El reino

Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu'il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal... 

Note du réalisateur Rodrigo Sorogoyen

« La corruption politique en Espagne – et surtout, la totale impunité de ses leaders depuis une dizaine d’année – nous a laissés, ma coscénariste Isabel Peña et moi, d’abord perplexes, indignés puis déprimés, et enfin presque anesthésiés. C’est la répétition des affaires de corruption de ces dernières années qui nous a décidés à raconter cette histoire. Comme dans QUE DIOS NOS PERDONE, nous voulions faire un thriller, un film à suspense qui accroche le spectateur mais qui parle aussi des êtres humains et de leur noirceur.

Dans QUE DIOS NOS PERDONE, la violence était le sujet central, ici c’est la corruption – pas seulement politique mais aussi humaine. C’est le mensonge comme manière de vivre. Aucun film n’avait encore été fait sur la corruption espagnole d’aujourd’hui, et nous savions dès le début que le film serait raconté du point de vue du politicien corrompu, du voyou, celui qui, dans un film classique, serait le rival, l’ennemi.

C’était un défi, mais aussi cela rendrait le film plus riche et surtout nous aiderait à aller plus loin dans le traitement de ce sujet. Nous voulions que le spectateur accompagne ce politicien corrompu dans ses péripéties. Le film ne raconterait pas comment des agents de la force publique ou des journalistes intègres dévoilent un réseau de corruption, mais l'histoire d'un homme qui a volé le contribuable pendant des années et est découvert. Sauf qu’au lieu d’assumer sa faute et accepter sa culpabilité, il s’oppose à tout et à tous pour ne pas finir en prison. Nous ne voulions pas juger ce politicien corrompu, nous souhaitions nous demander : "Pourquoi ?"

Pourquoi agit-il ainsi, et surtout pourquoi, une fois qu’il est découvert, au lieu de demander pardon et accepter sa condamnation, dans la majeure partie des cas, il préfère mentir jusqu’à l’épuisement de ses arguments ? Voilà pourquoi nous avons choisi de faire de Manuel López-Vidal le personnage principal du scénario. Et nous nous sommes fixés une règle : tout serait raconté à travers son regard. »

Le point de vue
« Avec ce principe en tête, la manière de filmer EL REINO s’imposait dès le scénario : la caméra serait presque toujours collée au personnage, afin que le spectateur adopte son point de vue. Nous avons souhaité que la caméra ne se sépare jamais de lui. Plus exactement, presque jamais.

Car sur le tournage, nous nous sommes aperçus qu’il était intéressant parfois de sortir de ce principe et d’utiliser le principe inverse. C’est-à-dire tourner certaines scènes comme si nous étions de loin, en train d’espionner Manuel. Pour ce faire, dans certaines scènes, nous avons utilisé des téléobjectifs (135 mm) qui contribuent à donner cette sensation. À un moment du film, Manuel croit qu’on le suit, qu’on l’espionne. Et, comme lui, on ne sait jamais si c’est un soupçon fondé ou s’il s’agit juste de paranoïa.

Mais pour la majorité du film, nous nous sommes attachés à "l’accompagner" plutôt qu’à "le regarder". J'ai voulu instaurer une communion totale entre le spectateur et notre héros. Parce que je crois vraiment que c’est la meilleure manière de comprendre pourquoi Manuel fait ce qu’il fait. C’est quelque chose que j’ai appris avec mes précédents films STOCKHOLM ou QUE DIOS NOS PERDONE.

Dans les deux cas, le spectateur est contraint d’accompagner des personnages qui agissent parfois de manière répréhensible, mais il finit – presque toujours – par les comprendre. Je sais que c’est risqué et qu’une partie des spectateurs peut se sentir mal à l’aise, mais je sais aussi que c’est de cette manière qu’on peut l’immerger plus intensément dans le film. C’est pourquoi la présence du personnage principal dans absolument toutes les scènes est l’une des caractéristiques du film. »

Le contexte
« Nous savions que la "multi-localisation" de la corruption politique nous aiderait à évoquer cette réalité. Autrement dit, nous ne voulions pas citer un parti en particulier. Nous avons pris soin de ne jamais nommer le parti fictif auquel Manuel appartient et l’avons doté de caractéristiques des deux principaux partis nationaux, afin que l’on ne sache pas auquel nous nous référions précisément, ou plutôt, pour qu’il soit clair que nous pouvions faire référence à n’importe lequel des deux.

Rappelons-nous que le film se passe en 2007, quand il n’y avait que deux partis prédominants en Espagne et que les alternatives récentes n’étaient pas encore apparues. De plus, il était indispensable de ne jamais nommer la ville où se passe l’action. Nous avons tourné dans des lieux impersonnels qui peuvent représenter n’importe quelle ville espagnole. Cette condition m'a paru indispensable pour nous approcher davantage du caractère humain du film plutôt que de son caractère politique. EL REINO n’est en effet pas tant un film sur les politiciens qu’un film sur les êtres humains.

J’ai aussi souhaité faire en sorte que toutes les composantes nationales soient représentées dans le casting. Sur les dix personnages principaux, nous avons plusieurs Castillans, plusieurs Catalans, plusieurs Andalous, une Canarienne, un Galicien, un Valencien… Cela contribue à cette idée de "multilocalisation" du phénomène. »

Drame policier de Rodrigo Sorogoyen. Prix de la critique au festival international du film policier de Beaune 2019. 7 prix au Goya 2019. 4 étoiles AlloCiné.


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