Cessez-le-feu

1923. Georges, héros de 14 fuyant son passé, mène depuis quatre ans une vie nomade et aventureuse en Afrique lorsqu'il décide de rentrer en France. Il y retrouve sa mère et son frère Marcel, invalide de guerre muré dans le silence. Peinant à retrouver une place dans cet Après-guerre où la vie a continué sans lui, il fait la rencontre d'Hélène, professeure de langue des signes avec qui il noue une relation tourmentée...

Entretien avec Emmanuel Courcol, le réalisateur

CESSEZ-LE-FEU nous plonge dans la France de 1923, cinq ans après la fin de la Première guerre mondiale. Pourquoi le désir d’aborder cette période historique ?
À l’origine du projet, il y a mon histoire familiale. La guerre de 14 faisait partie de mon univers d’enfant par le biais des récits de ma grand-mère, mais aussi à travers un de mes grands-pères, Léonce, qui avait combattu pendant la guerre. Je ne l’ai pas connu mais il y avait beaucoup de photos de lui en uniforme dans la maison, des cartes postales du Front… on jouait avec son casque…

Il appartenait à la mythologie familiale. Il avait 20 ans en 1914 et s’est coltiné toutes les batailles jusqu’à celles des Balkans en 19. À la fin de la guerre, il avait été décoré et était redevenu instituteur. Un destin de poilu français assez ordinaire en somme car ce conflit a impacté pratiquement toutes les familles en France. Contrairement aux personnages de mon film, mon grand-père, lui, s’est réintégré dans la société. Mais il m’est impossible de savoir réellement quelles ont pu être ses séquelles psychologiques.

Pourquoi avoir situé l’histoire cinq ans après la guerre, et pas directement au retour de la guerre ?
Je voulais être vraiment dans l’après-guerre, laisser le temps au personnage de Georges d’être parti en Afrique, pour que, du point de vue de sa mère, il ait quasiment disparu lui aussi. Son retour est un véritable événement, il n’a pas fait juste un petit tour en Afrique en touriste !

Surtout, je voulais montrer à quel point, malgré les années écoulées, la guerre n’est pas finie pour ces anciens combattants. Pour la société, c’est déjà de l’histoire ancienne, comme on le voit dans l’épisode parisien, quand ce jeune homme qui n’a pas connu la guerre vient provoquer l’ancien combattant. Ils ont à peine trois ou quatre ans d’écart mais pour lui, celui-ci est un vieux con qui ressasse des histoires des tranchées dont il n’a rien à faire...

Pourquoi Georges est-il parti en Afrique ?
Plus il met à distance l’Europe et ses cauchemars, plus Georges se sent bien. Il s’enfonce dans l’Afrique profonde, contemple la Savane… Ça ne m’intéressait pas de raconter dans le détail ce qu’il y fait, je voulais juste qu’on comprenne qu’il est plus ou moins nomade, fait toutes sortes de trafics, de troc avec son camion et son bateau.

Il convoie même de la main d’œuvre avec son compagnon d’aventure. Mais Georges n’a pas du tout l’esprit colonial. Il est lui-même en marge du système. Il n’arrive pas plus à trouver sa place en Afrique qu’en France… Georges est mené par une espèce de fatum. Il fuit la guerre mais il la retrouve toujours, même au fin fond du Sahel, où il est rattrapé par sa violence à lui. Cette fatalité est presque comique.

De retour en France, Georges semble ne pas comprendre du tout son frère
Il pense qu’apprendre le langage des signes à son frère Marcel est une manière de l’enfermer dans son handicap, qu’avec le temps et la volonté tout se résoudra… En tant qu’officier, Georges a eu l’habitude de donner des ordres, de mener des troupes.

En Afrique aussi, il était le patron, et il pense que son retour dans sa famille va tout changer, que lui va savoir s’occuper de son frère. Georges n’est pas forcément très sympathique au début. Il est un peu arrogant, cassant. Mais il est surtout très touché et désarmé de voir son frère dans cet état qu’il ne comprend pas, qui ne rentre pas dans son logiciel très rationnel : si son frère n’a aucune lésion, il doit parler. Il suffit pour ça de le secouer un peu car qui sait, Marcel fait peut-être exprès... Georges est dans une forme de déni, il veut passer en force.

Tous les personnages doivent faire avec leur traumatisme de guerre, il n’y en a pas un dont la souffrance soit héroïsée…
Oui, toutes leurs douleurs se valent, ils ont tous de bonnes raisons de souffrir. Même Fabrice à Paris, qui masque sa souffrance en étant apparemment davantage dans la vie, dans les affaires… Les personnages sont beaucoup dans la retenue, la pudeur. Ils ne sont pas complaisants avec eux-mêmes, leur douleur s’exprime quand ils ne peuvent vraiment pas faire autrement.

La fin du film est plutôt heureuse…
Oui, même si on ne sait pas ce qu’il va se passer, on voit Georges qui se reconstruit en acceptant de faire ce qu’il avait refusé dans un premier temps : travailler à la réhabilitation des champs de bataille. Georges est sceptique, il voit bien que cela ne suffira pas mais symboliquement, c’est un premier pas d’aller réparer les dégâts là où les hommes se sont battus. Et de se réparer lui-même en s’imposant cette séparation avec Hélène et en essayant de faire la paix avec lui-même. CESSEZ-LE–FEU est avant tout un film sur la réparation.

Le film est dédié "à Léonce et à tous ceux qui firent l’impossible"
À travers mon grand-père, c’est à toute sa génération que je rends hommage.

Drame franco-belge d'Emmanuel Courcol avec Romain Duris. 3,8 étoiles AlloCiné.


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