Signes religieux en entreprise : à la Cour de justice européenne de décider

Dans un arrêt du 9 avril 2015, la Cour de Cassation renvoie à la Cour de Justice de l'Union Européenne la question relative au port de signes distinctifs religieux en entreprise en regard de l’interdiction des discriminations dans l’entreprise. Dans le cas examiné, une salariée ingénieur d’études avait été licenciée pour avoir refuser d’ôter son voile pour aller visiter un client ayant déjà exprimé ses réticences quant au port du voile islamique qui avait, lors d’une précédente visite, gêné un certain nombre de ses collaborateurs... 

La salariée a été déboutée de ses demandes, tant par le Conseil de Prud’hommes de Paris que par la Cour d’Appel de Paris. Elle a donc saisi la Cour de cassation qui sursoit à statuer jusqu’à décision de la Cour de justice de l’Union européenne. 

Arrêt n° 630 du 9 avril 2015 (13-19.855) - Cour de cassation -Chambre sociale 

« Contrat de travail, exécution 

Demandeur(s) : Mme X... ; et autre 

Défendeur(s) : la société Micropole Univers 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 avril 2013), que Mme X... a été engagée à compter du 15 juillet 2008 par contrat de travail à durée indéterminée par la société Micropole Univers, société de conseil, d’ingénierie et de formation spécialisée dans le développement et l’intégration de solutions décisionnelles, en qualité d’ingénieur d’études ; qu’elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 15 juin 2009 et licenciée par lettre du 22 juin 2009 rédigée ainsi : 

“Vous avez effectué votre stage de fin d’études à compter du 4 février 2008, puis été embauchée par notre société le 1er août 2008 en qualité d’Ingénieur d’études. Dans le cadre de vos fonctions, vous êtes amenée à intervenir sur des missions pour le compte de nos clients. 

Nous vous avons demandé d’intervenir pour le client Groupama le 15 mai dernier sur leur site de Toulouse. À la suite de cette intervention, le client nous a indiqué que le port du voile, que vous portez effectivement tous les jours, avait gêné un certain nombre de ses collaborateurs. Il a également demandé à ce qu’il n’y ait “pas de voile la prochaine fois”. 

Lors de votre embauche dans notre société et de vos entretiens avec votre Manager opérationnel, Monsieur Y..., et la Responsable du recrutement, Mademoiselle Élise Z..., le sujet du port du voile avait été abordé très clairement avec vous. Nous vous avions précisé que nous respections totalement le principe de liberté d’opinion ainsi que les convictions religieuses de chacun, mais que, dès lors que vous seriez en contact en interne ou en externe avec les clients de l’entreprise, vous ne pourriez porter le voile en toutes circonstances. En effet, dans l’intérêt et pour le développement de l’entreprise, nous sommes contraints, vis-à-vis de nos clients, de faire en sorte que la discrétion soit de mise quant à l’expression des options personnelles de nos salariés. 

Lors de notre entretien du 17 juin dernier, nous vous avons réaffirmé ce principe de nécessaire neutralité que nous vous demandions d’appliquer à l’égard de notre clientèle. Nous vous avons à nouveau demandé si vous pouviez accepter ces contraintes professionnelles en acceptant de ne pas porter le voile et vous nous avez répondu par la négative. 

Nous considérons que ces faits justifient, pour les raisons susmentionnées, la rupture de votre contrat de travail. Dans la mesure où votre position rend impossible la poursuite de votre activité au service de l’entreprise, puisque nous ne pouvons envisager, de votre fait, la poursuite de prestations chez nos clients, vous ne pourrez effectuer votre préavis. Cette inexécution du préavis vous étant imputable, votre préavis ne vous sera pas rémunéré. 

Nous regrettons cette situation dans la mesure où vos compétences professionnelles et votre potentiel nous laissaient espérer une collaboration durable.” ; 

Attendu que Mme X... a saisi le 10 novembre 2009 le conseil de prud’hommes de Paris en contestant son licenciement et en faisant valoir qu’il constituait une mesure discriminatoire en raison de ses convictions religieuses ; que l’Association de défense des droits de l’homme est intervenue volontairement à l’instance ; que, par jugement du 4 mai 2011, cette juridiction a dit le licenciement fondé par une cause réelle et sérieuse, a condamné la société à verser à la salariée la somme de 8378,78 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et a rejeté ses autres demandes au fond ; que, sur appel de Mme X... et appel incident de la société, la cour d’appel de Paris, par arrêt du 18 avril 2013, a confirmé le jugement ; 

Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes au titre d’un licenciement nul en raison de la discrimination, alors, selon le moyen : 

1°/ que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ; qu’en s’abstenant de toute analyse précise de la nature de la tâche confiée à Mme X..., la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1321-3 et L. 1132-1 du code du travail, 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; 

2°/ que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ; que le port du voile islamique, par la salariée d’une entreprise privée, en contact avec de la clientèle, ne porte pas atteinte aux droits ou aux convictions d’autrui ; que la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1321-3 et L. 1132-1 du code du travail, ensemble les articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; 

3°/ que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ; que la gêne ou la sensibilité de la clientèle d’une société commerciale prétendument éprouvée à la seule vue d’un signe d’appartenance religieuse ne constitue pas un critère opérant ni légitime, étranger à toute discrimination, justifiant de faire prévaloir des intérêts économiques ou commerciaux sur la liberté fondamentale du salarié ; que la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1321-3 et L. 1132-1 du code du travail, ensemble les articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; 

4°/ que l’interdiction de porter le voile dans une entreprise privée commerciale, même limitée aux contacts avec la clientèle, prise pour ce seul motif, constitue une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté religieuse ; que la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1321-3 et L. 1132-1 du code du travail, ensemble les articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; 

Attendu qu’aux termes de l’article 1er de la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, la directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en oeuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ; qu’aux termes de son article 3 c), la directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ; qu’aux termes de son article 4 §1, nonobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ; 

Attendu que les dispositions de la directive 78/2000/CE ont été intégrées en droit interne notamment aux articles L. 1132-1 et L. 1133-1 du code du travail tels qu’issus de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ; qu’en vertu de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, le juge national a l’obligation d’interpréter son droit interne de façon conforme aux objectifs et aux dispositions des directives de l’Union ; 

Attendu que, dans son arrêt A... (CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-54/07), tandis que la question préjudicielle portait sur les déclarations publiques d’un employeur refusant d’engager des salariés allochtones aux motifs que cela n’était pas le souhait de sa clientèle, la Cour de justice a jugé que le fait pour un employeur de déclarer publiquement qu’il ne recrutera pas de salariés ayant une certaine origine ethnique ou raciale, ce qui est évidemment de nature à dissuader sérieusement certains candidats de déposer leur candidature et, partant, à faire obstacle à leur accès au marché du travail, constitue une discrimination directe à l’embauche au sens de la directive 2000/43 ; 

Que, dans ses conclusions sous cette décision, l’avocat général de la Cour de justice avait indiqué “L’affirmation de M. A... selon laquelle les clients ne seraient pas favorablement disposés à l’égard d’employés d’une origine ethnique déterminée est totalement dénuée de pertinence pour la question de l’application de la directive 2000/43. Même si cette affirmation était correcte, elle ne ferait qu’illustrer que « les marchés ne remédieront pas à la discrimination » et qu’une intervention réglementaire est essentielle. En outre, l’adoption de mesures réglementaires au niveau communautaire aide à résoudre un problème d’action collective pour les employeurs en empêchant toute distorsion de concurrence qui, précisément à cause de ce manquement du marché, pourrait se manifester au cas où différents niveaux de protection contre la discrimination existeraient au niveau national” (point 18 des conclusions) ; 

Que, toutefois, la Cour de justice n’a pas été jusqu’ici amenée à préciser si les dispositions de l’article 4 §1 de la directive 78/2000/CE doivent être interprétées en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d’études, portant un foulard islamique ; 

Qu’il y a lieu dès lors de renvoyer cette question à titre préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne ; 

PAR CES MOTIFS : 

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne la question suivante : 

“Les dispositions de l’article 4 §1 de la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent-elles être interprétées en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d’études, portant un foulard islamique ?” ; 

SURSOIT à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. »

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