Sans adieu

Dans sa ferme du Forez, à l'est du Massif Central, Claudette, 75 ans, se bat pour rester digne face à une société qui n'a plus grand-chose à faire d'elle, et dont elle a du mal à accepter et à suivre l'évolution. Le monde moderne avale chaque jour un peu plus ses terres, ses bêtes et celles de ses voisins. Comme elle, Jean, Christiane, Jean-Clément, Raymond, Mathilde et tous les autres résistent et luttent au quotidien pour préserver leurs biens... leur vie.   

Quelques mots de Christophe Agou, le réalisateur
Sous les volcans boisés, les sillons de la terre pauvre, les brumes opaques, le parfum du trèfle mouillé, le cri des corbeaux, l’enchevêtrement de la forêt après la tempête, la paix au coeur des vignes, les chemins creusés d’ornières, les champs en friche, la neige balayée par la bise, les mystères de la nuit, le silence… ce réel m’inspire. Au gré du vent, je parcours la plaine et la montagne et cherche intuitivement l’invisible.

Un visage m’apparaît derrière un rideaux en dentelle, je frappe à la porte, on me laisse un peu entrer, des chats s’enfuient par la fenêtre entre-ouverte. Une radio crépite ses faits divers. La fumée du tabac gris me pique le nez. La faible lumière de mars éclaire à peine l’habitat. Au mur, des polaroids jaunis par le temps côtoient une accumulation d’horloges qui ne donnent plus l’heure, un christ poussiéreux, une vierge en plâtre, souvenir d’un pèlerinage à lourdes. Les silences me parlent… De village en village, ferme aprés ferme, je découvre des hommes et des femmes modestes et singuliers : Claudette aux yeux pétillants de bleu et aux lèvres maquillées de rouge. Jeannot, sentimental et révolté, me rappele Charlie Chaplin.

Babette, son épouse, est amoureuse et déborde de tendresse. Raymond est généreux, timide et solitaire. Depuis le départ de son frère, Jean a du chagrin. Je remarque une ombre de mélancolie dans les yeux de Mathilde. Lucien « chasse son cafard » en jouant de l’harmonica. Vaillants, réalistes, ils ne se font pas trop d’illusions. Amoureux de leur campagne, ils vivent loin de ce monde en perpétuelle métamorphose, où il faut être le meilleur et produire toujours plus.

Avec le temps, les échanges et les conversations prennent place. je les écoute du regard. Je veux tout prendre, tout saisir et ne rien perdre. au fils des ans, je photographie et filme leur vie telle qu’elle est. Je m’attache à leurs voix, à leurs gestes, à leurs mondes… J’aime leurs mains noueuses, leurs rides, leur franc-parler, leur bon sens. Mes visites deviennent de plus en plus fréquentes, attendues. Mon oeil curieux les inquiète de moins en moins. Ils me tutoient et ne « craignent » plus mon objectif.

Le silence n’est plus gênant. Chaque instant passé ensemble nous rapproche de l’amitié… J’ai pour mon pays d’enfance, le forez, un amour infini. C’est de cette province de france aux paysages exacerbés, de ces humbles destins, de ces joies, de ces peines humaines et de ces silences assourdissants que je suis allé m’enivrer. 

La naissance du film
« Sans adieu » est une expression typique de cette région du Forez qui signifie, quand deux amis se quittent : Je ne te dis pas adieu pour être sûr de te revoir ! Cet optimisme forcené cache en fait une certaine façon de conjurer le sort. Dans ce film, les personnages réfléchissent, cherchent des solutions, construisent et se battent. Leur ferme est à la fois leur lieu de travail et leur lieu de vie. Il n’est pas ici question d’un film qui chercherait à être populiste ou à se complaire dans la nostalgie car, qui voudrait vivre aussi chichement qu’eux et être aussi peu entendus par notre société ?

SANS ADIEU a pour point de départ l’histoire de Claudette et de paysans ballotés au rythme des politiques agricoles successives et qui vivent entre deux mondes : celui d’hier, dans lequel ils sont profondément ancrés, et celui d’aujourd’hui dont ils ont du mal à comprendre le sens bien qu’ils en soient parfaitement informés. Avec le temps, la globalisation et le progrès bousculent leurs vies toujours un peu plus. Abdiquer n’est pas au programme et ils s’accrochent à leurs terres et à leurs bêtes. Derniers représentants d’un monde perdu, la dureté de leurs vies de labeur et celle de la nature se lit sur leurs visages et sur leurs mains.

Exilé volontaire à New-York où il y vit avec sa femme Niloo depuis 1992, c’est au printemps 2002 que Christophe resent le besoin de revenir plus souvent dans son pays natal, le Forez, pour revoir ceux qu’il avait laissés et aimés mais aussi pour faire de nouvelles rencontres. C’est là que son regard, certainement affuté par l’éloignement depuis toutes ces années, lui révèle une humanité singulière derrière les visages et gestes des petits paysans qu’il rencontre.

La confiance s’établie réciproquement au fur et a mesure des visites. Christophe s’attache à eux et commence à les photographier. Ils acceptent et en résulte la publication de l’ouvrage Face au Silence. À l’occasion de ces prises de vues, il emportait souvent un enregistreur sonore et grâce à ce nouveau matériau, il réalise en 2011 un diaporama présenté aux Rencontres Photographiques Internationales d’Arles.

De temps en temps, on lui prête une camera et il prend conscience du potentiel cinématographique de ceux qui sont devenus ses personnages. Il croyait rencontrer des gens isolés et repliés sur eux-mêmes, mais découvre qu’ils sont les témoins de ce monde qui s’éteint. Ce film permettra peutêtre de les relier à nous. Portraits croisés au gré des saisons, au centre de cette spirale se trouve Claudette. Doyenne charismatique du film, elle incarne le fossé qui sépare une certaine ruralité de notre monde moderne.

Indomptable, elle n’a rien lâché jusqu’à ce que la vieillesse et la maladie aient raison d’elle. Les autres personnages, ses voisins, sont comme une partie d’elle-même ou ses dignes héritiers. La rencontre avec de tels personnages : des gens de peu, comme on disait autrefois, amène à s’interroger sur la consommation et la surconsommation. A-t-on vraiment besoin de plus ? Claudette et ses amis insufflent de la poésie à des endroits où nous n’oserions pas vivre aujourd’hui, si simplement. 

Documentaire de Christophe Agou. 3,6 étoiles AlloCiné.


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