Le fils de l'autre

Alors qu’il s’apprête à intégrer l’armée israélienne pour effectuer son service militaire, Joseph découvre qu’il n’est pas le fils biologique de ses parents et qu’il a été échangé à la naissance avec Yacine, l’enfant d’une famille palestinienne de Cisjordanie. La vie de ces deux familles est brutalement bouleversée par cette révélation qui les oblige à reconsidérer leurs identités respectives, leurs valeurs et leurs convictions...

Entretien avec Lorraine Lévy, réalisatrice

Diriez-vous que la famille est un des thèmes centraux du film ?

L.L. - La famille est un microcosme dans lequel se trouve la genèse de ce que l’on est. Mais c’est quoi être un enfant ? C’est quoi être adulte ? Peut-on choisir de rester l’un ou de devenir l’autre ? J’aime assez la définition de Kenneth Branagh « Un adulte, c’est juste un enfant qui a des dettes »... Évidemment dans LE FILS DE L’AUTRE, on est au cœur du questionnement. Les deux garçons ont des chemins de vie tellement différents que l’un a basculé et l’autre pas encore. Yacine, en quittant assez tôt son cocon familial pour suivre des études en France, est projeté dans une réalité qui l’oblige à être un homme. Alors que Joseph, qui vit dans un nid surprotecteur est resté un enfant. J’ai voulu que cette différence saute aux yeux, que cette fracture soit physiquement incarnée par mes acteurs. Que l’on voie les traces de l’enfance sur Joseph (Jules Sitruk), comme un masque tendre, alors que Yacine (Mehdi Dehbi) offre une image construite et mature.

Si la famille est un thème qui vous est cher, il fallait néanmoins l’inscrire dans l’Histoire, celle du conflit israélo-palestinien.
L.L. - C’est ce qui a tempéré mon ardeur et mon enthousiasme à m’emparer du projet. Je me disais que je n’étais pas habilitée à me lancer dans une aventure comme celle-là alors que je ne suis ni Israélienne ni Palestinienne. Je ne voulais pas faire un film qui ait l’air de faire la leçon de quelque façon que ce soit. Pour moi, la seule façon d’aborder ce sujet était d’avoir une posture d’humilité dès le départ, et de raconter d’abord la petite histoire. Que la grande Histoire soit là pour exacerber les passions, les tensions. Je n’ai en aucun cas le sentiment d’avoir fait un film à caractère politique. Il l’est mais malgré moi. Quant au scénario, une fois que nous nous sommes retrouvés sur place pour la préparation, mes producteurs et moi nous sommes rendu compte que par beaucoup d’aspects, il ne correspondait pas à la réalité du pays. Ni Noam Fitoussi, ni Nathalie  Saugeon (les coscénaristes) ni moi ne vivons en Israël. Or il faut vivre dans ce pays pour connaître les petites choses qui deviennent de grandes choses quand on les vit.
Il a fallu déshabiller le scénario, déconstruire et reconstruire pour être crédible. Tous les membres de l’équipe, qui était constituée de Juifs israéliens, et de Palestiniens vivant en Israël ou en Cisjordanie, ont à un moment donné exprimé des choses par rapport au scénario. J’ai été très à l’écoute car j’y ai puisé des vérités que ni mes coscénaristes ni moi ne pouvions connaître. Chaque matin je prenais des notes et chaque soir je retravaillais les scènes du lendemain. Les acteurs, qui recevaient les séquences nouvelles ou modifiées quelques heures avant le tournage, ont tous joué le jeu. Tout ça m’a nourrie et m’a aidée à me débarrasser de mes clichés. C’était mon angoisse : véhiculer des clichés de façon naturelle.

Le conflit israélo-palestinien semble sans fin. Quand on fait un film qui traite de ce sujet, c’est difficile de trouver une fin ?
L.L. - Ça a été extrêmement difficile ! Dans le scénario de départ, Noam avait voulu un attentat. Je n’en voulais pas parce que je trouvais que c’était une fin attendue et que je me battais pour que ce film échappe à une violence d’usage si j’ose dire. Nathalie et moi avons réfléchi à une meilleure fin sans vraiment trouver. Pendant le tournage je n’arrêtais pas d’y penser. Très vite j’ai compris qu’il fallait laisser les adultes de côté, que ça devait se passer entre les jeunes car le film raconte d’abord l’histoire de cette jeunesse-là. J’ai écrit une première fin dont ma première assistante, Sophie Davin m’a dit : « Je suis sûre que tu peux trouver mieux ! »
La bonne idée est venue in extremis. J’avais prévu de faire un panoramique à 360° dans une carcasse d’immeuble surplombant une vallée, où Yacine vient se réfugier. Finalement, j’ai fait la même chose mais sur 180°. Pour qu’à la fin du film, les 180° restants soient ceux de Joseph, qui remplace Yacine dans un même panoramique inversé. Ils sont chacun la moitié de l’autre. 


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