Thunder road

L'histoire de Jimmy Arnaud, un policier texan qui essaie tant bien que mal d'élever sa fille. Le portrait tragi-comique d'une figure d'une Amérique vacillante... 

Entretien avec le réalisateur et acteur Jim Cummings

Tout Thunder Road est bâti sur un trop plein d’émotions, que votre personnage ne sait pas gérer
C’est vrai, tout part de là. A l’origine, il y a le court-métrage du même titre (vainqueur à Sundance 2016), qui se résumait au monologue d’un flic qui parle à l’enterrement de sa mère et qui se laisse déborder par ses émotions. Quelque part, je savais que c’était une comédie, mais en même temps, je trouvais ça émouvant. Je me disais « en fait, ça pourrait presque être du PIXAR !», ce genre de films où on rit, on pleure, on ne sait plus si on rit ou si on pleure, où finit une émotion et où commence la suivante. Ils sont trop rares, ces films-là.

Et s’ils sont si rares, c’est parce qu’ils sont extrêmement difficiles à réussir. Il est déjà très compliqué de faire rire ou pleurer le public, alors imaginez, les deux à la fois ! Et donc, à mesure que je répétais mon texte pour le court-métrage, j’ai pris conscience que ça pourrait marcher sur un long. Il y avait un film là-dedans… Le personnage en tant que tel et l’histoire proprement dite ne sont venus que dans un second temps.

Au début, par exemple, je faisais le monologue sans accent. Et puis je me suis dit « et s’il était du sud ? ». Parce que j’avais l’intuition que le personnage gagnerait à être issu d’une culture qui ne sait pas gérer la fragilité masculine. Moi-même, je viens de la Nouvelle Orléans, alors je me suis inspiré de gars avec lesquels j’ai grandi, des gars qui ont baigné depuis l’enfance dans cette masculinité toxique.

Le personnage est tout naturellement sorti de là : il a une fragilité en lui, des émotions qu’il ne sait pas gérer, parce qu’on ne lui a appris qu’à les réprimer, en faisant le dur et en se prenant au sérieux. Dès lors, je n’avais qu’une envie : le rendre encore plus pathétique et que son entourage abuse encore davantage de lui. Parce que si je réussissais mon coup, ça le rendrait encore plus drôle et plus touchant.  

Encore fallait-il trouver un acteur capable d’exprimer ça. Vous-même, en l’occurrence !
Au début de ma carrière, j’ai fait de la production à droite à gauche, sur des projets de copains, parce que j’étais bon au téléphone et que je savais utiliser Powerpoint et Excel pour faire des devis et des plannings. Et je me suis retrouvé plusieurs fois en situation de travailler sur « une comédie » mais qui ne me faisait pas vraiment marrer. Ou sur « un drame », mais qui ne me faisait pas réellement chialer.

Alors pour Thunder Road, je suis parti de mes propres émotions, de mon propre métabolisme. En l’écrivant, je riais, je pleurais, j’étais dans tous mes états. Donc je savais que j’étais dans le vrai. Ensuite, une fois sur le plateau, c’était encore autre chose. Je tentais toutes sortes de grimaces et de trucs ridicules pour faire marrer l’équipe – j’étais prêt à le faire mille fois s’il le fallait, jusqu’à ce qu’ils se marrent pour de bon.

Pour ce qui est de pleurer, surtout au milieu de ces prises très longues, il faut avoir tout préparé, tout millimétré au point de finir par oublier l’équipe, la mise en place, et d’essayer de devenir vraiment ce pauvre type qui a perdu sa mère et qui doit faire face à un auditoire – mais aussi à sa perte, son chagrin, ses souvenirs, tout ce qu’elle lui a transmis. Pour m’inspirer, j’avais mon smartphone, sur lequel j’avais des images de Lady Di ou de ses fils William et Harry à son enterrement, le genre de choses qui me bouleversent à chaque fois. Je sais que ça peut paraître idiot, mais je me plongeais dans ces images et ça me mettait dans l’état émotionnel adéquat.

Il y avait aussi cette phrase des parents de Rémy Belvaux, l’auteur de C’est arrivé près de chez vous, après que leur fils s’est donné la mort : « il nous a laissé un chef-d’oeuvre et mille questions sans réponse ». La phrase la plus triste que j’ai entendue dans ma vie ! Je regardais ça sur mon téléphone, je pleurais un coup et je n’avais plus qu’à dire « action ! ». 

Pourquoi un flic ?
Au départ, j’avais juste l’idée d’un court-métrage qui ne serait qu’un monologue en un seul plan. Un pote m’a parlé d’un enterrement où il avait vu le speech de quelqu’un qui avait perdu sa mère, et ça a été un déclic. Et puis quelques jours plus tard, je rencontre des policiers, qui m’expliquent qu’en Californie, ils sont tenus d’aller aux enterrements en uniforme ! Là, je savais que je tenais le film. Plus aucun doute.Dès le lendemain, j’ai commencé à laisser pousser ma moustache.

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Pour les flics américains, la seule pilosité faciale autorisée est la moustache. Alors, ils la laissent souvent pousser comme un signe d’appartenance et de fierté pour leur boulot. Le résultat, c’est que dans notre inconscient collectif, police = moustache. N’importe quel show télé, n’importe quel polar des années 70, ils ont la moustache !

Et c’était génial pour nous d’imaginer notre personnage se raser religieusement tout le reste, et garder ce truc qui lui donne un air ridicule. Ça lui donnait une identité esthétique. Ce sourcil idiot au-dessus de ses lèvres. J’en ai parlé à des agents, ils m’ont dit « c’est comme ça, mec ». Pour moi, c’était idéal. Je n’avais jamais porté la moustache auparavant. Ça me permettait de me fondre dans le personnage, ce type qui se prend trop au sérieux. 

Vous-même, à quel moment avez-vous compris qu’aller si loin dans votre intuition comique allait rendre le film presque douloureux ?
C’est une ligne très compliquée à tenir. On en a beaucoup parlé en prépa, notamment pour la scène où je gueule sur les autres flics et où je me fous à poil en pleine rue. Comment on fait pour que ce ne soit pas du Will Ferrell ? Il est tellement iconique pour sa manière de hurler des trucs absurdes à la figure des gens…

Donc notre question était « comment ne pas aller trop loin ? ». Ou plutôt « jusqu’où peut-on aller sans perdre l’intention de départ ? ». Parce que c’est d’abord censé être prenant, presque traumatique. Et drôle seulement dans un second temps, et seulement jusqu’à un certain point. Il y a comme un curseur pour chaque phrase, chaque geste. Est-ce que c’est juste ? Est-ce qu’on franchit la ligne ou non ?

Il ne faut surtout pas que le public considère d’emblée qu’il est dans une comédie. Il doit se poser la question, être mal à l’aise, se demander s’il a le droit de rire ou non, rire presque nerveusement, puis s’en vouloir d’avoir ri… C’est de l’équilibrisme. Un vrai travail de précision. Et les gens apprécient. Après les projections, beaucoup viennent nous dire « bravo les gars, vous n’avez pas dépassé la limite où l’on n’y croit plus ». 

Vous sentez une différence entre la façon dont les Américains et les Européens reçoivent le film ?
Oui, en raison d’éléments de langage, de rythmes de phrases… Les sous-titres ne peuvent pas toujours gérer la rythmique d’une blague ou d’une punch line. Mais franchement, jamais je n’aurais imaginé que ce film voyagerait. Jamais ! Je savais qu’il était très humain, parlant de choses que nous connaissons tous : la vie, l’amour, la mortalité, ce qu’on laisse derrière soi. Mais j’avais en tête d’impressionner les gars de mon bureau, pas d’aller montrer le film en France ! De la même manière que Springsteen s’adressait avant tout aux habitants du New Jersey.

Finalement, c’est de cette manière-là qu’il a su capter un sentiment universel, et parler à tous. 

Comédie dramatique américaine de Jim Cummings. Grand prix du festival du film américain de Deauville. 4,7 étoiles AlloCiné.


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