Le Voyage au Groenland

Thomas et Thomas cumulent les difficultés. En effet, ils sont trentenaires, parisiens et comédiens... Un jour, ils décident de s'envoler pour Kullorsuaq, l'un des villages les plus reculés du Groenland où vit Nathan, le père de l'un d'eux...


Entretien avec Sébastien Betbeder, le réalisateur
Le film parle de la relation entre un fils et son père . Il y a deux aventures dans ce voyage : celle de l’amitié des deux Thomas et celle d’un père et un fils qui ne se sont pas vus depuis des années. Je crois que j’ai aussi réalisé ce film pour ce dernier regard que Thomas adresse à Nathan, juste avant qu’il ne reparte en hélicoptère. C’est certainement la dernière fois qu’ils se voient et tous les deux le savent. Avant ces adieux, il y aura eu de vraies retrouvailles. Des retrouvailles un peu particulières car laissant place à de nombreux non-dits. Je crois beaucoup dans les vertus du silence, dans la pudeur entre les membres d’une même famille, là où la parole prendrait le risque d’abîmer une relation.

Je ne savais pas quel comédien jouerait Nathan, cela donne d’ailleurs lieu à une scène assez comique dans Le Film que nous tournerons au Groenland, où on lance des noms à l’emporte pièces. Tous les comédiens français de plus de 55 ans y passent ! A un moment, hors caméra, les deux Thomas me disent sérieusement avoir pensé à François Chattot, un immense acteur de théâtre, qu’ils admirent depuis leurs études au Conservatoire. J’ai donc décidé de rencontrer François. J’ai découvert quelqu’un de très impliqué, qui comprenait parfaitement les états d’âme qu’un tel personnage porte en lui. Il a complètement incarné ce que j’avais esquissé : un père taiseux, une force de la nature, rencontré à un moment de la vie où l’âge rend le corps et l’esprit fatigués. C’est François qui a proposé d’interpréter la chanson de Mouloudji, Faut vivre, à l’anniversaire d’Ole. Elle correspond incroyablement au film. 

Le Voyage au Groenland est aussi le récit de la fin de « l’adulescence » . Les deux Thomas réalisent, au cours du film, une sorte de parcours initiatique qui les mènera peut-être à l’âge adulte. Dans ce parcours, Thomas S agit en passeur. Sans l’accompagnement de son ami, Thomas B n’aurait certainement pas «retrouvé» son père. Il y a une scène qui résume pour moi tous les enjeux du film. Il s’agit du moment où les personnages principaux se retrouvent autour du traîneau portant l’ours mort. C’est une séquence silencieuse où seuls les regards échangés font sens. Dans cette ronde des regards, il y a la certitude d’une amitié indéfectible entre les Thomas, il y a l’amour comme une quête d’absolu (c’est le regard porté par Thomas S sur la jeune fille qui lui a tapé dans l’œil), et puis il y a la conscience de la mort annoncée, représentée par cette gueule d’ours que regarde le fils avant de lever les yeux vers son père.

«Aucun animal n’a été blessé ou tué pour les besoins du film.» Je tenais à cette phrase au générique de fin pour éviter toute ambiguïté. Pour les scènes de chasse, nous avons d’abord suivi Adam, Ole et Martika sur la banquise, à la recherche d’un phoque comme ils le font presque quotidiennement pour survivre (et en respectant les quotas qui sont imposés). Nous avons enregistré la mort de l’animal, de façon documentaire, sans mise en scène. Puis, dans un second temps, nous avons tourné les contrechamps avec les Thomas, comme dans un film de fiction habituel. Le montage a fait le reste. C’est un exemple assez parfait de la façon dont le film mêle fiction et réalité. La scène avec la dépouille de l’ours mort évoquée juste au-dessus était écrite. Nous avons donc dû attendre qu’un chasseur revienne avec sa proie - sans avoir la certitude qu’il y parvienne, ce qui était un peu inquiétant. Il m’était important de montrer aussi ces scènes de la vie quotidienne. Je n’ai jamais pensé à les occulter.

Les Inuits attachent beaucoup d’importance au regard que portent sur eux les Occidentaux et ils souffrent terriblement de l’image de barbares tueurs de phoques, véhiculée par certains médias. En participant à ce film, ils savaient aussi qu’ils pourraient témoigner de qui ils sont réellement. De façon générale et au-delà de la question de la chasse, Nicolas Dubreuil servait de caution morale et le film aurait été impossible sans le rapport de confiance qu’il a établi avec eux. 

Comédie dramatique de Sébastien Betbeder. 3,9 étoiles AlloCiné.


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