Les innocentes

TEST4 Pologne, décembre 1945. Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise. D’abord réticente, Mathilde accepte de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d’entre elles, tombées enceintes dans des circonstances dramatiques, sont sur le point d’accoucher. Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et les religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger va aiguiser... C’est pourtant ensemble qu’elles retrouveront le chemin de la vie... 

Entretien avec Anne Fontaine, la réalisatrice 

LES INNOCENTES s’inspire de faits peu connus qui se sont déroulés en Pologne durant l’année 1945.
Le destin de ces sœurs est hallucinant : selon les notes de Madeleine Pauliac, le médecin de la Croix-Rouge dont le film s’inspire, 25 d’entre elles ont été violées dans leur couvent – parfois plus de 40 fois d’affilée –, 20 ont été tuées, et 5 ont dû affronter des grossesses. Cela ne montre pas les soldats soviétiques sous un aspect flatteur mais c’est la vérité historique ; une vérité que la Pologne n’ébruite pas mais qu’un certain nombre d’historiens connaissent.

Ces militaires n’avaient pas le sentiment d’accomplir des actes répréhensibles : ils y étaient autorisés par leurs supérieurs en récompense de leurs efforts. La brutalité dont ils faisaient preuve est malheureusement toujours d’actualité. Dans les pays en guerre, les femmes continuent de la subir.

Quelle a été votre réaction à la proposition des producteurs, les frères Altmayer ?
Cette histoire m’a happée. Sans très bien comprendre pourquoi alors, j’ai su que j’avais un rapport très personnel avec elle. La maternité, le questionnement sur la foi étaient des thèmes que j’avais envie d’explorer. Je voulais aller au plus près de ce qui se passe à l’intérieur de ces êtres, raconter l’indicible. La spiritualité devait être au cœur du film. 

Étiez-vous familière des questions religieuses ?
Je viens d’une famille catholique – deux de mes tantes étaient religieuses –, j’ai des notions en la matière. Mais je ne sais pas travailler sur un sujet sans le connaître parfaitement et j’ai voulu éprouver de l’intérieur ce qu’était la vie dans un couvent. Il me semblait important d’appréhender le rythme des journées d’une religieuse.

J’ai effectué deux retraites chez les Bénédictines, la même congrégation que celle du film. Je n’étais que simple observatrice pendant la première, mais j’ai véritablement vécu la vie d’une novice durant la seconde. Parlez-nous de cette expérience. Au-delà de la vie en communauté, qui m’a beaucoup impressionnée… cette façon d’être ensemble, de prier et de chanter sept fois par jour, comme dans un monde suspendu où l’on a à la fois le sentiment de flotter dans une sorte d’euphorie et celui d’être tenue dans une discipline très forte… j’ai vu les rapports humains qui s’y établissaient : les tensions, les psychologies mouvantes de chacune.

Ce n’est pas un monde unidimensionnel et figé. Mais ce qui m’a le plus touchée et que j’ai essayé de retranscrire, c’est la fragilité de la foi. On pense souvent que la foi cimente ceux qui en sont animés. C’est une erreur : comme le confie Maria à Mathilde dans le film, c’est au contraire « vingt-quatre heures de doute et une minute d’espérance ». Cette phrase résume ce que j’ai ressenti en parlant avec les sœurs et en assistant à une conférence de Jean- Pierre Longeat, l’ancien Père Abbé de l’abbaye Saint-Martin de Ligugé, autour du questionnement de la foi. Ce qu’il disait était bouleversant, et résonnait profondément dans le monde laïc. 

Vous soulevez aussi les dérives auxquelles la religion peut mener… L’attitude de la Mère Abbesse qui, sous prétexte de ne pas ébruiter la situation du couvent, condamne les sœurs à ne pas êtres soignées, en est un exemple.
Le film soulève les questions qui hantent nos sociétés, et montre tout ce à quoi l’intégrisme peut aboutir.

Pour autant, vous ne jugez pas cette Mère Abbesse.
C’était un personnage extrêmement difficile à construire et à équilibrer. On peut considérer qu’elle commet des actes atroces. Mais je me suis vite rendue compte que, sans édulcorer ses agissements, il fallait tenter de comprendre ses motivations intérieures. J’ai souhaité qu’elle s’explique avec cette phrase ambiguë prononcée devant les sœurs : « Je me suis perdue pour vous sauver. » Lorsqu’elle implore l’aide de Dieu, puis lorsqu’on la voit malade sur son lit, sans voile, on sent qu’elle est aspirée dans un gouffre. On peut facilement tomber dans la caricature avec ce genre de rôle. Sans Agata Kulesza, qui est exceptionnelle, je ne sais pas si la Mère Abbesse aurait pu avoir cette intériorité et cette dimension de tragédie grecque.

Drame historique d'Anne Fontaine. Sélection officielle Sundance 2016. 4 étoiles AlloCiné.

Pour investir dans des films de cinéma :

75008 - CINÉFEEL PROD http://www.cinefeelprod.com


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr