Luna

Luna vit près de Montpellier et travaille dans une exploitation maraîchère. Elle est belle, drôle, elle dévore la vie. Elle serait prête à tout pour garder l’amour de Ruben. Au cours d’une soirée trop arrosée avec ses amis, ils agressent un jeune inconnu. Quelques semaines plus tard, celui-ci réapparaît dans la vie de Luna. Elle va devoir faire des choix... 

Entretien avec Elsa Diringer la réalisatrice

Comment est née l’idée de LUNA, votre premier long-métrage ?  
A l’origine de ce film, il y a le souvenir d’une amitié. Le souvenir d’une fille extraordinaire qui m’a fascinée pendant mon adolescence à Montpellier. Moi j’étais l’intello, la raisonnable, celle qui donnait les bonnes réponses aux contrôles. Elle, c’était la fouteuse de merde, honnie par les profs, conspuée aux conseils de classe où j’étais évidemment déléguée...

On a fumé nos premières clopes, nos premiers joints ensemble. Elle s’amusait à dévaliser les boutiques devant notre collège, elle riait de la tête que je faisais quand j’essayais de l’imiter. On mendiait du fric aux passants, on leur taxait des clopes, on jouait aux caïds dans nos bombers et nos docks martins.

Et puis est arrivé le couperet de l’orientation en fin de 3ème. Elle est partie dans un CAP. Elle s’est mise à fréquenter un groupe de gars qui dealaient du shit sur la Place de la Comédie à Montpellier. Elle est tombée amoureuse d’un type un peu brutal pour lequel elle était prête à tout. On se voyait moins, et quand on se voyait on n’avait plus rien à se dire. On s’est perdu de vue.

LUNA est inspiré du caractère, de la folie et de l’énergie de cette amie. De l’immense fascination que j’avais pour elle à l’époque, et de mon incompréhension quand je l’ai vue changer, prendre de plus en plus de risques pour plaire à ce type qui se servait d’elle sans rien lui donner.

Je pensais alors à cette chanson d’IAM qu’on écoutait en boucle dans les couloirs du collège et dont le refrain répète : « c’est l’histoire d’une femme seule, alors qu’elle voulait aimer ». J’ai eu envie de parler de ça dans mon film : de ce que l’amour peut nous amener à faire. De ce qu’on est prêt à commettre pour exister aux yeux de l’autre, aux yeux d’un groupe. 

Votre film travaille la question du groupe
J’ai beaucoup travaillé avec des jeunes dans des ateliers d’éducation à l’image, dans le cadre de l’association Tribudom, créée par Claude Mouriéras dans le Nord Est Parisien. J’avais notamment une classe de 4ème, où une élève se faisait clairement terroriser par tous les autres, y compris les filles. Cette situation m’avait frappée. Je me disais que pris individuellement ces élèves étaient supers mais en groupe c’était tout autre chose.

Cette question se pose dans tous les milieux et à tous les âges, que ce soit dans des équipes sportives, chez les militaires, les pompiers, lors de bizutages étudiants, etc. Si LUNA est un film qui se déploie avec des jeunes, ce n’est pas seulement un film sur eux. C’est aussi un film qui interroge plus largement notre libre arbitre au sein d’un groupe.   

Pourquoi avoir choisi de filmer l’agression d’Alex avec un téléphone portable ?
Je me suis posé beaucoup de questions au moment de tourner cette scène : à quelle distance être, que filmer, ou pas ? Quand on s’est retrouvé au montage, je n’ai pas été satisfaite des images que j’avais. La scène était trop effleurée pour justifier la suite de l’histoire.

Du coup, puisqu’on voit un des jeunes qui filme dans la scène, on a décidé de faire un retake avec un téléphone portable, en tournant de façon plus frontale. J’ai eu de la chance, les comédiens ont tous accepté de revenir, et le hangar désaffecté était toujours là, même le canapé n’avait pas bougé. Filmer au téléphone portable permet de rentrer dans le point de vue du groupe. La cruauté de l‘image montre leur fascination trouble et permet de condamner l’acte plus ouvertement que ne le faisait « ma » caméra. Mon idée était de filmer le jaillissement de la violence, la dilution de la responsabilité. Chaque personne met un doigt dans l’engrenage et ça va très vite.

Je voulais que ça les déborde, que ça les dépasse, comme une pulsion archaïque. Pourtant, dans ce surgissement, c’était très important pour moi que ce soit Luna qui baisse le pantalon d’Alex. C’est finalement elle qui donne l’idée du viol, elle n’est pas qu’une simple spectatrice. Et le plus important, c’était qu’elle ne mesure pas une seconde la gravité de ses actes, ni pendant, ni après. 

Alex incarne une masculinité et un rapport à la sexualité très différents de ceux de Ruben
Oui, il est beaucoup plus doux, enfantin et précautionneux. Il ne saute pas sur Luna, pense à mettre une capote avant de lui faire l’amour… Le fait qu’elle tombe amoureuse de lui montre déjà que Luna est en train de changer. Elle accepte une relation où elle est davantage sur un pied d’égalité avec l’autre. Et grâce à Alex, notamment quand il l’initie à la trompette, Luna découvre qu’elle est douée pour quelque chose. C’est aussi ça, l’amour : découvrir que tu es mieux que ce que tu crois.   

Dans LUNA, la confrontation au mal est entremêlée à la problématique amoureuse
Pourquoi Luna arrive-t-elle à initier l’acte du viol, en tout cas à en être complice ? Parce qu’elle a très peur de perdre Ruben. Luna est tellement affamée d’amour qu’elle en perd tout jugement. Et c’est justement en détricotant ce rapport à Ruben qu’elle pourra créer l’espace pour aller vers une autre forme d’amour.

Mais ce n’est pas parce que Luna tombe amoureuse que le problème que pose l’agression est résolu. Luna pourrait donner tout l’amour qu’elle veut à Alex, tant qu’elle ne s’excuse pas et n’avoue pas, elle ne résout rien. Bien au contraire. 

L’amour, certes, ne résout pas les choses mais il lui donne la force de les résoudre
C’est l’amour qu’elle a pour lui qui finit par la convaincre d’assumer ce qu’elle a fait, et pourtant elle sait qu’en avouant elle risque de le perdre... C’est sans doute la première fois de sa vie qu’elle fait un véritable choix. C’est là que Luna se sauve dans l’histoire, parce qu’elle prend ce risque.

Vous savez ménager le suspense. Jusqu’à la toute fin du film, on ne sait pas si on est dans une tragédie ou une histoire de rédemption…
Oui, je voulais garder une tension jusqu’au bout, presque à la manière d’un polar… qu’on soit embarqué avec Luna dans cette tension. Qu’on ait peur que la situation lui explose à la figure, tout en espérant qu’elle dise enfin la vérité. Accumuler les nuages au-dessus de sa tête, alors qu’elle continue à danser sous la pluie.

Drame d'Elsa Diringer. Nominations aux festivals du premier film d'Annonay, du film français d'Albi, du flm de Sarlat, du film méditérranéen de Montpelier. 3,9 étoiles AlloCiné.


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