La chute de l’empire américain

À 36 ans, malgré un doctorat en philosophie, Pierre-Paul Daoust est chauffeur pour une compagnie de livraison. Un jour, il est témoin d'un hold-up qui tourne mal, faisant deux morts parmi les gangsters. Il se retrouve seul avec deux énormes sacs de sport bourrés de billets. Des millions de dollars. Le pouvoir irrésistible de l’argent va bousculer ses valeurs altruistes et mettre sur sa route une escort girl envoûtante, un ex-taulard perspicace et un avocat d’affaires roublard. Après Le déclin de l’Empire Américain et les Invasions Barbares, La Chute de l’Empire Américain clôt ainsi la trilogie du réalisateur Denys Arcand...

LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN est le troisième volet d’un cycle, et peut-être pas le dernier…
On ne sait jamais comment naissent les projets. Au départ, je n’avais aucune intention d’entreprendre, encore moins de poursuivre une trilogie. À l’origine, LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN s’appelait, d’ailleurs, LE TRIOMPHE DE L’ARGENT – titre qui m’est apparu, en définitive, trop clair et trop réducteur. Au montage, j’ai eu l’idée de le relier à deux de mes films précédents, tant les points communs me paraissaient évidents. 

Dans cette trilogie, vous abordez trois des thèmes essentiels de la vie : le sexe dans LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN, la mort dans LES INVASIONS BARBARES et l’argent, ici…
Avec le constat triste que c’est lui qui l’a emporté. On a éloigné la mort, on s’éloigne du sexe – disons qu’il passe au second plan. Aujourd’hui, seul le fric est roi. 

N’était-ce pas le cas, en 1986, quand vous filmiez LE DÉCLIN… ?
Pas autant. Les gens revendiquaient, surtout, le droit au plaisir. Ils se battaient pour la liberté, l’amitié, la fraternité, la bonne bouffe, que sais-je… L’argent était important, pas primordial. Un de vos personnages liait le déclin de l’empire américain – celui de nos sociétés occidentales, en fait – à la volonté exacerbée de bonheur individuel…

Qu’est-ce qu’une société, sinon un groupe de personnes ayant un but commun et marchant dans la même direction ? Vous pouvez difficilement mobiliser pour une noble cause des gens pour qui la vie se résume à la voisine qu’ils vont draguer le week-end prochain ou la façon dont ils vont cuisiner leur poisson du soir. À partir du moment – c’est ce que je montrais dans LE DÉCLIN… – où vous choisissez de faire partie d’un clan totalement indifférent à la vie de la cité, vous provoquez immanquablement l’affaiblissement, puis la destruction de la société. Mais ça peut prendre des années et être très agréable à vivre… 

Dans ce film, les femmes parlaient de la taille des pénis, les hommes se plaignaient du clitoris, « parfois aussi difficile à trouver qu’une chenille sur un damier. » Pourriezvous tourner le même film en 2018 ?
L’an dernier, une troupe théâtrale a repris le texte sur scène, avec un succès énorme. J’ai été étonné – et ravi – de voir de jeunes spectateurs rire aux éclats, aux mêmes moments que leurs parents, jadis, dans les salles.

Est-ce que je pourrais le tourner en 2018 ? Pas sûr. Nous sommes entrés dans une ère de moralisme catastrophique. Je compte, d’ailleurs, en faire le sujet de mon prochain film. Comme vous le savez, Robert Lepage (metteur en scène québécois) a dû annuler deux spectacles, l’un parce qu’il n’avait pas suffisamment consulté les groupes amérindiens du pays, l’autre parce que certains avaient décidé que des Blancs étaient indignes d’interpréter des chants sur l’esclavage… Un drôle de climat règne, absurde et malsain. 

LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN s’ouvre sur ce dialogue : « Si t’es si intelligent, pourquoi n’es-tu pas président d’une banque ? – C’est parce que je suis trop intelligent. L’intelligence est un handicap… »
Ce dialogue m’a été inspiré par un dîner en France. Je ne citerai pas de noms, mais vous adoreriez que je le fasse ! Un très grand financier y assistait et on ne parlait que de la faillite retentissante d’un de ses confrères. « C’était tout de même un type intelligent », a dit l’un des convives. Alors, le grand financier a murmuré et sa voix n’était qu’un chuchotement : « Oh, vous savez, l’intelligence est souvent un handicap… » Cette phrase n’a cessé de me hanter… Et quand je regarde le spectacle désolant des têtes parlantes qui sévissent à la télé, je me dis qu’en plus, il aurait pu ajouter que la stupidité est un atout… 

Comment est née Aspasie, la call girl ?
Vous allez, sans doute, penser que je suis totalement dénué d’imagination, mais, là encore, il s’agit d’une rencontre. Je tournais, à Ottawa, un documentaire sur la visite de la reine d’Angleterre. Au bar de mon hôtel, je regardais un match de foot et une jeune femme noire, originaire de l’Alabama, est venue s’asseoir pour m’expliquer – je vous jure que c’est vrai – les différences entre les règles du football américain et canadien, qu’elle connaissait visiblement fort bien. Au cours de la conversation, elle m’a dit être escort de luxe et venir au Canada deux fois par an pour satisfaire ses clients : des politiciens de la droite la plus conservatrice, selon elle. Des simili Donald Trump, en quelque sorte…

C’était une personne hors du commun, d’une rare intelligence, qui m’a détaillé avec brio les nombreux et juteux investissements financiers qui allaient lui permettre de prendre une retraite bien méritée à quarante ans. Elle m’a donné un cours d’économie extraordinaire… 

Avec Aspasie, n’avez-vous pas eu peur de tomber dans le cliché de la pute de luxe au grand cœur…
Non, parce qu’il me semble avoir rarement vu, au cinéma, une escort, à l’aise non seulement dans la chambre d’un palace, mais dans des bureaux où l’argent circule d’un compte off-shore à un autre. Aspasie rivalise avec les plus grands escrocs de notre époque, elle fait jeu égal avec les financiers les plus véreux de notre temps.

Film Québécois de Denys Arcand. 4 étoiles AlloCiné.


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