L’Allemagne, la phobie de l’inflation

Certains membres de la majorité fustigent la rigueur allemande. Ils souhaiteraient plus de souplesse pour pouvoir relancer la croissance. Certains voudraient également assouplir la politique de l’euro fort afin de dégager des leviers de relance. Mais l’Allemagne est intransigeante sur ce point. Il est vrai qu’elle n’a pas oublié qu’en 1914, il fallait 4,2 marks pour 1 dollar et qu’en 1923 ce même dollar s’échangeait contre… 4200 milliards de marks. Une dérive monétaire qui allait conduire Hitler au pouvoir. Retour sur cette période d’hyperinflation, synonyme de traumatisme pour les allemands…

L'hyperinflation de la République de Weimar dans les années 1923 et 1924 est une des conséquences de la défaite de l'Allemagne en 1918, du dépeçage de l'économie allemande par les Alliés et de leur refus d'aider l'Allemagne à retrouver ses équilibres économiques. En 1924 l'argent perdait son pouvoir d'achat d'heure en heure. Il fallait le dépenser immédiatement avant que sa valeur ne soit dépréciée. Contrairement à une idée répandue cette hyperinflation n'est due ni à des hausses inconsidérées de salaires ni au fonctionnement de la planche à billets.

« L’Allemagne paiera »
Signé le 28 juin 1919, les alliés, via le traité de Versailles, obligent l’Allemagne à payer des réparations afin qu'elle contribue à la reconstruction des pays qu’elle avait envahis. Georges Clemenceau se présenta clairement dans une logique revancharde selon laquelle « le Boche doit payer ». Les pays vainqueurs évaluent ainsi la dette allemande à 132 milliards de marks-or de 1914  soit 2,8 fois le PIB allemand de 1913 (47 Mds de Marks) et 5 fois le PIB français. Montant totalement insupportable et, comme pour la Grèce en 2012, la dette allemande est rapidement effacée de 60 % et son paiement annuel ramené à 2 Mds de marks.

L’économiste John Maynard Keynes, membre de la commission britannique, prévoit que « si nous cherchons délibérément à appauvrir [l'Allemagne], j’ose prédire que la vengeance sera terrible. ».

L’inflation allemande, un phénomène de longue date
Selon l’historien Alfred Wahl, l’inflation était significative en Allemagne dès le déclenchement de la Première Guerre mondiale ; elle a pris un tournant décisif en 1916. Toutefois, jusqu’à la fin 1922, l’économie allemande reste forte (plein emploi, croissance, hausse des salaires), une situation qui contraste avec celle des pays voisins, où sévit une crise économique sérieuse en 1920-1921. L’Allemagne parvient tant bien que mal à redresser ses finances ; cependant les entreprises et les ménages détiennent une quantité de monnaie supérieure au total de la production du marché. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande s’aggrave encore quand les acteurs économiques apprennent le montant de la dette et cherchent à dépenser le plus vite possible leur monnaie.

L’occupation de la Ruhr
Composé le 22 novembre 1922, le cabinet du nouveau chancelier du Reich Wilhelm Cuno réclame un report des échéances du remboursement des réparations pour deux ans en échange d’une tentative de stabilisation monétaire. Cette demande est cependant refusée par les chefs de gouvernements alliés à la fin décembre à Paris. Le calcul de Cuno était de risquer l’affrontement avec la France en espérant que l’opinion publique internationale la ferait plier. Mais la réaction de Paris prend le gouvernement allemand au dépourvu.

Le 11 janvier 1923, à l’instigation du président du Conseil français Raymond Poincaré, les armées française et belge envahissent le bassin industriel de la Ruhr. Un nouveau coup dur pour l’économie allemande.

L'hyperinflation
L’hyperinflation allemande résulte d’un ensemble de facteurs consécutifs à la guerre : besoins de reconstruction, nécessité d’importations non couvertes par les exportations, renchérissement des importations suite à la perte de valeur du mark et indexation des salaires sur les prix.

Le déficit commercial

Après la guerre, le pays est à reconstruire. 450.000 tonnes de bombes avaient été larguées par la Royal Air Force sur les villes industrielles, particulièrement sur le système de transport et les sites de production de pétrole de synthèse. L’appareil productif est en partie détruit et on estime que la productivité est, dans de nombreuses industries, réduite des deux tiers par rapport à 1913. La production agricole a diminué d’un tiers et le bétail a été décimé. Aux importations qui seront nécessaires pour la remise en état du pays, il faut ajouter un déficit structurel, au moins au départ, dû au déficit alimentaire et au manque à exporter entraîné par la cession de territoires plutôt exportateurs. L’Alsace-Lorraine et les mines de charbon sarroises sont cédées à la France, la province du Nord-Schleswig au Danemark et de larges territoires à l’Est, en Prusse et en Silésie à la Pologne. Ces territoires représentaient presque un tiers de la production de charbon, plus des trois quarts des minerais de fer, 40 % des hauts fourneaux et 10 % des aciéries.

Le financement par l’étranger

Les Alliés ne prêtaient pas à l’Allemagne. L’Allemagne dut recourir au marché monétaire international. Elle n’eut aucun mal à le faire. Selon Laursen et Karsten les spéculateurs avaient confiance dans le redressement de l’Allemagne. Ils prévoyaient un retour du mark à sa valeur-or de 1913. Mais par prudence les capitaux étaient prêtés à court terme. C’est ici que se trouve la source de l’inflation. Les capitaux se retiraient lorsque la situation économique ou politique se détériorait. Ce retrait faisait chuter la valeur du mark. Ils revenaient lorsque la situation s’améliorait et la valeur du mark remontait. Au total et malgré les périodes de stabilisation le cours du dollar en marks augmentait tendanciellement, ce qui augmentait le coût des importations. Les ventes à découvert des spéculateurs accentuaient les chutes du mark.

Le déclenchement inflationniste
Entre 1920 et 1922, les mauvaises nouvelles succédaient aux périodes de stabilisation. À chaque mauvaise nouvelle, le mark perdait de sa valeur. La chute se précipite à partir de la mi-1922. En juin 1922 la conférence pour la fourniture d’un prêt par les Alliés échoue. Les prêteurs étrangers perdent totalement confiance. Un dollar valait 420 marks en juillet 1922 et 49 000 en janvier 1923. Pendant l’année 1923, le cours du dollar par rapport au Papiermark augmente ainsi de 58 milliards. Le prix au détail passe de l’indice 1 en 1913 à 750 000 000 000 en novembre 1923. Les prix des repas servis au restaurant varient selon l’heure de la commande et l’heure à laquelle l’addition est présentée, si bien que les restaurateurs doivent offrir des plats en plus à leurs clients, ou leur faire payer l’addition en début de repas. En été 1923 les paysans refusent en ville d'accepter le mark en échange de leurs produits agricoles. Les salariés se font payer deux fois par jour.

La vitesse de circulation de la monnaie

La confiance dans la monnaie avait totalement disparu. L’argent brûlait les doigts, donc la monnaie circulait plus vite. Faire circuler plus vite la monnaie a le même effet sur l’économie qu’augmenter sa quantité. Gabriel Galand et Alain Grandjean établissent que c’est la vitesse de circulation de la monnaie et non pas l’émission excessive de monnaie qui a provoqué l’inflation. Ils s’appuient sur les études de Wagemann et sur les travaux de Hugues. En 1920 et 1921, la création monétaire ne sert qu’à fournir les liquidités indispensables aux échanges compte tenu de l’augmentation des prix. Après 1921, c’est-à-dire lorsque l’inflation a commencé à s’amplifier, et surtout au premier semestre 1922 lorsqu’elle s’est accélérée, la quantité de monnaie disponible s’est réduite, preuve que la planche à billets ne fonctionnait pas. La masse monétaire ne représentait alors que 5 jours de dépenses, ce qui est très faible. En novembre 1923 la quantité de marks en circulation est 245 milliards de fois plus élevée qu’en 1914 mais le coût de la vie a augmenté par un facteur 1380 milliards..

L’indexation des salaires

L’écroulement de l’Empire avait ouvert une période prérévolutionnaire à l’instar de la Russie. La République de Weimar était fragile. Elle résultait d’un compromis entre les socialistes et les communistes. L’accord imposait une indexation des salaires sur les prix. Les salaires n’ont pas été à l’origine de l’hyperinflation. Ils suivaient les prix avec retard. Mais leur indexation sur les prix a eu un effet "boule de neige" qui a débouché sur l’hyperinflation. L’hyperinflation est apparue lorsque la confiance dans la monnaie a disparu, d’abord chez les prêteurs étrangers, ensuite chez les Allemands eux-mêmes et qu’il y a eu fuite devant la monnaie.

L’effondrement du mark

 

Date

Cours du dollar en marks

Durée

juillet 1914

4,20

Néant

janvier 1920

41,98

5 1/2 ans

3 juillet 1922

420,00

2 1/2 ans

21 octobre 1922

4 430

110 jours

31 janvier 1923

49 000

102 jours

26 juillet 1923

760 000

174 jours

8 août 1923

4 860 000

15 jours

7 septembre 1923

53 000 000

30 jours

3 oct. 1923

440 000 000

26 jours

11 oct. 1923

5 060 000 000

8 jours

22 oct. 1923

42 000 000 000

11 jours

3 nov. 1923

420 000 000 000

12 jours

20 nov. 1923

4 200 000 000 000

17 jours

 

Stabilisation
Sous la houlette de Hjalmar Schacht, le gouvernement parvient à arrêter l’inflation en mettant en place le Rentenmark le 20 novembre 1923. Le Papiermark se retrouve alors démonétisé et 1 000 milliards de marks représentent un Rentenmark. Cette monnaie retrouve les parités du mark d’avant 1914.

L’instauration du Rentenmark se base sur la richesse de l’Allemagne : ses sols, ses usines, ses immeubles, s’apparentant alors aux assignats de la Révolution française qui n’ont pas pu enrayer la crise. Grâce à cette monnaie, l’État parvient à annuler 99 % des dépôts des caisses d’épargnes, 97,5 % des dettes de l’État et 75 % des emprunts hypothécaires.

Conséquences économiques
Les conséquences économiques de la crise sont contrastées. Si certaines couches de la population se retrouvent ruinées, d’autres s’en tirent sans trop de dommages. Laprolétarisation des couches moyennes dont on parle parfois n’aurait pas eu lieu.

« Il est peu aisé de connaître les conséquences de l’hyperinflation sur les différentes couches sociales. L’idée d’une détérioration généralisée des couches moyennes n’est plus partagée. Ces couches étaient trop diverses ; elles ont traversé la période dans des conditions plus variables. Ont perdu : les épargnants, les prêteurs, les détenteurs d’emprunts publics. Par contre, les petits entrepreneurs, les commerçants et les agriculteurs seraient sortis relativement indemnes de l’inflation. »

— Alfred Wahl, L’Allemagne de 1918 à 1945

Conséquences politiques
Politiquement, l’hyperinflation et les conditions dans lesquelles elle est apparue ont eu un impact considérable sur la suite des événements en Allemagne.

L’accroissement de l’instabilité gouvernementale

Outre les difficultés sur le plan international, le cabinet doit aussi faire face à une opposition interne. Lâché par le SPD, Cuno démissionne le 13 août 1923, remplacé le jour même par Gustav Stresemann, qui forme un gouvernement de « Grande coalition » alors que menace la guerre civile. Sa première décision est de mettre fin à la « résistance passive » mise en place par son prédécesseur.

Le sursaut nationaliste

L’occupation de la Ruhr a d’abord pour effet de donner un nouvel élan au nationalisme et au revanchisme allemands. Ensuite, selon Ian Kershaw, l’hyperinflation de 1923 est un moment-clé dans la carrière d’Adolf Hitler : « La crise, sans laquelle Hitler n’aurait jamais été Hitler, s’aggravait de jour en jour. Dans son sillage, le mouvement nazi s’étoffait à vue d’œil. Quelque trente-cinq mille personnes le rejoignirent entre février et novembre, ce qui porta ses effectifs autour de cinquante-cinq mille militants à la veille du putsch. Les recrues affluèrent de toutes les couches de la société ».

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : Fotolia.com

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