Cherchez la femme

Armand et Leila, étudiants à Science Po, forment un jeune couple. Ils projettent de partir à New York faire leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais quand Mahmoud, le grand frère de Leila, revient d'un long séjour au Yémen qui l’a radicalement transformé, il s’oppose à la relation amoureuse de sa sœur et décide de l’éloigner à tout prix d’Armand. Pour s’introduire chez Mahmoud et revoir Leila, Armand n’a pas le choix : il doit enfiler le voile intégral ! Le lendemain, une certaine Schéhérazade au visage voilé sonne à la porte de Leila, et elle ne va pas laisser Mahmoud indifférent…

 

Entretien avec Sou Abadi, la réalisatrice

En quoi CHERCHEZ LA FEMME est un film lié à votre histoire personnelle?
J’ai passé une partie de ma vie sous la République islamique d’Iran. L’éducation religieuse obligatoire, les restrictions vestimentaires et les brigades des mœurs font partie des souvenirs indélébiles de mon adolescence. Quand j’y suis retournée pour tourner S.O.S. À TÉHÉRAN, j’ai dû mettre un tchador pour aller demander des autorisations dans tel ou tel ministère : je me suis cassée la figure plus d’une fois en me prenant les pieds dans le tissu, je me suis renversé du thé brûlant en essayant de boire avec un tchador : certains malheurs d’Armand dans le film prennent leur source dans mes expériences personnelles.

L’idée du voile comme déguisement, comme camouflage, est venue de là ?
J’avais entendu il y a quelques années une interview de Hojat-ol-eslam Rafsandjani, l’un des dirigeants de la République islamique d’Iran, il y racontait qu’avant la révolution, pour échapper à la police du shah, il avait dû porter le voile et se faire passer pour une femme pieuse. Par ailleurs, un ex-président iranien, aujourd’hui réfugié en France, a fui l’Iran en 1982 déguisé en femme voilée. Se travestir pour échapper à un danger, pour sauver sa vie : j’aimais cette idée. CERTAINS L’AIMENT CHAUD, de Billy Wilder est l’une de mes comédies préférées. Mais pour écrire cette histoire, j’ai aussi pensé à CYRANO DE BERGERAC : sous le voile, pris pour un autre, enfin pour une autre, Armand va permettre à Mahmoud d’accéder à certaines vérités. Comme Cyrano qui, dans le noir, se faisant passer pour Christian, touche au cœur de Roxane… En écrivant, j’ai sans cesse pensé à ces deux versants du sujet, l’un plus comique, l’autre plus sérieux.

Vous avez dû prendre du plaisir à imaginer ces parents qui auraient pu être les vôtres…
Mitra, la mère d’Armand, est un mélange de nous trois : ma mère, mon père et moi. Mon père était communiste mais issu de la bourgeoisie. Ma mère a toujours été de droite, je les ai entendus toute mon enfance se chamailler sur la politique. L’une des seules fois où ils ont été d‘accord, c’était au sujet de mon départ d’Iran. 

En quoi le port du voile change-t- il Armand ?
Auprès de Mahmoud, il découvre un pouvoir inattendu, celui du mystère que lui donne son habit. Mais à l’extérieur, il ressent le poids du regard des autres. Là encore, c’est une histoire personnelle. Quand je croise une femme voilée intégralement, ma première réaction est instinctive et irréfléchie, une sensation mêlée de peur et de rejet m’envahit, celle qui me renvoie à mes souvenirs des premières années du régime islamiste. Les femmes en voile constituent en Iran la branche féminine des miliciens du régime. Armées, elles sont souvent bien plus impitoyables et cruelles que les hommes miliciens. Ce rejet, cette peur qui me coupent toujours le souffle l’espace de quelques secondes, me mettent en porte-à -faux parce qu’en même temps on est en démocratie, que je défends la liberté d’expression et les droits de l’homme et que je respecte profondément la liberté de chacun de s’habiller comme il l’entend. 

Ce que raconte Mitra aux policiers, c’est une histoire vraie ?
C’est arrivé devant mon collège. Un an après la révolution, à la rentrée scolaire de septembre, on a dû signer un papier nous engageant à porter une tenue islamique dans l’enceinte de l’école. En tant que prof, ma mère devait signer le même document. On en a discuté plusieurs heures en famille : la seule solution pour ne pas signer cet engagement était de rester à la maison et suivre des cours par correspondance. Mais je ne voulais pas être subitement désocialisée. Ma mère n’a pas voulu non plus leur faire plaisir en démissionnant. Alors, on avait un foulard autour du cou, qu’on remontait sur nos cheveux juste avant d‘entrer dans l’école. Dans la rue, il y avait encore beaucoup de femmes habillées normalement, sans le foulard : le pouvoir a envoyé des miliciens pour les effrayer. À quelques mètres de l’école, une fille a été défigurée par de l’acide sulfurique. Ça aurait pu être moi… Voilà, ces intimidations orchestrées par le pouvoir ont eu raison de la liberté des femmes iraniennes. En somme, j’ai pris les tragédies de ma vie, et j’en ai fait une comédie. 

Comédie de moeurs de Sou Abadi. 3,6 étoiles AlloCiné.


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