combien elle est chavirée de rencontrer son fils. 

C’est par le regard que tout arrive, que se noue le lien avec un bébé. On se regarde, on naît à l’amour dans le regard de l’autre. Le film est un ballet de regards croisés.
Les professionnels et les travailleurs sociaux parlent beaucoup de l’observation, des regards croisés sur une situation, pas seulement pour la maman et le bébé ; leur travail c’est de la subjectivité, élaborer des portraits. Deux travailleurs croisent leurs regards et leurs avis sur chaque candidat à l’adoption. 

Pourquoi le film se déroule-t-il en province ?
Il y a une loi nationale pour les protocoles de l’adoption, mais chaque département peut changer des petites dispositions de ce protocole à la marge. Et j’ai enquêté dans le Finistère pour l’écriture. Je connais très bien leur façon de faire. La Bretagne fait partie de mon histoire, c’est l’endroit de la mer, et de la mère. 

Un dernier mot sur votre mère, Miou-Miou, qui a un rôle de Coordonnatrice ?
C’est une immense actrice. Elle ne pouvait pas ne pas être là, dans une ode au collectif. Elle démarre le film, sa voix, que j’adore, elle donne le « la » à toute l’équipe ! 

Drame français de Jeanne Herry. Une nomination au festival du Film Francophone d'Angoulême. 4,3 étoiles AlloCiné.


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