Les hommes du feu

Philippe, 45 ans, dirige une caserne dans le Sud de la France. L’été est chaud. Les feux partent de partout, criminels ou pas. Arrive Bénédicte, adjudant-chef, même grade que Xavier, un quadra aguerri. Tension sur le terrain, tensions aussi au sein de la brigade... Plongée dans la vie de ces grands héros, courageux face au feu, mais aussi en 1ère ligne de notre quotidien...

Entretien avec Pierre Jolivet, le réalisateur 

Comment vous est venue l’idée des « Hommes du feu » ?
En fait, le film a plusieurs racines. Il y a eu d’abord ce fait divers, en 2012 : l’incendie déclenché par un gamin de 14 ans avait mis le feu à 400 hectares, au Plan d’Orgon. L’affaire avait fait la Une des journaux et je n’avais cessé de demander : pourquoi ? Pourquoi mettre le feu, pourquoi brûler la terre ? Est-ce de l’inconscience, de la fascination pour les flammes, ou bien la volonté de détruire ? Ce questionnement a croisé un souvenir qui est resté fortement ancré dans ma mémoire.

Il y a longtemps, mon frère Marc et moi étions dans un village du Club Med, où, tout à coup, le feu a pris. Il a fallu évacuer les centaines de touristes présents, le temps d’éteindre les flammes. Assis par terre, on était tous happés par cet étrange spectacle, sublime et atroce à la fois. On entendait des « oh, c’est beau »… Et c’est vrai que ça l’était. En même temps, tout un village partait en fumée…

Quand ce fait divers est entré en résonnance avec ce souvenir si particulier, j’ai d’abord pensé que la pyromanie était un sujet. Je me suis donc tourné vers des psys, pour comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à déclencher un incendie. C’est passionnant : il semblerait que tous les enfants soient plus ou moins pyromanes dans l’âme.

Tout simplement parce que le feu est l’une des choses les plus faciles et les plus belles à créer. J’en étais là de mes réflexions quand je me suis décidé à rencontrer des pompiers. Je voulais leur parler de cette ambivalence face au feu, de cet amour/haine permanent, mais ils m’emmenaient aussi vers tout autre chose. Ils me parlaient de leur quotidien : des incendies, des accidents, des naissances, des appels au secours… Je me suis alors souvenu de deux moments clés de ma vie où j’ai eu besoin d’eux – deux accidents de la route très graves...

En fait, les pompiers ont été en première ligne dans ma vie, comme ils sont en première ligne de la vie de tout le monde, tous les jours. Dans l’ordinaire, comme dans l’extraordinaire des attentats, par exemple. Ils sont en première ligne du malheur, en fait. Or, pour la plupart d’entre eux, ils sont volontaires. Volontaires pour mettre leurs corps en danger. C’est un drôle de destin, non ? Là, avec les producteurs, on s’est dit : c’est ça, le sujet. Il faut faire un film sur les pompiers. 

Ces « hommes du feu » sont-ils des héros, pour vous ?
Oui et non. Quand ils passent à l’acte, à un moment donné, quand leur job leur demande de l’être, ils le sont sans doute. Mais sans états d’âme, sans forfanterie. INTERVIEW PIERRE JOLIVET Par contre, quand ils rentrent chez eux, ce sont des hommes (et des femmes) comme tout le monde, avec les faiblesses et les lâchetés de tout le monde...

Les pompiers eux-mêmes n’aiment pas qu’on parle d’héroïsme, ça les met toujours mal à l’aise. Tous ceux avec qui j’ai pu parler m’ont dit la même chose : ils ont choisi ce métier d’abord pour se sentir utiles ; ensuite, parce que c’est sportif et que physiquement, ils repoussent leurs limites ; enfin, parce qu’aucune journée ne ressemble à une autre et qu’ils détestent la routine. On les appelle ? Quoiqu’ils soient en train de faire, ils arrêtent tout et ils foncent. Ils fonctionnent à l’adrénaline, de façon quasi addictive. C’est dur de partager la vie d’un pompier…

Eux connaissent bien l’envers du décor, alors le « héros », très peu pour eux ! Comme cinéaste, les deux facettes m’intéressaient : les filmer en train d’éteindre un incendie, de sauver une victime de violences conjugales, de décrocher une pendue… Comme de suggérer les mouvements intérieurs qui les traversent. Raconter les moments où, justement, ils ne sont pas héroïques. Prise dans sa globalité, dans sa complexité, leur réalité est une vie d’engagement, de disponibilité aux autres, plus que d’héroïsme.

 Le film s’achève sur cette phrase : « le feu, c’est beau… De loin. »
Cette phrase résume notre ambivalence fondamentale face aux flammes. J’ai pu l’observer chez les pompiers, pendant toute la phase de préparation, et pendant le tournage. Dans leurs yeux, il y a autant d’excitation que d’appréhension, d’amour que de haine pour le feu. Ça touche aussi quelque chose d’ancestral en nous.

À partir du moment où l’homme a su faire du feu, ça l’a fasciné et il a cherché à le maîtriser. Mais le feu est intrinsèquement indomptable, donc savoir le déclencher, comme savoir l’éteindre, peut donner l’illusion de la toute-puissance. C’est un fantasme qu’on retrouve chez tous les enfants du monde – chez les petits garçons en particulier, parce qu’il y a comme un défi à la virilité, dans cette lutte avec les flammes. Et puis on grandit…

Et puis on comprend (ou pas) que, de près, le feu détruit. Alors on apprend à dompter ses pulsions. 

Drame français de Pierre Jolivet avec Roschdy Zem et Emilie Dequenne. 3,9 étoiles AlloCine.


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