Affaire des écoutes de l'Élysée

L'affaire des écoutes de l’Élysée est une affaire française d'écoutes téléphoniques illégales qui s'est déroulée de 1983 à 1986 sous le premier septennat de François Mitterrand. Elle s'est terminée par le jugement du 9 novembre 2005 du Tribunal correctionnel de Paris, avec la condamnation de sept anciens collaborateurs du président de la république, François Mitterrand, non jugé car mort en 1996. Dans ses attendus, le tribunal désigne Mitterrand comme « l'inspirateur et le décideur de l'essentiel » pour des raisons tenant en particulier à sa vie privée, sa fille naturelle Mazarine Pingeot et la gravité de son état de santé (cachée à l'époque)…

Origines et contexte
La cellule antiterroriste de l'Élysée dirigée par Christian Prouteau est créée par François Mitterrand en 1982. Près de 3 000 conversations concernant 150 personnes dont 7 pour des raisons qui ont été jugées illégales, ont été enregistrées entre janvier 1983 et mars 1986. Les écoutes, que les initiés appellent les « bretelles du président », ont cessé en 1986. Elles ont directement concerné plus d'un millier de personnes.

Comme la presse l'a rapporté, ce ne furent pas les premières écoutes téléphoniques effectuées par les services de la République. Ainsi, Constantin Melnik, qui coordonna les services secrets entre 1959 et 1962 confirma que durant la guerre d'Algérie, des écoutes téléphoniques étaient déjà pratiquées.

Toute écoute téléphonique n'est cependant pas illégale. Les deux tiers de ces écoutes sont faites à la demande de la DST et des RG dans des conditions qui ont été plus sévèrement juridiquement encadrées par la suite, essentiellement dans le cadre d'activités d'espionnages, de contre-espionnages ou de lutte contre le terrorisme. En 2007, la France dispose à l'Uclat (Unité de coordination de la lutte antiterroriste), d'un système d'écoute pouvant traiter 20 000 requêtes par an.

Le propre, toutefois, des écoutes de l'Élysée, est qu'elles ne concernent pas le service de l'État, mais des demandes personnelles de F. Mitterrand pour protéger des révélations au sujet de sa fille naturelle, formulées et matérialisées par la cellule de gendarmerie de l'Élysée.

La cellule antiterroriste de l'Élysée a été dissoute en 1988.

Enquête journalistique et judiciaire
La première mention de l'affaire dans la presse est le journal National Hebdo (proche du FN) en novembre 1992 ; Paul Barril (adjoint de Christian Prouteau qui dirigea la cellule antiterroriste de l'Élysée) évoque l'affaire, dans le numéro 3776 du Canard enchaîné, du 10 mars 1993, qui titre : « Les grands travaux du Président - L'Élysée branché sur le tout à l'écoute ». Mais c'est le quotidien Libération qui lui donne une plus grande publicité dans son numéro du 4 mars 1993 lorsqu'il publie un compte-rendu d'écoutes téléphoniques illégales, commanditées par la cellule de sécurité. La révélation des écoutes d'un journaliste du quotidien Le Monde, Edwy Plenel, conduit ce dernier à déposer plainte avec constitution de partie civile le 8 mars. Le Parquet ouvre alors une information contre X pour atteinte à la vie privée, attentat à la liberté ou à la Constitution. Il désigne le juge Jean-Paul Valat pour mener l'enquête.

Lors d'une interview en mars 1993, de deux journalistes belges de la RTBF Jean-François Bastin et Hugues Le Paige, ce dernier pose des questions à Mitterrand sur les écoutes de l'Élysée, ce qui offusque le président. Lorsque les journalistes abordent la légion d'honneur de Christian Prouteau, Mitterrand fait interrompre l'interview et reproche « un tel degré de vilenie ». Plenel déclarera que Mitterrand a viré les journalistes qui voulaient le questionner, dans son bureau, le président niant et déclarant « Je sais même pas comment faire les écoutes. »

Le 19 février 1997, les policiers de la DST pénètrent dans le box de garage de Plaisir (Yvelines) où Christian Prouteau conserve ses archives. Ils remettent au juge Jean-Paul Vallat chargé de l'instruction une malle contenant les registres des écoutes illégales dont certaines sont parfois paraphées d'un « Vu » par Mitterrand, prouvant ainsi l'implication directe du président Mitterrand dans les écoutes.

Procès
Il a fallu près de vingt ans pour que l’affaire soit jugée. Cela est dû en premier lieu au fait que les révélations, en grande partie anonymes, ont été tardives. Ensuite, le juge instructeur, Jean-Paul Vallat s’est heurté pendant longtemps au secret défense. C’est seulement en décembre 1999 que la Commission consultative du secret de la défense nationale a donné un avis favorable à une déclassification partielle du dossier. Enfin, bien qu’il ait bouclé son dossier en 2000, il a dû attendre quatre ans pour que le procès soit ouvert.

Le procès de l'affaire s'est ouvert le 15 novembre 2004 devant la 16 chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Les douze personnes ci-dessous ont été inculpées.

- Christian Prouteau, chef de la cellule antiterroriste de l’Élysée et ancien chef du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).

- Marie-Pierre Sajous, secrétaire de M. Prouteau.

- Cinq membres de la-dite cellule : Jean-Louis Esquivié, général de gendarmerie, ancien numéro 2 de la cellule ; Pierre-Yves Gilleron, ancien commissaire de la Direction de la surveillance du territoire (DST) ; Jean Orluc, ancien commissaire divisionnaire des Renseignements généraux (RG) ; Michel Tissier, commissaire de police des Renseignements généraux, adjoint de Jean Orluc ; Dominique Mangin, commissaire de police, ancien de la DST.

- Pierre-Eugène Charroy, général de brigade de l’armée de terre, qui était responsable à l’époque du Groupement interministériel de contrôle (GIC).

- Gilles Ménage, ancien directeur du cabinet de François Mitterrand, responsable de la cellule antiterroriste jusqu'en 1983 et qui fait l'interface entre elle et le président de la République.

- Michel Delebarre, ancien directeur du cabinet de Pierre Mauroy, ancien ministre.

- Louis Schweitzer, son successeur auprès de Laurent Fabius, PDG de Renault jusqu'au 29 avril 2005.

- Paul Barril, capitaine de gendarmerie, ancien chef du GIGN, déjà impliqué dans le scandale des Irlandais de Vincennes.

Les onze premiers sont poursuivis pour atteinte à la vie privée, et le dernier, qui est également partie civile, ayant lui-même fait l’objet d’écoutes, pour recel de fichiers informatiques. Ils encourent une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Personnalités écoutées
Les personnalités écoutées sont très diverses, certaines très connues, d’autres inconnues. On relève notamment un proche de Charles Pasqua, Joël Galipapa, aujourd’hui décédé, François Froment-Meurice, qui était secrétaire général-adjoint du Centre des démocrates sociaux (CDS), Jacques Vergès, Francis Szpiner, avocats, ainsi que Jean-Pierre Thiollet et le compagnon de Carole Bouquet.

Deux d'entre elles furent au cœur des débats : le journaliste Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde, et Jean-Edern Hallier, écrivain, décédé en 1997. Selon le dossier d’accusation, Edwy Plenel aurait été perçu comme une menace par l’ancien président de la République à cause de l'affaire Farewell. Quant à Jean-Edern Hallier, il annonce en mars 1984 la publication d'un brûlot intitulé L'Honneur perdu de François Mitterrand, qui au départ devait d'ailleurs s'appeler Mitterrand et Mazarine, dans lequel il révèle l’existence de Mazarine Pingeot, la fille, cachée à l’époque, du président qui peut ainsi par les écoutes envoyer ses hommes récupérer les livres le jour de la livraison et les détruire.

Jugement
Douze ans après l'ouverture de l'enquête judiciaire, le Tribunal correctionnel de Paris, dans son jugement du 9 novembre 2005, a exposé les motivations de sa décision judiciaire.

Le tribunal releva ainsi que le président François Mitterrand s'était montré soucieux de protéger divers éléments de sa vie personnelle, notamment l'existence de sa fille naturelle Mazarine Pingeot (dont l'écrivain Jean-Edern Hallier, menaçait de révéler l'existence — voire, selon la dépêche de l'agence Reuters rapportant la décision judiciaire, le cancer diagnostiqué fin 1981 et son passé à Vichy pendant la guerre, affirmations qui n'avaient pas paru jusqu'alors). C'est également pour des « motifs obscurs » (selon le tribunal) que le compagnon de Carole Bouquet est écouté à cause de ses relations au Proche-Orient tout comme Edwy Plenel, journaliste au Monde ou encore l'avocat Antoine Comte.

Dans ses attendus, le tribunal a encore pointé du doigt François Mitterrand : « Les faits avaient été commis sur ordre soit du président de la République, soit des ministres de la Défense successifs qui ont mis à la disposition de (Christian Prouteau) tous les moyens de l'État afin de les exécuter. » Selon le tribunal, François Mitterrand a été « l'inspirateur et le décideur de l'essentiel ». Le dossier a montré que le président avait ordonné lui-même certaines écoutes et avait laissé faire pour d'autres.

Le tribunal néanmoins souligna que les autres écoutes administratives réalisées par les services secrets et la police n'avaient pas plus de cadre légal que celles de la cellule antiterroriste.

Sept anciens collaborateurs du président sont finalement condamnés dont :

- Gilles Ménage, ancien directeur de cabinet adjoint (six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende pour « atteinte à l'intimité de la vie privée ») ;

- Christian Prouteau, dirigeant de la cellule antiterroriste (huit mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende) ;

- Louis Schweitzer, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Matignon, pour le placement sur écoutes de l'écrivain Jean-Edern Hallier (dispensé de peines) ;

- Michel Delebarre, ancien directeur de cabinet de Pierre Mauroy à Matignon, pour le placement sur écoutes de l'écrivain Jean-Edern Hallier (dispensé de peines) ;

- l'ancien gendarme Paul Barril, condamné pour le recel des données secrètes de la cellule à six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende.

Pierre-Yves Guézou meurt pendu à son domicile en 1994, avant qu'il ne passe en jugement.

Quatre autres employés de la cellule ont été relaxés ainsi que le général Pierre Charroy, patron de 1982 à 1999 du Groupement interministériel de contrôle (GIC), organisme qui réalise pour le compte du gouvernement l'ensemble des écoutes téléphoniques administratives (extrajudiciaires).

Seules sept parties civiles sont ainsi reconnues comme victimes parmi lesquelles l'ex-journaliste du Monde Edwy Plenel, en pointe dans l'affaire Greenpeace, l'avocat Antoine Comte, défenseur des Irlandais de Vincennes, Jean-Edern Hallier (décédé) ainsi que sa famille (son fils, sa fille et son frère) et Joël Galipapa (décédé), collaborateur de Charles Pasqua aujourd’hui décédé, alors que vingt-deux autres plaintes sont jugées infondées dont celles des journalistes Hervé Brusini et Michel Cardoze et celle de l'actrice Carole Bouquet.

Par ailleurs, le tribunal déclara que les fautes n'étaient pas « détachables du service de l'État ».

Le 30 septembre 2008, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois des prévenus, dont les condamnations sont alors devenues définitives mais les sanctions sont amnistiées en vertu de la loi votée après l'élection présidentielle de 1988 (texte législatif rétroactif pour les faits commis avant le 20 août 1988), et donc non inscrites au casier judiciaire, sous réserve que les condamnés paient les amendes.

Le 13 mars 2007, la Cour d'appel de Paris a accordé à l'actrice Carole Bouquet un euro de dommages et intérêts et au lieutenant-colonel Jean-Michel Beau 5 000 euros, pour atteinte à l'intimité de leur vie privée dans cette affaire.

La justice a ensuite condamné en 2008 l'État français à indemniser la famille de Jean-Edern Hallier. L'État français n'a pas présenté ses excuses auprès des personnes qui ont fait l'objet de ces écoutes illégales et dont la liste figure à la fin du livre intitulé Les Oreilles du Président .

La France condamnée pour violation de la liberté d'expression de deux journalistes[modifier | modifier le code]

Le 1er février 1996, Gilles Ménage, ancien directeur du cabinet de François Mitterrand, dépose une plainte avec constitution de partie civile contre Jean-Marie Pontaut et Jérôme Dupuis, accusés de recel de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel pour la publication du livre Les Oreilles du Président, suivi de la liste des 2000 personnes "écoutées" par François Mitterrand. Dans ce livre, les deux journalistes révèlent certains procès-verbaux de l'instruction en cours. Après avoir été condamnés par les différents tribunaux de leur pays, ils saisissent la Cour de Strasbourg réputée être très attentive à la liberté de l'information. La Cour européenne des droits de l'homme conclut dans son arrêt Dupuis du 7 juin 2007 à la violation par les autorités françaises de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Elle estime que ce livre, « à l'instar des chroniques judiciaires, répond à une demande concrète et soutenue du public de plus en plus intéressé de nos jours à connaître les rouages de la justice au quotidien » et rappelle que « la condamnation des journalistes s'analyse en une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté d'expression ».

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : Pixabay.


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