L'auberge rouge : une histoire vraie

Tout le monde se souvient du film « L’auberge rouge » de Claude Autant-Lara réalisé en 1951 avec Fernandel qui relate les méfaits d’une famille d’aubergistes cupides qui assassinaient leurs clients afin de les dépouiller. Mais saviez-vous que cette histoire est tirée d’un véritable fait divers qui a eu lieu en Ardèche en 1831 ?...

Le lieu des crimes

Le lieu du crime : Peyrebeille
C’est aux frontières de l’Ardèche, à 50 km de Privas et non loin de la Haute-Loire et de la Lozère, que se trouve l’auberge de Peyrebeille, lieu supposé de plusieurs crimes sanglants du XIXe siècle. Le hameau est situé sur un plateau montagnard, près du Mont Mézenc (point culminant de l’Ardèche), à plus de 1260 m d’altitude, sur la commune de Lanarce. Les paysages sont ceux d’une nature couverte de pâturages, forêts et torrents, au climat rude.

A Peyrebeille, le hameau compte quelques maisons et abrite l’auberge de Pierre Martin, comme on la désigne à l’époque du nom de son propriétaire. Ce n’est qu’après le crime qu’elle porte différents sobriquets déplaisants mais saisissants, tels que « l’auberge sanglante », le « coupe-gorge » ou « l’ossuaire ». Isolée, l’auberge se situe sur les voies de communication menant vers les départements limitrophes, ce qui lui amène sa clientèle. Toujours debout aujourd’hui, elle est un haut-lieu touristique de l’Ardèche et revendique le titre « d’authentique auberge de Peyrebeille ».

La Bibliothèque municipale de Lyon possède un fonds de cartes postales de toutes les époques, dont une dizaine concerne Peyrebeille. En plus des extérieurs, des clichés du four permettent d’illustrer la légende des cadavres brûlés par les Martin.

La base Joconde, catalogue collectif des musées de France, propose la consultation d’autres vues de l’auberge.

Les quatre « monstres » sur le banc des accusés
Les inculpés sont Pierre Martin, sa femme Marie Breysse, leur domestique Jean Rochette et le neveu de Pierre, André Martin. Les trois premiers finissent sous le couperet de la guillotine et seul le neveu est innocenté par la justice. Les différentes pièces judiciaires, reprises par les ouvrages sur l’affaire de l’auberge rouge, permettent de dresser le profil et l’histoire des accusés, même si les descriptions physiques sont très variables.

Pierre Martin, 60 ans, est installé sur le hameau de Peyrebeille depuis 1808 comme fermier puis aubergiste. Travaillant dans une auberge, il saisit la valeur commerciale de l’emplacement et, en 1818, fait construire son propre établissement, avec des écuries et une ferme : il en est le tenancier jusqu’en 1830. A partir de cette date, il loue l’auberge à un tiers et n’est donc plus l’aubergiste présent au moment du crime, ce que la justice semble « oublier ».

Marié à Marie Breysse vers 1800, Pierre et elle ont deux filles, Marie-Jeanne et Marguerite. Ils s’entourent également de leur domestique Jean Rochette. Hormis le fait que Pierre est reconnu pour son fort caractère et craint dans le voisinage, rien ne fait d’eux les « monstres » que la rumeur se plaît à dépeindre après le crime de 1831.

La disparition d’Antoine Enjolras : le début de l’affaire
Tout commence par la disparition du maquignon Antoine (ou Jean-Antoine) Enjolras (ou Anjolras), lors de son retour de la foire de Saint-Cirgues-en-Montagne. Celui-ci, âgé de 68 ou 72 ans, aurait perdu en chemin sa génisse. Le 12 octobre 1831, la nuit arrivant, il aurait cessé les recherches de sa bête et trouvé refuge du coté de Peyrebeille, chez les Martin selon certains témoins. Seul fait avéré, son cadavre est retrouvé sur les bords de l’Allier, à quelques kilomètres de là, le 26 octobre 1831. L’enquête est à peine commencée que l’opinion publique désigne les coupables : les époux Martin. La rumeur s’amplifie rapidement et fait naître le mythe des tenanciers sanguinaires, des « monstres » qui, en plus du crime d’Enjolras, assassinent et volent leurs clients depuis des décennies.

Les témoignages cristallisent les clichés des meurtriers assoiffés de sang et d’argent. Des clients disent avoir vu les draps du lit ou les murs tachés de sang. La nuit, les aubergistes sont vus en train de brancarder des cadavres le long des chemins. Ils font soi-disant disparaître les corps en les brûlant ou en les faisant mijoter dans la marmite de l’auberge. L’appât du gain serait le motif des crimes car, aux yeux des paysans alentours, Pierre Martin dispose d’une fortune, d’ailleurs surévaluée, forcément trop importante pour avoir été acquise honnêtement. Elle reposerait sur les larcins commis contre des clients, tel un riche marchand juif disparu aux alentours de l’auberge, et dont l’existence n’est pourtant jamais attestée.

Les ragots s’orientent également vers la vie privée des époux et une relation extraconjugale entre Marie Breysse et son domestique est évoquée. Ce dernier attise l’imagination. Hâlé, il est souvent représenté comme noir ou métis alors que rien n’indique qu’il était africain. De plus, il est dépeint comme un colosse alors que, selon les pièces judiciaires, il mesure 1,69 m.

Ces témoignages à charge éclipsent ceux des clients ayant fréquenté l’auberge paisiblement mais peu de témoignages portés à la connaissance de la chambre d’instruction sont finalement conservés pour définir les chefs d’accusation.

De l’instruction du procès à la guillotine
L’instruction du procès, au tribunal de Largentière, dure 25 mois. Le dossier est ensuite communiqué au parquet de Nîmes qui saisit la chambre d’accusation de la cour royale. En février 1833, les accusés sont écroués à la maison de justice de Privas, suite à la décision de les juger par la cour d’assises de l’Ardèche, tenant séance dans la même ville.

Le procès s’ouvre le 6 juin 1833, avec des chefs d’inculpation revus à la baisse. André Martin est ainsi mis hors de cause pour l’affaire principale d’Enjolras mais reste accusé pour une tentative d’assassinat. Pierre Martin, son épouse et Jean Rochette sont accusés de deux assassinats, quatre tentatives d’assassinats et six vols. Le 25 juin 1833, les jurés donnent leur verdict : André Martin est totalement blanchi ainsi que les autres accusés en ce qui concerne les tentatives d’assassinat et les vols. Seule Marie Breysse est jugée coupable d’un larcin. Par contre, le jury les déclare coupables de la mort d’Enjolras, ce qui leur vaut l’exécution capitale. Si les trois condamnés restent impassibles, les campagnes célèbrent avec joie la sentence.

En août, le pourvoi en appel est rejeté et Louis-Philippe refuse la grâce royale, même pour Marie Breysse. Le 1er octobre, le convoi des condamnés prend la route de Peyrebeille, lieu du crime et de l’exécution. Celle-ci se déroule devant une nombreuse foule le 2 octobre 1833, comme le mentionne la Gazette des Tribunaux. Les masques mortuaires des trois condamnés sont conservés au Musée Crozatier du Puy-en-Velay.

Une dramatique erreur judiciaire ?
« Coupables » : le verdict de Paul d’Albigny, Charles Alméras et Félix Vialet.
Avec l’exécution des meurtriers, la vindicte populaire est satisfaite et la légende dramatique de l’auberge de Peyrebeille naît. En 1886, le mythe se diffuse avec la publication d’un ouvrage entièrement consacré au sujet :   « Le coupe-gorge de Peyrebeille (Ardèche) ». Le sous-titre « si tristement célèbre dans les annales du crime par 26 ans de vols et d’assassinats » indique le parti pris contre les accusés. Paul d’Albigny compose un récit à partir des documents judiciaires de l’époque, reproduisant les chefs d’accusation ou encore les plaidoiries des avocats de la défense. S’étant rendu sur les lieux, il intègre également une visite poussée de l’auberge qu’il agrémente d’anecdotes.

A partir des témoignages auxquels il donne foi, son récit fait revivre les méfaits commis par les aubergistes et leurs complices, du premier assassinat sur le jeune voyageur Claude Béraud (1808) à celui d’Enjolras, qui engendre les suspicions et leur coûtera la vie. Le récit est évocateur, détaillant les finauderies des filous pour rassurer les clients et savoir si ces derniers sont riches. Le lecteur peut imaginer les coups d’œil grivois de Marie Breysse, la main humaine dépassant de la marmite ou les tactiques des hommes pour faire disparaître les corps.

Au fil de la lecture, la cupidité et la culpabilité des accusés ne font pas le moindre doute. Les Martin sont des brigands qui assassinent leurs clients aisés pour tirer profit d’eux et s’assurent ainsi la fortune. Il est mis fin à leurs activités grâce au mendiant Chaze, témoin de l’ultime assassinat en étant présent dans la grange de l’auberge.

La relecture critique des documents du procès donne naissance à l’ouvrage de Charles Alméras et Félix Benoît :   Peyrebeille : la légende et l’histoire de l’auberge sanglante. Ils font le récit exhaustif de tous les crimes imputés aux aubergistes, y compris des faits fictifs et peu relatés comme les assassinats d’un jeune colonel et d’un ex-préfet de l’Empire. Puis, c’est la genèse de cette légende qui est décortiquée dans toutes ces exagérations. Au final, les auteurs, estiment qu’il y a une part de vérité derrière les ragots et que les aubergistes sont coupables. Ils mettent en avant la faiblesse du démenti des accusés et la dernière parole de Jean Rochette avant l’échafaud : « Maîtres, soyez maudits ! Que ne m’avez-vous pas fait faire ! »

D’autres auteurs ont relu récemment les pièces judiciaires et mettent à mal l’accusation ainsi que le mobile.

Les partisans de l’erreur judiciaire
Les ouvrages de Maître Malzieu (1922) puis d’autres plus récents, comme ceux de T. Boudignon et G. Messadié, remettent en question la culpabilité des Martin, au regard des méthodes de la justice de cette première moitié du XIXème siècle et du contexte historique de brigandage. Surtout, ils proposent des hypothèses pour expliquer leur condamnation.

Tout d’abord, la mauvaise réputation des tenanciers va de pair avec celle des auberges, considérées comme malfamées. Le caractère de Martin, montagnard dur et prêt à en découdre pour récupérer son dû, prêche en sa défaveur. La jalousie à l’encontre de ses ex-fermiers devenus propriétaires d’un commerce prospère est un facteur à considérer. La mauvaise renommée des Martin est donc avérée : aucune plainte ne remonte auprès de la police avant l’enquête sur l’assassinat d’Enjolras puis les langues se déchaînent après la disparition. Les témoins sont uniques (pas de confrontation possible) et leurs propos frisent parfois le grotesque : les clients semblent davantage coucher dans le grenier à foin que dans les chambres, les meurtres ne sont pas discrets, pas plus que les transports nocturnes de cadavres. L’un des témoignages important est celui de la tentative d’assassinat de Pagès mais il est rapporté (inventé ?) après coup puisque l’homme est décédé entre temps. Or le juge est à l’écoute des ragots et de tous les propos.

Une justice encore balbutiante au début du XIXe siècle
Les limites du fonctionnement de la justice de l’époque sont mises en exergue par Thierry Boudignon, chargé d’études documentaires aux Archives nationales. Dans   L’auberge rouge : le dossier, CNRS Editions (2007), il exploite les documents des archives départementales environnantes et des Archives nationales pour analyser les procédures d’instruction, encore rudimentaires. Ainsi, les interrogatoires comportent peu de questions et les réponses sont brèves. Le patois est un obstacle à la compréhension. Le greffier traduit en français les propos des témoins et inculpés tout en ajoutant les indications, même partiales, qu’ils trouvent nécessaires à la compréhension. Les déplacements sur les lieux du crime, malaisés, sont évités et des incohérences transparaissent des pièces judiciaires. La confusion entre l’auberge des Martin, lieu du crime supposé et la ferme des Martin, à proximité, en est un exemple emblématique.

L’objectif des magistrats n’est pas la recherche de la vérité mais l’élaboration d’un discours cohérent pour convaincre les jurés et répondre à ce qu’ils pensent être le mieux pour la société. Bien qu’anciens et donc prescrits, des faits sont relatés au procès pour discréditer le couple. L’acte d’accusation se rétrécit d’ailleurs au cours des étapes du procès devant la non-recevabilité de certains témoignages, n’en déplaise à la Justice qui veut faire condamner les accusés.

Un contexte politique défavorable aux accusés
T. Boudignon fait le lien avec le contexte historique local des affaires des forêts royales. Suite à la mise à mal du droit d’usage de ramassage du bois, qui restreint la liberté des paysans, des scieries sont incendiées et du bois est coupé frauduleusement. La gendarmerie bat même en retraite contre les bandes de « coupeurs » nocturnes. L’auteur compare ce mouvement de protestation sociale à celui des insurrections lyonnaises des Canuts de 1831. Les consignes sont de faire revenir l’ordre. C’est dans ce contexte tendu où la justice doit montrer sa fermeté que le dossier est instruit.

Gérald Messadié poursuit cette hypothèse dans   Le secret de l’Auberge rouge, L’Archipel (2007)

Pour lui, les dépositions ont été fabriquées et ce détournement de justice a pour fond un règlement de comptes politique. Il invoque même la possibilité d’un complot en raison de la disparition d’une partie des pièces judiciaires après le procès. Avec humour et ironie, il démonte l’accusation et montre la puissance de l’imaginaire collectif d’une population qui souhaite la reconnaissance de la culpabilité des accusés, soutenue par la justice. Le procureur du Roi souhaite la condamnation, accordant du crédit à des témoignages qui arrivent providentiellement en fin de procès, comme celui du mendiant Chaze, décisif dans le jugement final.

Tout serait lié à l’appartenance des Martin au clan des royalistes, suggérée par son surnom « le blanc », et à son opposition aux Bleus révolutionnaires. Marie Breysse a caché un curé au moment des répressions révolutionnaires. Pierre Martin semblerait s’être rangé du côté des « chouans » ardéchois. La thèse de G. Messadié est qu’il est un homme de main des nobles qui, à leur retour d’exil, tentent de récupérer leurs terres rachetées à bas prix. Occasionnellement en mission, il ferait pression sur des propriétaires de terrains afin que ceux-ci les cèdent. Le brigandage est un phénomène courant à l’époque et Martin serait un sympathisant des bandes commettant leurs méfaits dans les bois. Ceci expliquerait le mécontentement général envers lui.

Or le contexte n’est pas favorable aux royalistes au début des années 1830, ce qui permet à l’affaire d’éclater et d’être sévèrement jugée. Depuis 1815, il existe des foyers de « résistants » royalistes en Ardèche que la justice souhaite réprimer : le procès est l’occasion d’en éliminer certains car le contexte politique s’y prête. Avec l’abdication de Charles X, c’est un nouveau coup dur pour les partisans de l’Ancien régime. Louis-Philippe 1er, avec un rapport du procureur demandant la sévérité, n’accordera pas sa grâce satisfaisant ainsi et la justice locale et les rancœurs populaires.

L’auberge de Peyrebeille, source d’inspiration au fil des siècles
Optant pour la culpabilité ou l’innocence, les publications permettent à chacun de se faire son opinion, à défaut de connaître avec certitude la vérité. Accompagnées d’illustrations suggestives, elles ont petit à petit forgé et renforcé la légende de l’auberge rouge.

Source : Bibliothèque municipale de Lyon, www.pointsdactu.org

Des auberges pour "ripailler" en toute sécurité :

78180 - AUBERGE DU MANET http://hotel-restaurant-montigny-sqy-78.com
78460 - AUBERGE LA BRUNOISE http://www.restaurant-vallee-de-chevreuse-78.com
91290 - L'AUBERGE DE LA MONTAGNE http://www.restaurant-arpajon.com
91760 - AUBERGE DE L'EPINE http://www.restaurant-91.com


Lien vers HaOui :
www.haoui.com
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