Nevada

Incarcéré dans une prison du Nevada, Roman n’a plus de contact avec l’extérieur ni avec sa fille... Pour tenter de le sortir de son mutisme et de sa violence, on lui propose d’intégrer un programme de réhabilitation sociale grâce au dressage de chevaux sauvages. Aux côtés de ces mustangs aussi imprévisibles que lui, Roman va peu à peu réapprendre à se contrôler et surmonter son passé... 

Nevada mélange deux genres canoniques: le film de prison et le western. Ce rapport aux genres était-il conscient ou simplement une conséquence de l’histoire que vous racontez ?
Plus jeune, j’ai été très influencée par les westerns européens, notamment par Sergio Leone qui amenait son regard italien sur des sujets très américains. Ce décalage créait un lyrisme, une poésie unique. J’ajouterais aussi Paris Texas de Wim Wenders, avec ce personnage somnambulique, un peu comme Roman, mon personnage joué par Matthias Schoenaerts. Par rapport aux genres, j’ai aimé jouer du contraste entre les vastes paysages et les espaces confinés de la prison, entre les plans larges et les plans serrés. La nature est explosive, sauvage, magique, mais mes personnages sont enfermés dans un petit carré.

Avez-vous tourné dans une vraie prison en activité ? Et si oui, comment se passe un tournage de fiction dans un tel lieu ?
Je voulais absolument tourner dans la prison du Nevada où a lieu le programme de réhabilitation, et ça a été extrêmement compliqué. Les détenus dans le film sont des ex-détenus qui ont participé au programme. L’un, Tom, est devenu entraîneur de chevaux, il dit lui-même qu’il a été “sauvé par un cheval”. C’était impossible de tourner avec des détenus toujours incarcérés. On a tourné des plans dans la prison active mais la plus grande partie a été filmée dans la prison d’à côté qui n’est plus en activité. Je tenais aux paysages désertiques et rocheux du Nevada, je voulais  que les lieux et les personnages secondaires soient authentiques. Mais pendant longtemps, on ne pouvait pas tourner dans le Nevada pour des raisons juridiques et financières et on a cherché des lieux ailleurs sans être jamais satisfaits. Finalement, deux mois avant le tournage, on a fini par obtenir l’autorisation de tourner dans cette prison du Nevada que je voulais absolument parce que c’est là que se déroule le programme. Cette quête a pris deux ans !

Nevada est une fiction ancrée dans une puissante matière documentaire…
Absolument, et c’était très important. 85% de l’histoire que je raconte est authentique, basée sur de vraies histoires, de vrais personnages, de vrais détails. Il fallait que je sois dans ce vrai décor pour implanter mon histoire et mon film.

Avez-vous tout de suite senti la gémellité entre le cheval et Roman, votre personnage principal ?
Ça m’a frappée quand j’observais les séances entre les détenus et les chevaux, il y avait un évident effet miroir : celui de bêtes sauvages enfermées dans un petit enclos et qui doivent se “parler”. Dans cette situation particulière, hommes et chevaux ont en eux beaucoup de violence, de colère et d’angoisse, ils ressentent aussi une peur mutuelle, et chacun va essayer de s’apprivoiser petits pas par petits pas.

J’ai vu des détenus perdre patience et s’énerver contre les chevaux parce qu’ils ne parvenaient pas à leurs fins, et bien sûr, les chevaux répliquaient en donnant des coups. Il fallait alors changer de méthode. Ce programme est un véritable apprentissage de la patience, de la domination de ses pulsions.

Les hommes y retrouvent leur vulnérabilité, leur part d’enfance. Ils sont face à ces animaux, comme des enfants face à un professeur qui leur apporte de l’amour, de l’attention, mais qui les corrige aussi de temps en temps. Cette rééducation se passe à un niveau sensoriel très fort, qui transforme un homme.

Avez-vous pensé très vite à Matthias Schoenaerts pour incarner Roman ?
Il fallait que mon acteur ait en lui cette masse physique imposante du personnage, tout en portant une émotion, une sensibilité toujours au bord des lèvres, au bord des yeux, à fleur de peau. Matthias s’est lancé très tôt dans l’aventure, il était traversé par cette histoire, il avait besoin de la raconter. Il est venu avec moi dans les repérages en prison, il avait besoin d’absorber toute cette matière émotionnelle, de comprendre ces trajectoires. Sa mère, qui est décédée il y a deux ans, avait enseigné la méditation en prison. Pendant le tournage, son rapport à l’animal était celui de Roman : il avait un peu peur, il ne montait pas très bien au début, il avait cette même appréhension du cheval sauvage. 

La fin est très belle mais vous avez résisté au happy end total ?
Je suis française, un peu mélancolique et je ne voulais surtout pas d’un happy end hollywoodien. On est peut-être un peu frustré que Roman ne sorte pas de prison mais j’ai préféré rester réaliste. Et puis c’est bien aussi d’être un peu frustré, de ne pas toujours avoir ce qu’on veut. J’ajoute qu’il y a quand même une note positive dans cette fin douce-amère : Roman a retrouvé un peu sa fille, il a libéré quelque chose dans sa tête.

Dans la réalité, quel est le taux de réussite de ce programme de réhabilitation par le dressage de chevaux ?
Le programme aide à réduire les taux de récidive et le cycle infini du retour à la case prison. Mais ça ne marche pas à tous les coups non plus, certains replongent. Ce programme n’est pas une science exacte et n’offre pas de garanties de résultat mais il permet aux détenus de trouver un sens à leur existence et de se réconcilier avec eux-mêmes et les autres. Aux côtés de ces mustangs aussi imprévisibles que lui, Roman va peu à peu réapprendre à se contrôler et surmonter son passé.

Drame de Laure de Clermont-Tonerre. 4 étoiles AlloCiné.


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