Mercenaire

Soane, jeune Wallisien, brave l’autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole. Livré à lui-même à l’autre bout du monde, son odyssée le conduit à devenir un homme dans un univers qui n’offre pas de réussite sans compromission...

 

Entretien avec Sacha Wolff, le réalisateur

Un jeune Wallisien qui part jouer au rugby en métropole…  Le sujet de Mercenaire est très original
Au départ, il y a mon intérêt pour le rugby. Comme la boxe, le rugby présente des enjeux physiques très forts, avec en plus une dimension sociale et collective. Et puis un jour, j’ai lu un article dans Le Monde sur l’équipe de rugby de Lons-le-Saunier, évoluant en Fédérale 2. Une quinzaine de joueurs y avaient été recrutés à l’étranger pour une saison afin de tirer cette petite équipe vers le haut. Je me suis rendu compte que le recrutement à l’œuvre dans les grosses équipes professionnelles se retrouvait dans les toutes petites équipes. Je me suis dit qu’il y avait là un sujet intéressant.

Et pourquoi choisir un joueur venant de Nouvelle-Calédonie ?
J’ai passé deux semaines avec l’équipe de Lyon, où beaucoup de joueurs viennent des Iles du Pacifique. C’est là que j’ai rencontré Paki, pilier calédonien d’origine wallisienne, qui joue le rôle d’Abraham. Avec lui, mon travail a pris un tournant décisif. J’ai décidé, plutôt que de parler d’un travailleur étranger, de m’intéresser à ces Français d’ailleurs. L’identité wallisienne est assez trouble, elle renvoie à l’histoire française tout en restant dans une sorte d’invisibilité et de non reconnaissance.

 Comment avez-vous abordé la mise en scène du monde wallisien, de ses pratiques rituelles ?
 Cette question du rapport aux traditions m’a habité tout au long de la fabrication du film. Je voulais qu’elles existent dans le film sans tomber dans l’ethnographie ou le folklore. L’origine wallisienne de Soane fait partie de sa culture, de son héritage, de la façon dont il a grandi, il fallait arriver à s’en servir mais sans le caricaturer, en restant toujours à la bonne distance. J’ai été aidé en cela par le principe de départ du casting de prendre des gens très proches dans la vie de ce qu’ils jouent dans le film.

Que ce soit les joueurs de rugby en France ou les Wallisiens à Nouméa, tous les rôles sont joués par des non comédiens. De même, je ne voulais pas au départ m’enfoncer trop fort dans le stéréotype du rugby et de la culture du sud-ouest de la France, et puis peu à peu, j’ai accepté les accents, les régionalismes : je me suis dit qu’en affirmant ce choix en France, je rendrais la métropole plus exotique que la Calédonie, comme elle l’est aux yeux de Soane.   

Comment avez-vous abordé la mise en scène de la violence ?
J’avais envie d’explorer cette violence le plus purement possible, sans armes à feu ou effets spéciaux numériques, de l’exprimer avec l’unique objet filmé : le corps et le visage des comédiens. Dans le haka, cette violence de l’expression du visage est poussée à son paroxysme. Ils ressemblent parfois à des masques de démons du théâtre asiatique, on a l’impression qu’ils sont possédés pendant quelques minutes.

Si elle atteint parfois ces points culminants, la violence est tout le temps latente dans le film. Soane arrive à surnager assez longtemps mais à un moment, lui aussi plonge dedans. Je ne voulais pas le réduire à un bon sauvage. Il s’est pris suffisamment de coups dans la figure, j’avais besoin de le faire réagir.

Autre violence racontée dans le film : celle du dopage, de la transformation des corps pour en faire des machines à gagner…
Oui, une violence qui est économique. Mais le dopage a toujours existé, c’était juste un secret de polichinelle. Quand on voit les coups et traumatismes qu’encaisse un joueur de rugby par match, comment peut-on imaginer qu’il puisse tenir sur une saison sans être un peu aidé médicalement ?

Le moralisme autour du dopage est absurde et j’avais envie d’en faire quelque chose de presque comique. Le dopage n’est pas pour autant mon sujet, je n’ai pas voulu enquêter ou révéler quoi que ce soit sur cette question, mon rôle n’est pas de faire du journalisme d’investigation. Le dopage fait juste partie de l’univers dans lequel Soane vit. 

Vous mettez en scène un univers très viril et violent mais il se dégage pourtant une grande douceur de votre film
Même s’il est amené à franchir un cap violent pour se transformer et devenir un homme, j’avais envie que le personnage de Soane ait en effet quelque chose de très doux et enfantin. La question de la masculinité est clairement au centre du film, dans le rapport que Soane entretient avec son père, avec Coralie et une potentielle paternité, ainsi qu’avec l’équipe de rugby.

Mais ce qui est sûr, c’est que je voulais aller à l’encontre de cette image de « gros bourrins » qu’on associe aux rugbymen ! Je suis moi-même assez «baraqué», j’avais envie d’explorer une part plus profonde et méconnue de ces gens qui ont des corps atypiques, trop grands, trop gros, porteurs d’une grande virilité que l’on convoite. 

Abraham, le personnage à priori le plus négatif se révèle être celui qui permet à Soane de prendre conscience de l’ampleur du parcours accompli
Il fallait que le conflit avec Abraham soit désamorcé, que celui-ci devienne autre chose que le méchant du film : une sorte de sage qui apporte l’ouverture. Je me suis dit qu’il y a quelque chose de profond dans l’idée que l’issue vienne de ce personnage a priori mauvais.

Comme Soane, Abraham est lui aussi un samouraï, un rônin qui maîtrise l’art de la guerre. Ce désir s’est aussi beaucoup construit sur le rapport que j’ai avec Paki, qui incarne Abraham. Paki est vraiment la clé de voûte de ce projet. Sans lui, je n’aurais pas pu faire ce film et le mot de la fin est presque pour lui : « Tu connais maintenant le prix de ta liberté », dit-il à Soane. Cette seule phrase renverse tout ce que Soane croyait jusque là. C’est ce qu’il voulait fuir qui va le plus lui manquer, à présent.

Drame de Sacha Wolff. Label Europe Cinéma à la Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2016. 3,8 étoiles AlloCiné.

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