Despuès de Lucia, de Michel Franco

Lucia est morte dans un accident de voiture il y a six mois ; depuis, son mari Roberto, et sa fille Alejandra, tentent de surmonter ce deuil. Afin de prendre un nouveau départ, Roberto décide de s’installer à Mexico. Alejandra se retrouve, nouvelle, dans une classe. Plus jolie, plus brillante, elle est rapidement la cible d’envie et de jalousie de la part de ses camarades. Refusant d’en parler à son père, elle devient une proie, un bouc émissaire…

Drame franco-mexicain de Michel Franco, avec Tessa Ia, Hernán Mendoza

Entretien avec le réalisateur Michel Franco

Avant de réaliser DESPUES DE LUCIA, j’aurais peut-être hésité à dire que je cherchais à faire « une étude de la violence », par peur de paraître trop ambitieux. Mais aujourd’hui que le film est fini, je crois que c’est ce qui le définit le mieux – il s’agit d’une étude de la violence sous toutes ses formes. La violence y est présente tout au long: celle que subit notre héroïne, persécutée par ses camarades. Mais aussi celle de la rue, ou encore celle à laquelle est confronté le père dans son nouveau lieu de travail. Même la façon dont Alejandra et son père communiquent – ou plutôt leur impossibilité à communiquer – révèlent une grande violence. A ce titre, il était important pour moi que les scènes les plus brutales se déroulent hors champ, de façon à ne pas les dramatiser car cela créerait seulement de la distance entre nous et l’action à l’écran. Ce qui m’importe le plus n’est pas la violence ellememe, mais la façon dont les personnages y répondent et l’importance que cela a dans leurs relations.

Nous vivons aujourd’hui au Mexique une sorte de guerre civile, et il n’est donc pas étonnant que j’aie fini par réaliser un tel film – cela s’est fait de manière très naturelle car je vis dans un pays lui-même très violent. Mais je pense que l’histoire pourrait se passer n’importe où. Les récents événements en Norvège, aux Etats-Unis, partout… montrent une société gangrenée par la violence…
DESPUES DE LUCIA est mon deuxième long métrage, après DANIEL Y ANA, et pourtant cette courte expérience, me laissepenser que très souvent le plus intéressant dans un film n’est pas ce que le réalisateur croit chercher mais plutôt ce qu’il va rencontrer au cours de toutes les étapes de la réalisation.

Cela me met dans un état d’alerte permanent où je cherche à donner vie à mes inquiétudes et, à réussir à faire surgir quelque chose de vrai, si j’ai de la chance.
DESPUES DE LUCIA a deux points de départ : D’abord une question. Qu’est-ce qui se passe quand en n’acceptant pas la mort d’un être, on en oublie de faire attention à ceux qui restent ? Cela m’interroge depuis qu’enfant, j’ai vu quelqu’un qui était proche de moi ne jamais surmonter son deuil. Pour lui, cette mort était toujours présente et il a complètement négligé tout ce qui était autour de lui.
Ensuite une rencontre. J’ai connu un adolescent qui a subi à l’école et pendant plus d’un an des violences physiques et psychologiques, jusqu’à un point particulièrement cruel. Je suis préoccupé par la difficulté à comprendre comment de telles agressions peuvent être commises par des camarades de classe: Pourquoi cet enfant supporte-t-il les tortures en silence ? Pourquoi n’en parle-t-il pas à ses parents ? Qu’estce qui se passe chez cet adolescent, dans sa propre famille, pour qu’il préfère se taire sur ces agressions extérieures ?
Est-ce que ce silence représente une forme de sacrifice ?

Ainsi sont nés les personnages de Roberto et Alejandra. Elle supporte toutes les formes d’abus à l’école parce qu’elle ne veut pas causer plus de problèmes à son père, elle veut le sortir de la dépression dans laquelle il a plongé depuis la mort de sa femme, Lucia. Alejandra essaie de ramener au foyer toute la stabilité, l’équilibre, qu’il y avait avant la mort de sa mère et elle pense que pour arriver à cela il faut qu’elle soit forte. Cette charge est beaucoup trop lourde pour elle, et ce n’est surtout pas son rôle de la supporter. A cause du deuil, la relation père et fille est désormais déséquilibrée. Alejandra essaie d’être la part féminine de cette relation, un substitut de sa mère, dans le fonctionnement de la maison. D’un autre côté, le père ne sait pas communiquer directement avec sa fille, il ne comprend pas ses besoins. Le monde féminin et masculin semblent totalement incompatibles. Alejandra est, en outre, en pleine adolescence, une étape compliquée de la construction individuelle, dans laquelle elle a besoin d’un guide.
A ce moment, elle se sent non seulement seule mais elle doit aussi prendre en charge son père, qui la confond de plus en plus avec sa mère.

Les camarades de classe savent parfaitement pourquoi  Alejandra accepte leurs abus et pourquoi elle garde le silence. Ils connaissent ses raisons et la situation dans laquelle elle est. Mais au lieu d’être compatissants, ils profitent de sa faiblesse, et vont très loin dans la violence et la cruauté. Cette situation inacceptable se passe pourtant dans un entourage apparemment sain et quotidien.
Ce phénomène est réel (il porte un nom : le bullying) et peut se retrouver dans pratiquement toutes les écoles du Mexique et du monde occidental, sans lien avec les milieux sociaux et économiques des élèves. Tout le monde parle maintenant du bullying de la même manière que l’on parle de la consommation de drogues et de l’écoute qu’il faut avoir pour les jeunes mais le système ne fonctionne pas. Dans notre cas, l’école dispose d’un système d’observation des enfants mais si celui-ci ne reste pas personnel, individualisé, humain et franc ce genre de contrôle peut en fait devenir dangereux. Dans tous les groupes sociaux y compris chez les adultes, une répartition se fait entre ceux qui dominent et ceux qui se soumettent. Chez les enfants et les adolescents, cet état est exacerbé, par manque d’expérience, de connaissance, de maturité. Dans toutes les écoles, des jeux apparemment inoffensifs dissimulent de gros enjeux de pouvoirs, et dans la majorité des cas, la cruauté est vue comme une pratique naturelle, une étape de construction, chez les enfants et les adolescents. Il y a eu de nombreux cas où des adolescents, victimes silencieuses de leurs camarades, sont allés jusqu’au suicide.

L’analyse à grande échelle du phénomène du harcèlement scolaire ne m’intéresse pas. Je crois qu’en observant de près un cas particulier on peut mieux comprendre le cadre général. Dans mon film, le père ne se rend pas compte de ce qui arrive à sa fille car il est plus mort que vivant. Il garde le peu d’énergie qu’il a pour son travail, et il évite de se confronter à quiconque. Il n’a aucun sentiment positif, il n’offre rien, et il lui est impossible de recevoir de l’affection. Il n’est pas méchant – il est vulnérable et capable de montrer de la vraie tendresse mais parfois on n’arrive tout simplement pas à communiquer avec ceux qu’on aime.
Quand sa fille touche le fond et qu’elle se décide à lui demander de l’aide, c’est au moment où il commence à donner des signes de vie parce que sa situation professionnelle s’est améliorée. Du coup, Alejandra croit que ses sacrifices ont servi à quelque chose et elle préfère le laisser tranquille.
Roberto va commencer à aller mieux sans se rendre compte que la situation que vit sa fille est de plus en plus grave.
Les personnages commettent des erreurs qui chaque fois les éloignent davantage de ce dont ils ont pourtant le plus besoin. Comment peut-on s’éloigner autant de la personne la plus aimée et la plus proche de soi ? Pour moi, s’il n’y a pas de moyen de communiquer, il n’y a pas d’espoir.

Dans mon travail le défi est d’arriver à faire en sorte que le ton du film soit réaliste et naturel. J’avais l’avantage d’avoir pu écrire la plus grande partie des personnages en sachant exactement qui allait les interpréter. Le processus devient alors plus intéressant et les personnages restent justes et à la mesure des interprètes.
Le personnage d’Alejandra est joué par Tessa Ia (TERRE BRULEE de Guillermo Arriaga). Elle n’a tourné que dans un seul film auparavant quand elle avait 11 ans et elle sait rester naturelle et n’a pas les tics de la plupart des enfants-acteurs. Au début le rôle de l’enfant dans le film était écrit pour un garçon. Mais en tant qu’ami de la famille de Tessa j’ai passé beaucoup de temps chez elle. Je la connaissais elle et ses amis et je me suis rendu compte que je pouvais travailler avec eux pour capturer à l’écran ce comportement simple et naturel.
Les autres jeunes sont interprétés par ses vrais amis et ses camarades de lycée. Aucun n’est acteur professionnel, mais tous ont la sensibilité nécessaire pour donner de la crédibilité à leurs rôles et de comprendre le processus de réalisation d’un film. J’ai passé beaucoup de temps avec ce groupe d’enfants pendant la préparation du film et arrivé au tournage ils étaient assez confiants pour improviser, assez forts pour prendre ce risque calculé dans l’espoir de créer des scènes spontanées et crédibles.


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