Dirigeants : la responsabilité pénale "ès qualités"

Afin d’assurer le respect de certaines prescriptions légales ou réglementaires, le législateur a pris l’habitude, au cours du XXe siècle, de les assortir de sanctions pénales. Il s’agit en général d’infractions-obstacles, c’est-à-dire d’incriminations destinées à prévenir la survenance de dommages importants, par exemple en matière d’hygiène et de sécurité au travail, d’environnement, de marchés publics, de libertés syndicales…

Le mécanisme de la responsabilité pénale ès qualités
Pour qu’une infraction puisse être qualifiée de préventive, elle doit incriminer non pas un comportement dommageable mais plutôt l’omission d’un comportement requis par la loi.

Comment imputer une infraction d’omission à une personne, dans le respect du principe de responsabilité personnelle ? Comment déterminer la personne qui n’a pas obéit aux prescriptions légales ?

Ce délinquant par omission sera, en toute logique, celui auquel la réglementation avait enjoint d’agir : seul celui sur qui pèse une obligation de faire peut se voir reprocher de n’avoir pas agi.

Certaines des obligations légales d’agir pèsent, individuellement, sur chaque citoyen : infraction de non assistance à personne en péril, homicides et blessures par imprudence…

D’autres ont pour trait spécifique de ne pouvoir être commises que dans un cadre collectif : réglementation de certaines activités économiques, du travail salarié, des espaces ouverts au public…

C’est alors au dirigeant de la collectivité intéressée que s’adresse l’injonction légale : président de S.A., maire de commune, président de conseil général, gérant de société…

C’est au dirigeant d’utiliser ses pouvoirs afin de veiller au respect de la réglementation en vigueur, soit en obéissant aux obligations légales, soit en veillant à leur respect par ses subalternes.

En cas d’irrespect de la réglementation relative à l’activité de ces groupements, c’est naturellement le dirigeant, le décideur qui a décidé de ne pas respecter la loi, ou qui ne l’a pas fait respecter, qui encourra une sanction pénale.

Certains textes visent spécifiquement le dirigeant : ainsi, la responsabilité pénale pour avoir laissé des mineurs entrer dans une salle de cinéma en violation de la limite d’âge prévue pour le film n’est encourue que par le dirigeant de fait de la salle de cinéma. L’infraction est pourtant matériellement commise par le caissier ou l’ouvreur.

La responsabilité du dirigeant ès qualités, c'est-à-dire non pas pour ce qu’il a fait ou non en tant que personne physique, mais pour ce qui lui incombait en tant que dirigeant, est acceptée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation depuis le milieu du XIXe siècle. Elle a expliqué le principe de cette responsabilité « remontant » du préposé qui n’a pas agi au dirigeant qui aurait dû lui ordonner d’agir, la présentant comme une exception au principe de responsabilité personnelle dans un arrêt du 30 décembre 1892.

Si l’élément moral de l’infraction appartient sans doute au commettant, puisque le préposé n’a pas d’autonomie, la perception de l’élément matériel est plus problématique. Si le dirigeant avait respecté la loi, il aurait ordonné au préposé d’agir ou de ne pas agir d’une certaine manière ; il n’aurait pas respecté les prescriptions réglementaires, il les aurait fait respecter par un subalterne. Lorsqu’elles n’ont pas été respectées, le dirigeant apparaît non comme auteur matériel de l’infraction mais comme un auteur moral, presque un complice. S’agissant souvent d’infractions d’omission, cependant, la distinction entre l’auteur matériel et celui qui avait la simple volonté infractionnelle est ténue.

C’est pourquoi on peut reprocher au dirigeant qui devait respecter et faire respecter la réglementation applicable d’y avoir manqué. Si l’infraction est apparemment commise par un tiers subalterne, le décideur est bien responsable de ne pas avoir agi.

Cette responsabilité du décideur ne viole pas le principe de la responsabilité du fait personnel. Elle n’exonère d’ailleurs pas le préposé de sa propre responsabilité pénale si l’ensemble des éléments d’une infraction peut lui être imputé.

En outre, le dirigeant est en principe admis à rapporter la preuve de son absence de faute, même si cette preuve sera difficile à rapporter en pratique : le dirigeant est réputé connaître les règlements applicables à son activité, et on lui reproche le plus souvent de ne pas les avoir respectés ni fait respecter…

Exemple : le maire est personnellement coupable de favoritisme car il a fixé l’ordre du jour et présidé la séance du Conseil municipal qui a attribué le marché en violation des prescriptions légales (Crim. 19 novembre 2003).

Lorsque le dirigeant de fait n’est pas le dirigeant de droit, la Cour de cassation adopte une solution similaire à celle des juridictions civiles en pareille circonstance : les dirigeants sont coauteurs de l’infraction, chacun peut être poursuivi comme s’il était le seul dirigeant (Crim. 12 septembre 2000).

L’administrateur judiciaire d’une société, investit des pouvoirs du dirigeant, assume également sa responsabilité ès qualités.

Il est cependant apparu que dans les structures importantes, le dirigeant n’était pas, en pratique, en charge de l’ensemble des activités. Pire, le dirigeant ne peut matériellement respecter l’ensemble des obligations qui pèsent sur lui : le chef d’entreprise devrait en permanence veiller au respect des consignes de sécurité par les ouvriers, des règles de comptabilité et de facturation par le service comptable, du respect du droit du travail par le service du personnel, des règles d’hygiène par le personnel de restauration et d’entretien… Il ne semble ni juste ni opportun de lui imputer une infraction lorsque les pouvoirs de décision appartiennent à un tiers. C’est le mécanisme de la délégation de pouvoirs.

La délégation de pouvoirs
La responsabilité pénale du dirigeant est liée aux pouvoirs qu’il détient sur le fonctionnement de l’entreprise : ce sont ces pouvoirs qui permettent de lui reprocher ne n’avoir pas agi ou d’avoir laissé commettre une infraction.

On ne saurait dissocier cette responsabilité des qualités des pouvoirs du décideur. Il en résulte que la délégation de pouvoirs à un tiers reporte sur ce tiers la responsabilité pénale.

Cette solution logique a été entérinée par la Cour de cassation dès le début du XXe siècle (Crim. 28 juin 1902).

La délégation de pouvoir est un acte consensuel entre le dirigeant délégant et son préposé délégataire ; l’écrit n’est utile qu’à titre de preuve. On peut envisager des sous-délégations dans les mêmes conditions de validité et d’efficacité que la délégation initiale. Par contre, toute « co-délégation » est exclue : le délégataire doit jouir d’une autonomie, d’un pouvoir incompatible avec l’exercice collectif de la délégation.

La validité et l’efficacité de la délégation de pouvoirs dépendent de plusieurs critères, dégagés par la jurisprudence :

- La délégation n’exonère que de la responsabilité ès qualités : en aucun cas, un dirigeant qui a pris personnellement part à la consommation de l’infraction ne peut se prévaloir d’une délégation. Le dirigeant qui prend personnellement part à l’infraction est responsable de son fait personnel, et comme tout auteur matériel de l’infraction il peut être puni. Seule la responsabilité encourue pour avoir manqué aux obligations incombant spécifiquement à ses fonctions peut bénéficier de la délégation de pouvoirs.

Exemple : Crim. 17 septembre 2002, les stratégies de vente agressives, constitutives d’escroquerie, restent imputables au dirigeant malgré la délégation de pouvoir car il les concevait et les organisait lui-même.

- La délégation de pouvoirs est rendue nécessaire par la structure de l’entreprise : seul le dirigeant qui ne peut pas effectivement assumer ses obligations légales peut déléguer ses responsabilités à un tiers. Le mécanisme de la délégation de pouvoirs n’est pas un moyen pour le dirigeant d’échapper à sa responsabilité pénale mais un mécanisme visant à assurer l’effectivité des prescriptions légales.

C’est lorsque la taille ou l’organisation matérielle d’une entreprise ne permet pas au dirigeant de faire face à ses obligations que la délégation de pouvoir est autorisée, et même souhaitée. Dans le même esprit, la délégation ne peut être générale mais doit concerner un secteur d’activité précis. Ce caractère spécial de la délégation est apprécié de manière stricte par les juges.

Exemple : Crim. 14 octobre 2003, la délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité faite à un cadre administratif, président du CHSCT, ne transfert pas la responsabilité pour non-consultation du CHSCT : le délit d’entrave reste commis par le dirigeant de la société. La Cour de cassation semble distinguer la délégation en matière d’hygiène et de sécurité « technique », concrète, et une délégation quant aux obligations « juridiques » ou « administratives » liées au fonctionnement du CHSCT.

- Le délégataire est un membre de l’entreprise pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires : le dirigeant doit désigner l’un de ses subordonnés, éventuellement le dirigeant d’une société fille dans un groupe de sociétés, qui a la compétence technique, l’autorité et les moyens matériels lui permettant, en pratique, de mener à bien la mission qui lui est confiée par délégation.

Ces conditions sont destinées à éviter toute délégation fictive. Pour que le préposé assume la responsabilité pénale attachée à certaines responsabilités, encore faut-il que le dirigeant le mette en position d’assurer le respect effectif de la loi. Le dirigeant qui procéderait à une délégation juridique sans transmettre effectivement ses pouvoirs resterait ainsi responsable pénalement ès qualités.

L’appréciation de l’existence et de la régularité d’une délégation de pouvoirs relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, qui souvent se montrent assez sévères contre les dirigeants, se défiant des délégations fictives : Crim. 10 septembre 2002, p. ex., en matière d’amiante, qui juge irrégulière la délégation générale de surveillance et d’organisation de la sécurité sur les chantiers.

L’effet de cette responsabilité ès qualités associée au mécanisme de la délégation de pouvoir est de mettre à la charge des dirigeants un véritable devoir de déléguer leurs responsabilités dès lors qu’ils ne peuvent les assumer eux-mêmes, ce qui assure une effectivité maximale à la réglementation de leur activité.

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