Crash test Aglaé

L'histoire d'une jeune ouvrière psychorigide dont le seul repère dans la vie est son travail. Lorsqu'elle apprend que son usine fait l'objet d'une délocalisation sauvage, elle accepte, au grand étonnement de l'entreprise, de poursuivre son boulot en Inde. Accompagnée de deux collègues, elle va entreprendre un absurde périple en voiture jusqu'au bout du monde qui se transformera en une improbable quête personnelle...

D’où est née l’idée du film ?
J’avais envie de raconter l’histoire d’un anti-héros féminin - j’aime voir des femmes au cinéma et j’adore les personnages de losers magnifiques. Une usine de fabrication d’appareils médicaux venait d’être délocalisée non loin du village où je vis, dans l’Yonne, laissant des centaines d’ouvrières sur le carreau. J’ai imaginé qu’Aglaé, l’héroïne, pouvait être l’une des victimes de la mondialisation galopante qui frappe cette région. C’est une réalité qui me touche de près : mon père a toujours vécu de métiers précaires, et enfant, j’avais la hantise de me retrouver dans la même situation que lui plus tard.

Chez elle, la peur de ne plus travailler est si forte qu’elle n’hésite pas une seconde à accepter l’offre de reclassement qui lui est faite.
Il y avait une joie presque philosophique à placer mon personnage dans cette situation ! Sa réaction n’a bien sûr aucun sens. Les responsables d’entreprise qui formulent ces offres sont eux-mêmes conscients de leur absurdité - et de leur indécence -, mais l’entêtement d’Aglaé à accepter l’inacceptable avait quelque chose de jubilatoire, tant je suis convaincu que plus personne aujourd’hui, du plus haut dirigeant au simple exécutant, n’est en mesure de contrôler le monde du travail.

Pourquoi avoir choisi de prendre le contrepied du drame en emmenant résolument le film vers la comédie ?
Suivre le sort d’un groupe d’employés lors d’une fermeture d’usine n’est ni amusant ni original. J’aimais l’idée que leur destin soit absurde, drôle ; jouer sur l’espoir plutôt que sur l’impasse ;que, derrière ces malheurs, il puisse y avoir le déclenchement d’une histoire extraordinaire.

Parlez-nous de ces deux personnages d’ouvrières que vous entraînez à sa suite…
Liette et Marcelle représentent deux autres générations d’ouvrières à deux étapes différentes de la vie. Chacune d’elle a quelque chose à prouver. Parvenue à la quarantaine, Liette a besoin d’exister en tant que mère ; à soixante ans, Marcelle est plus pragmatique - elle ne s’enquiquine pas avec les détails. J’ai beaucoup pensé à ma grand-mère en l’imaginant. Issue d’une famille de cultivateurs, elle avait le génie de mettre de coté tout ce qui pouvait ressembler à des considérations complexes.

On bascule très vite vers le road movie…
Et ce qui est ironique, c’est qu’aucune de ces trois femmes n’a véritablement envie de se lancer dans ce voyage. Toutes l’entreprennent pour de mauvaises raisons.

Le voyage dérape aussitôt lorsque Liette et Marcelle décident d’aller demander des comptes au PDG de leur entreprise en Suisse. Derrière le picaresque, la satire n’est jamais loin…
C’est un détour essentiel : grâce à cette rencontre, les femmes vivent une expérience orte ensemble et Aglaé peut enfin commencer à ouvrir les yeux. Aglaé et ce PDG ont des points communs. Il est entêté, comme le sont beaucoup de grands dirigeants, je crois, monomaniaque, comme elle. Les grands patrons sont souvent obnubilés par une obsession ; la réussite, accumuler les milliards, écraser la compétition… Je ne vois pas d’autres explications à ce désir de conquête absolue qu’une certaine forme de folie qui entraine avec elle le destin de milliers de travailleurs. Dans THE CORPORATION, le documentaire de Mark Achbar et Jennifer Abbott, les entreprises sont comparées à des psychopathes qui cherchent à détruire leurs congénères sans état d’âme. Malheureusement, il faut de grands malades pour guider ces monstres.

À côté de cette économie triomphante, vous montrez la pauvreté de cette famille qui prend Aglaé en stop : les deux versants de la mondialisation…
Cette séquence est pour moi le moment le plus important du film. Il ouvre au rêve et à la fantaisie. Grâce à cette rencontre, Aglaé commence à cesser de subir. Elle s’ouvre enfin et accepte qu’il puisse lui arriver autre chose.

À travers ce constat, diriez-vous que la morale du film est qu’il faut trouver sa singularité ?
Absolument. CRASH TEST AGLAÉ parle de se donner la chance de vivre de manière hors du commun ou, en tout cas, de se donner les moyens de trouver sa voie. J’ai travaillé dans des entreprises où des jeunes de vingt ans en étaient déjà à calculer le montant de leur retraite. Cela m’avait déprimé. Il faut rêver, sinon on traverse la vie en attendant le moment où l’on cessera d’être en activité. Mes parents sont morts jeunes : s’ils ont rêvé de retraite, c’était en vain.

Comédie dramatique d'Eric Gravel. 4,2 étoiles AlloCiné.


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