Harmonium

Dans une discrète banlieue japonaise, Toshio et sa femme Akié mènent une vie en apparence paisible avec leur fille. Un matin, un ancien ami de Toshio se présente à son atelier, après une décennie en prison. A la surprise d'Akié, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l'harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d’Akié...

Entretien avec Kkoji Fukadas le réalisateur

Le  thème  de  la  famille  est  au  centre  de Harmonium.  Quelle  était  votre  idée  au départ ?
Pour  moi,  la  famille  est  une  absurdité. L’être  humain,  qui  est  une  entité  individuelle, fait une rencontre, se met en couple, devient parent, a des enfants et engage comme si de rien n’était une vie en commun. Mais à bien y réfléchir c’est très étrange. Pourquoi vivre avec d’autres ? Tous les peuples fondent des états et croient en des dieux mais finissent malgré tout par se  battre  autour du  score  d’une  équipe  de  football. 

L’homme  vit  en  société  en  faisant cohabiter  des  gens  qui  ne  se  comprennent  pas,  avec  comme  entité  représentative  la plus petite, la famille. Les humains sont par nature des êtres vivants portant tous en eux une solitude contre laquelle ils ne peuvent pas lutter. Ce que je voudrais décrire c’est une famille dans laquelle chacun prend conscience de cet état mais est obligé de vivre malgré tout avec les autres, une fatalité.

Le  cinéma  japonais  idéalise  le  lien  familial,  mais en  diffusant  ainsi  l’image  d’une «famille  idéale»  démodée  et  stéréotypée,  on  renie  les  divers  types  de  familles  qui existent  réellement.  Je  tiens  à  décrire  une  famille  déjà  effondrée  parce  que  considérer l’effondrement  d’une  famille  comme  une  tragédie c’est  idéaliser  ce  qu’elle  aurait  pu être.

Harmonium pose la  question  du  système  familial,  il  ébranle,  montre  la  solitude originelle et fait apparaître le lien qui perdure, malgré tout. Je crois que mon portrait de la  famille du XXIe siècle pourra interpeller le  spectateur,  dans  cette  société  où  l’on commence à se rendre compte que la conception de la famille, qui nous avait protégés tout en nous étouffant, n’était qu’une construction illusoire. 

Tadanobu  Asano  interprète  Yasaka,  un  ancien  ami  de  Toshio,  le  père  de  famille. Yasaka  se  révèle  de  plus  en  plus  inquiétant... Comment  avez-vous  eu  l’idée  de  ce personnage?
Yasaka est  un  exemple  de  la  violence  qui  peut  se  développer  dans  le  monde  de manière irraisonnée. J’ai commencé à penser à ce film en 2007. Au début, j’ai imaginé que  la  venue  d’un  intrus  violent  pourrait  être  le  point  de  départ  de  la  réflexion  d’un couple  sur  l’état  de  sa  relation. Et j‘ai  commencé à  me  demander  ce  qu’était  la violence. En fait la violence est inexplicable.

Comme dans une catastrophe naturelle où les causes ne relèvent ni du bien ni du mal, le criminel, au moment de commettre son crime,  ne  peut expliquer  avec  précision les  motifs  de  son  action.  Je  pense  que  nous vivons dans une certaine ambiguïté ordinaire, loin du concept du Bien et du Mal. Je ne vois pas en Yasaka le symbole du Mal. Il n’est ni bon ni mauvais, je veux montrer que le Bien ou le Mal en chacun vient de ce que la relation à autrui fait de lui.  

Harmonium est un film d’une tonalité plus sombre que vos précédents films, dans un genre proche du thriller psychologique. Quelles ont été vos influences pour ce film ?
Dépeindre les hommes est un exercice que je décrirais comme se pencher au bord du gouffre  pour  bien  les  observer,  il  faut  se  rapprocher  du  bord,  au  risque  d’y  tomber.  Il s’agit donc de s’approcherde la noirceur du cœur des hommes sans basculer dedans. Et  pour  cela  il  faut  avoir  conscience  de  jusqu’où  on  peut  aller. Ce  film,  comparé  aux précédents, est un pas de plus en avant vers les tréfonds de l’âme.

Quelle est la part de réalisme dans votre travail pour ce film? Aviez-vous des sources d’inspiration particulières ?
Pour  moi naturalisme  et  réalisme  sont  deux  choses  différentes.  Pour  jouer,  il  est nécessaire  d’avoir  quelque  chose  de  naturel,  mais  un  jeu  naturel  ne  mène  pas  au réalisme cinématographique. La vérité et le réalisme auxquels aspire le cinéma revêtent des formes variées.

Dans leurs films, René Clair, Robert Bresson ou les frères Dardenne sont à la recherche de réalismes différents. Je  me  sens  proche  des  méthodes  de  Rohmer.  Il  s’entretient  avec  les  acteurs  et  ainsi construit un texte très précis. Avec ce texte, les acteurs vont développer un jeu qui leur est absolument propre. Rohmer est un génie de la construction du récit et c’est grâce à ce  texte  très  strict  qu'il  dirige  les  comédiens. Il  n’explique  pas  la psychologie  des personnages  mais  donne  à  l’imaginer,  avec  cette  structure  précise,  où,  dans  chaque scène,  le  comédien  doit  fabriquer  son propre  espace.  Je  crois  qu’ainsi  le  comédien donne au  spectateur  le  temps  de développer  son  imagination.  C’est  le  secret  du réalisme moderne.

Quel regard portez-vous sur le cinéma de votre pays ?
Il y  a  un  très  grand  déséquilibre.  Alors  que  de  nombreux  talents  émergent,  l’industrie du  cinéma  japonais  manque  cruellement  d’un  système  leur  permettant  de  travailler  et de  s’exprimer  pleinement.  Un  des  problèmes  majeurs  est  le  manque  d’unité  dans l’industrie cinématographique japonaise qui est seulement organisée selon une pluralité d’intérêts  économiques.  Une  prise  de  conscience  rapide  et  un  réel  courage  pour  faire des réformes structurelles sont nécessaires pour le développement du cinéma japonais.

Drame japonais de Kkoji Fukadas. Prix du jury, Un certain regard, festival de Cannes 2016. 4 étoiles AlloCiné.


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