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Alan Turing Alan Mathison Turing, est un mathématicien et cryptologue britannique né en 1912 et mort en 1954, auteur de travaux qui fondent scientifiquement l'informatique.
Son modèle a contribué à établir définitivement la thèse de Church, qui donne une définition mathématique au concept intuitif de fonction calculable. Après la guerre, il travaille sur un des tout premiers ordinateurs, puis contribue au débat sur la possibilité de l'intelligence artificielle, en proposant le test de Turing. Vers la fin de sa vie, il s'intéresse à des modèles de morphogenèse du vivant conduisant aux « structures de Turing ». Durant la Seconde Guerre mondiale, il joue un rôle majeur dans la cryptanalyse de la machine Enigma, utilisée par les armées allemandes. Ses méthodes permirent de casser ce code et, selon plusieurs historiens, de raccourcir la capacité de résistance du régime nazi de deux ans. Biographie Alan Turing est né à Maida Vale du fonctionnaire d'administration coloniale Julius Mathison Turing et de sa femme Ethel Sarah Turing (née Stoney). À partir de l'âge d'un an, le jeune Alan est élevé par des amis de la famille Turing. Sa mère rejoint alors son père qui était en fonction dans l’Indian Civil Service. Ils reviendront au Royaume-Uni à la retraite de Julius en 1926. Très tôt, le jeune Turing montre les signes de son génie. On relate qu'il apprit seul à lire en trois semaines. De même, il montra une affinité précoce pour les chiffres et les énigmes. Études supérieures et travaux sur la calculabilité À cause de son manque d'enthousiasme à travailler autant dans les matières classiques que dans les matières scientifiques, Turing échoue plusieurs fois à ses examens. Il n'est admis qu'au King's College de l'université de Cambridge, alors qu'il avait demandé Trinity College en premier choix. Il étudie de 1931 à 1934 sous la direction de Godfrey Harold Hardy, mathématicien alors titulaire de la chaire sadleirienne puis responsable du centre de recherches et d'études en mathématiques. Il suit également les cours d'Arthur Eddington et, la dernière année, de Max Newman qui l'initie à la logique mathématique, notamment aux problèmes fondamentaux posés quelques années plus tôt par l'Allemand David Hilbert. En 1935, Turing est élufellow du King's College, l'équivalent d'une bourse de thèse, grâce à sa démonstration du théorème central limite. Turing le fait en imaginant, non une machine matérielle, mais un « être calculant », qui peut être indifféremment un appareil logique très simple ou un humain bien discipliné appliquant des règles — comme le faisaient les employés des bureaux de calcul à l'époque. Dans le cours de son raisonnement, il démontre que le problème de l'arrêt d’une machine de Turing ne peut être résolu par algorithme : il n’est pas possible de décider avec un algorithme (c’est-à-dire avec une machine de Turing) si une machine de Turing donnée s’arrêtera. Bien que sa preuve ait été publiée après celle d'Alonzo Church, le travail de Turing est plus accessible et intuitif. Il est aussi complètement nouveau dans sa présentation du concept de « machine universelle » (de Turing), avec l'idée qu'une telle machine puisse accomplir les tâches de n'importe quelle autre machine. L'article présente également la notion de nombre réel calculable. Il déduit de l'indécidabilité du problème de l'arrêt que l'on peut définir des nombres réels qui ne sont pas calculables. Il introduit les concepts de programme et de programmation. Turing passe la plus grande partie de 1937 et de 1938 à travailler sur divers sujets à l'université de Princeton, sous la direction du logicien Alonzo Church qui a déjà supervisé le travail deStephen Cole Kleene sur la récursivité. Il obtient en mai 1938 son Ph.D. de l'université de Princeton ; son manuscrit présente la notion d'hypercalcul, où les machines de Turing sont complétées par ce qu'il appelle des oracles, autorisant ainsi l'étude de problèmes qui ne peuvent pas être résolus de manière algorithmique. L'appellation de « machine de Turing » vient de Church, son directeur de thèse, qui l'emploie pour la première fois dans un compte-rendu du travail de son élève dans le Journal of Symbolic Logic. Cryptanalyse Fin 1938, après les accords de Munich, la Grande-Bretagne comprend enfin que le nazisme est une menace, et commence à se réarmer. Turing fait partie des jeunes cerveaux appelés à suivre des cours de chiffre et de cryptanalyse à la Government Code and Cypher School (GC&CS). Juste avant la déclaration de guerre, il rejoint le centre secret de la GC&CS à Bletchley Park. Il y est affecté aux équipes chargées du déchiffrage de la machine Enigma utilisée par les forces armées allemandes. Ce travail profite initialement des percées effectuées par les services secrets polonais du Biuro Szyfrów et du renseignement français au PC Bruno, que Turing visite en décembre 1939 et d'où il rapporte des copies des feuilles de Zygalski. Mais, en mai 1940, les Allemands perfectionnent leur système cryptographique. Turing participe aux recherches qui permettent de pénétrer les réseaux de l'armée de terre et de l'aviation. Il conçoit des méthodes mathématiques et des versions améliorées de la « Bombe » polonaise, machine électromécanique permettant d'essayer rapidement des ensembles de clés potentielles sur des blocs de communication d'Enigma. Une fois l'affaire lancée, Turing prend la tête de l'équipe chargée de trouver les clés bien plus hermétiques des réseaux de l'Enigma navale. Ces percées décisives redonnent à la Grande-Bretagne un avantage temporaire dans les batailles d'Angleterre, de Libye et de l'Atlantique. Codage de la voix Turing part en 1943 pour les États-Unis, en mission de liaison avec les cryptanalystes américains. Il y découvre les progrès des technologies électroniques et conçoit une machine à coder la voix, ayant pour nom de code Delilah. Il contribue à de nombreuses autres recherches mathématiques, comme celles que menait William Tutte qui aboutiront à casser le code généré par le téléscripteur de Fish construit par Lorenz et Siemens en partenariat. Cette nouvelle machine allemande, réservée au chiffrement des communications d'états-majors, est très différente du système Enigma et résiste longtemps aux attaques des cryptanalyses alliés. Ceux-ci parviennent finalement à percer les codes Fish, grâce à de nouvelles méthodes mathématiques et à de nouvelles machines, Heath Robinson puis Colossus. Cette machine, le premier grand calculateur électronique de l'histoire, fut conçue par Max Newman et construite au laboratoire de recherche des Postes de Dollis Hill par une équipe dirigée par Thomas Flowers en 1943. Contrairement à une légende, Turing n'a nullement participé à la conception de Colossus. Mais il l'a vu fonctionner, ce qui a certainement contribué à orienter Turing vers la conception d'un ordinateur après la guerre. La bombe de Turing, Welchman et Pendered Quelques semaines à peine après son arrivée à Bletchley Park, Turing rédige les spécifications d'une machine électromécanique plus efficace que la bomba polonaise. La capacité de labombe de Turing est doublée, grâce à un autre mathématicien de Cambridge, Gordon Welchman. Encore améliorée par un espoir de Cambridge, Richard Pendered, la bombe, une fois fabriquée par les ingénieurs de la British Tabulating Company, est l'outil fondamental le plus automatisé de l'attaque des messages chiffrés par Enigma. Pendant presque toute la durée de la guerre, ce procédé permet de déchiffrer une grande partie des messages Enigma de la Luftwaffe dont les chiffreurs multiplient les négligences. Comme l'aviation coopère étroitement avec les deux autres armées (mer et terre), la GC&CS obtient par ce biais des renseignements sur l'ensemble des activités de la Wehrmacht. Cependant, l'interprétation des messages une fois déchiffrés pose souvent de tels problèmes à l'état-major qu'ils ne peuvent être qu'en partie exploités. Ce sera le cas du plan d'invasion de la Crète. La Hut 8 et l'Enigma navale Affecté à la Hut 8 (bâtiment préfabriqué n 8), Turing décide de traiter un problème autrement difficile, la cryptanalyse d'Enigma navale : « Parce que personne d'autre ne s'en occupait et que je pouvais l'avoir pour moi tout seul ». La même nuit, il conçoit le Banburismus (en), technique statistique appelée plus tard analyse séquentielle par Abraham Wald, dans l'espoir de percer l'Enigma navale : « Pourtant je n'étais pas sûr que cela marcherait en pratique ». Dans cette idée, il invente une mesure de poids de la preuve qu'il baptise le Ban. Les Banburismes peuvent écarter certaines séquences des rotors Enigma, c'est un gain de temps important. Cependant, les chiffreurs de la Kriegsmarine, en particulier les sous-mariniers, appliquent sans faille toutes les consignes de sécurité. Les messages de l'Enigma navale ne sont décryptés que pendant les périodes couvertes par les manuels ou grâce aux feuilles de bigrammes capturés par les Alliés. Travail sur les premiers ordinateurs En 1945, pendant son séjour à Ebermannstadt, les deux bombes atomiques américaines sont lâchées sur le Japon et il n’en est pas surpris : il connaissait, depuis son voyage secret aux États-Unis de 1942-1943, l'existence du projet à Los Alamos dans des proportions non encore élucidées. Le projet rencontre d'ailleurs des obstacles administratifs et budgétaires. Turing, trop individualiste pour être un organisateur ou un grand négociateur, préfère partir en 1947 suivre des cours de biologie à Cambridge. À la rentrée 1948 il est appelé par Max Newman, son ancien professeur de logique à Cambridge et collègue à Bletchley Park, à l'université de Manchester où Max Newman, inspiré lui aussi par le rapport Von Neumann, dirige le développement de l'un des tout premiers véritables ordinateurs : Manchester Mark I, industrialisé ensuite par la firme Ferranti. Turing devient directeur adjoint du laboratoire de calcul de l'université de Manchester (titre sans grande signification), et travaille à la programmation de l'ordinateur. Vers l'intelligence artificielle : le test de Turing Turing continue parallèlement ses réflexions fondamentales réunissant la science et la philosophie. Dans l'article Computing Machinery and Intelligence (Mind, octobre 1950), Turing explore le problème de l'intelligence artificielle et propose une expérience maintenant connue sous le nom de test de Turing, où il tente de définir une épreuve permettant de qualifier une machine de « consciente » ; Turing fait le « pari que d'ici cinquante ans, il n'y aura plus moyen de distinguer les réponses données par un homme ou un ordinateur, et ce sur n'importe quel sujet. » Morphogenèse En 1952, Turing s'est intéressé à une autre branche des mathématiques : l'analyse, et, à partir de l'équation de réaction-diffusion, a élaboré un modèle biomathématique de lamorphogenèse, tant chez l'animal que chez le végétal. Il fait paraître un article, « The chemical basis of morphogenesis » (Philosophical Transactions of the Royal Society of London, août 1952), où il propose trois modèles de formes (Turing patterns). Dans les années 1990, des expériences de chimie viendront confirmer expérimentalement les modèles théoriques de Turing. Condamnation De Cambridge à Bletchley Park, Turing ne faisait aucun mystère de son orientation sexuelle ; ouvertement homosexuel, il ne cachait pas ses aventures. Il était d'ailleurs loin d'être le seul. En 1952, sa maison de Manchester est cambriolée. Turing porte plainte. Arrêté, le cambrioleur dénonce le complice qui lui avait indiqué l'affaire, un ex-amant occasionnel de Turing. Celui-ci ne nie pas cette ancienne relation. Tous deux sont inculpés d'« indécence manifeste et de perversion sexuelle » d'après la Criminal Law Amendment Act (1885). Quelques années plus tôt, ce n'aurait été qu'un fait divers. Mais, au début des années 1950, une affaire retentissante d'espionnage scientifique au profit de l'Union soviétique où sont impliqués des intellectuels anglais homosexuels surnommés les Cinq de Cambridge a rendu les services de contre-espionnage britanniques et américains sensibles à un « profil » comme celui de Turing. Mort Le 8 juin 1954, Turing est retrouvé mort dans son lit, avec une pomme croquée sur sa table de nuit. L'autopsie conclut à un suicide par empoisonnement au cyanure, même si sa mère tenta d'écarter cette thèse. Le moyen d'ingestion du poison aurait été cette pomme qu'il aurait partiellement mangée (une légende tenace et démentie y voit l'origine du logo de la firmeApple), et qui aurait été préalablement imbibée de cyanure ; il n'existe pas de certitude à cet égard, la pomme n'ayant pas été analysée. Le biographe de Turing, Andrew Hodges, a émis l'hypothèse que Turing aurait choisi ce mode d'ingestion précisément afin de laisser à sa mère la possibilité de croire à un accident, sachant que les pépins de pomme contiennent naturellement du cyanure mais en quantité trop faible cependant pour avoir un effet toxique. Nombreux sont ceux qui ont souligné le lien entre sa méthode de suicide présumée et le filmBlanche-Neige et les Sept Nains, dont il avait particulièrement apprécié la scène où la sorcière empoisonne la pomme, au point de chantonner régulièrement les vers prononcés par celle-ci :« Plongeons la pomme dans le chaudron, pour qu'elle s'imprègne de poison ». Toutefois, Jack Copeland, spécialiste de Turing, estime que la mort de celui-ci est accidentelle. Il avance les arguments suivants : Turing ne montrait aucun signe de dépression et, peu avant sa mort, avait noté des projets par écrit ; il avait l'habitude de faire des expériences chimiques et détenait du cyanure à cette fin ; il lui arrivait d'être imprudent dans ces expériences, goûtant par exemple des produits pour les identifier. Il aurait pu également inhaler accidentellement une dissolution cyanurée qu'il utilisait pour faire fondre de l'or ; c'est de cette façon que, pour Copeland, il aurait ingéré une dose mortelle de cyanure. Postérité Réhabilitation Cependant, le ministre de la justice Tom McNally (en) exprime en février 2012 son refus de revenir sur la condamnation. Celle-ci, bien que paraissant aujourd'hui « cruelle et absurde », a été rendue en fonction des lois de son temps. « Une grâce posthume n'a pas été jugée appropriée car Alan Turing a été justement reconnu coupable de ce qui était, à l'époque, une infraction pénale ». En décembre 2012, un groupe de onze scientifiques britanniques, dont le physicien Stephen Hawking, appelle le gouvernement britannique à annuler sa condamnation, à titre posthume. Le 24 décembre 2013, la reine Élisabeth II le gracie en signant un acte royal de clémence, sur proposition du secrétaire d'État à la Justice Chris Grayling qui déclare que c'était une condamnation « que nous considérerions aujourd'hui comme injuste et discriminatoire ». C'est la 4e fois depuis 1945 que la prérogative royale de pardon s'exerce. Hommages En 2012, diverses manifestations ont été organisées pour le centenaire de la naissance d'Alan Turing. Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Voir toutes les newsletters : www.haoui.com Pour les professionnels : HaOui.fr |