Visages, villages

Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma. JR a choisi de créer des galeries de photographies en plein air. Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR.  Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant des différences...

Conversation entre Agnès Varda et JR, d’après un entretien avec Olivier Père. 

Olivier Père : Comment est né ce film? Pourquoi avez-vous eu envie de faire ce film ensemble ?
JR: Commençons par le commencement… Agnès Varda: Rosalie… ma fille… nous a fait savoir que ce serait bien qu’on se rencontre. L’idée nous a plu. JR: C’est moi qui ai fait le premier pas. Je suis allé voir Agnès rue Daguerre. J’ai fait des photos de sa façade légendaire — elle habite là depuis cent ans. Et d’elle avec un chat. AV: C’est ta grand-mère qui a cent ans. Moi, pas encore. Le lendemain, c’est moi qui suis allée le voir dans son atelier. J’ai fait des portraits de lui, mais j’ai vite compris qu’il n’avait pas l’intention d’enlever ses lunettes noires. JR: On s’est revus le lendemain et le surlendemain à l’heure du goûter. AV: J’ai tout de suite senti qu’on allait faire quelque chose ensemble. JR: Nous avons d’abord pensé à un court métrage… AV: … documentaire. Il m’a semblé évident que ta pratique de représenter les gens agrandis sur les murs, valorisés par la taille, et ma pratique de les écouter et de mettre leurs propos en valeur, cela allait donner quelque chose. JR: Et puis l’envie de partir ensemble. Ni Agnès ni moi n’avions coréalisé un film auparavant. 

OP: Pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser essentiellement aux habitants de la campagne française ?
JR: C’est Agnès qui a voulu me sortir des villes. AV: Oui, parce que tu es un artiste urbain, vraiment. Et moi, j’aime beaucoup la campagne. Très vite, l’idée de villages est arrivée. C’est là qu’on allait rencontrer des gens, et c’est ce qui s’est passé. On est partis avec ton camion photographique et magique. C’est l’acteur du film, toujours en représentation. JR: Ce camion, je m’en sers depuis des années pour beaucoup de projets. AV: Oui, mais là, c’était notre projet et on partait dedans ensemble. En tout cas, on a joué à ne rouler qu’en camion pour ce voyage en France rurale. Par-ci, par-là. 

OP: Le film est un voyage à travers la France, mais c’est aussi un voyage à travers la mémoire, intime et collective. Des ouvriers, des agriculteurs, des villageois.
JR: Là où on est, on sent très vite si on va faire contact. AV: Il y a quelque chose que j’aime chez toi, c’est ta rapidité. Dès qu’on rencontre des gens, tu imagines tout de suite ce qu’on peut faire avec eux. Par exemple, ce facteur de Bonnieux que j’avais connu, que je voulais te faire connaître parce que j’aime bien les facteurs, j’aime bien les courriers, j’aime bien les timbres. Toi qui communiques essentiellement sur la toile et qui reçois quelque 20000 likes quand tu postes une image, tu as été d’accord de faire de ce facteur un héros de village en format géant. JR: Sur trois étages…

AV: Il était fier d’être si grand. De là, on a roulé vers les Alpes-de-Haute-Provence. JR: Et vers Château-Arnoux, quelqu’un nous a parlé de cette usine. AV: Je connaissais le gars du cinéma local, Jimmy Andreani. J’y avais présenté Sans toit ni loi. Il nous a présenté l’usine. JR: Un peu dangereuse (classée Seveso, seuil haut). Par curiosité, on est allés voir. On a fait des rencontres et on a trouvé des idées là-bas. AV: C’est beau, les lieux industriels. Et les gens qui y travaillent sont bienveillants. JR: Ils ont joué le jeu avec nous pour une photo de groupe. Ailleurs, parfois, je croyais te faire découvrir un lieu et tu y avais été des années plus tôt. Les images que tu avais faites il y a longtemps m’inspiraient. Ces collages que l’on voit dans le film sont le fruit de notre collaboration. AV: Souvent, ce sont des photos de moi que tu colles. JR: Oui, c’est vrai. AV: Comme la grande chèvre avec des cornes, c’était une photo que j’avais prise en repérage.

JR: On a passé pas mal de temps avec cette femme, Patricia, qui garde les cornes de ses chèvres alors que d’autres les brûlent au premier âge des bêtes. AV: Les gens sont intenses dans leur travail et dans leurs propos. Oui, cette femme, elle s’est emballée sur ce sujet des cornes de chèvres avec une conviction impressionnante. JR: Et dans le Nord aussi, on a entendu des paroles fortes. AV: Aujourd’hui, il n’y a plus de mines, mais on a rencontré une femme, la dernière habitante d’une rue de coron. Elle a parlé de son père mineur, et des anciens mineurs nous ont dit des choses très belles sur un monde qu’on n’a pas connu. C’était intéressant de voir qu’ils en parlaient avec une telle force. Cette femme, Jeannine, nous a émus. JR: Tu vas en profondeur en interviewant les gens. Cela me captivait de te voir mener ces conversations.

OP: La fin du film m’a semblé surprenante.
AV: C’est une surprise que nous avons vécue et que je ne souhaite pas commenter. JR: Quand on a pris le train, je ne savais pas où Agnès m’emmenait, c’était le jeu. Puis, on a cessé de jouer, tout est devenu vrai, une aventure. Ensuite, on a regardé le lac Léman… AV: … qui est clément (c’est connu) et c’est là qu’on a quitté le film.

Documentaire d'Agnès Varda et JR. 4,2 étoiles AlloCiné.


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