Aquarius

Clara, 65 ans, est critique de musique retraitée. Veuve, elle a trois enfants aujourd'hui adultes et vit dans dans un appartement plein de disques et de livres situé dans l'immeuble "Aquarius". Mais Clara a un talent particulier : elle voyage dans le temps...   


Entretien avec Kleber Mendonça Filho, le réalisateur

Comment est né ce projet ? Quel était l’élément déclencheur de l’histoire ? 
Au départ, je voulais faire un film sur des archives, et AQUARIUS est peut-être un premier pas vers un autre film sur le goût de conserver des objets et sur la divergence entre les documents et les souvenirs. Il m’a semblé intéressant d’avoir comme protagonistes une  personne et un immeuble ayant tous les deux à peu près le même âge et se trouvant d’une certaine manière menacés.

Le film est né d’une série d’évènements, dont un assez banal : un flot d’appels téléphoniques reçus chez moi. Des appels publicitaires voulant vendre toutes sortes de souscriptions : cartes de crédit, mutuelles, abonnements télé ou presse.  Je l’ai ressenti comme une attaque du marché, pour forcer les gens à acheter ce qu’ils ne désirent pas.     

À partir de cette idée d’une attaque du marché, le film commente de manière directe,  quoique assez subtile, la vague de spéculation immobilière qui s’est emparée de Recife  ces dernières années. Mais au lieu d’aborder le problème de façon ouvertement politique, vous préférez vous concentrer sur les effets psychologiques chez le citoyen ordinaire.
En effet, le type de poursuite que je viens de décrire est particulièrement agressif dans le cadre du marché immobilier, et avant que la crise économique ne touche le Brésil, ils se comportaient comme des bêtes affamées. Le ballet de tracteurs et pelleteuses que j’ai pu voir à Recife était triste, mais fascinant aussi.

Je me souviens d’avoir assisté au devenir d’une maison et de ses propriétaires. J’avais assisté à leur déménagement, ensuite j’ai remarqué  un panneau qui annonçait un nouveau bâtiment ; quelques mois plus tard, j’ai vu un tracteur  qui achevait de raser le terrain où cette maison avait existé pendant des décennies, et que  quelques heures avaient suffi pour détruire. Dans mes films, j’applique cette logique, celle  de témoigner des changements en fixant un point de vue lié au cadre de la vie personnelle.  Ainsi, dans AQUARIUS, Clara comprend petit à petit ce que subissent son espace et son  environnement personnel.     

Les méthodes agressives du management contemporain, fondées sur la manipulation  émotionnelle et pouvant aller jusqu’au harcèlement moral, sont mises en œuvre  de manière presque métaphorique dans le film, avec ces différents types d’offensives  indirectes qui frôlent l’absurdité. Petit à petit, il s’opère un décollement de la réalité, et on va jusqu’à se demander si ce cauchemar n’est pas un délire de Clara. 
Le cauchemar de Clara est tout d’abord réel. Il s’agit de se voir seule dans une situation très  inconfortable, où elle subit une forte pression pour le simple fait d’être chez elle, là où elle a toujours habité. Elle a le sentiment que quelqu’un a subitement décidé que son espace n’a plus aucune valeur, qu’il est démodé et qu’on doit s’en débarrasser.

Confrontée à des  opinions contraires aux siennes, y compris au sein de sa propre famille, Clara craint, par moments, de perdre la raison. Son état d’esprit est fragilisé, ce qui ouvre la porte à des  sentiments déstabilisants. J’aime l’idée que cela nous mène vers le mystère et le doute,  comme un cauchemar lucide.  

Clara, interprétée par Sonia Braga, a-t-elle toujours été l’axe principal de l’histoire ? 
L’idée a toujours été celle-ci : une femme, la soixantaine, veuve, propriétaire d’un très beau et simple appartement dans un vieil immeuble. Et je n’ai jamais voulu créer une structure en  montage alterné, qui nous montrerait les bureaux de l’entreprise immobilière, ou alors Diego, le jeune entrepreneur, dans sa vie personnelle, ou bien participant à une réunion avec ses  collaborateurs.

Dès le début de l’écriture du scénario, le film était consacré à Clara, on devait être avec elle, et le point de vue du cadre est, la plupart du temps, le sien. Le contact qu’on  peut avoir avec les autres se produit par son intermédiaire, par le fait qu’ils viennent frapper  à sa porte ou lui parler, ou encore parce qu’elle dirige la parole à quelqu’un. Être collé au personnage de Clara est ce qui permet de générer une sensation d’instabilité ou d’insécurité. 

Drame brésilien de Kleber Mendonça Filho. 3 nominations au Festival de Cannes 2016. 4 étoiles AlloCiné.

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