Guy

Gauthier, un jeune journaliste, apprend par sa mère qu'il serait le fils illégitime de Guy Jamet, un artiste de variété française ayant eu son heure de gloire entre les années 60 et 90. Celui-ci est justement en train de sortir un album de reprises et de faire une tournée. Gauthier décide de le suivre, caméra au poing, dans sa vie quotidienne et ses concerts de province, pour en faire un portrait documentaire. 

 

Entretien avec Alex Lutz, le réalisateur 

Votre ami Tom Dingler, qui joue Gauthier dans le film, est le fils du chanteur Cookie Dingler, interprète d’un tube mémorable des années 80, Femme libérée. Est-ce le point de départ de GUY ?
De façon inconsciente, peut-être. Mais le père de Tom n’a pas grand-chose à voir avec Guy, il est plus solaire. Ce qui est sûr, c’est que de l’avoir connu très jeune, parce qu’on était potes de lycée, Tom et moi, avoir vu ce chanteur à tube être quelqu’un de si drôle, de si sympa, de si cultivé, ça calme les a priori. La famille de Tom a été ma première famille artistique. L’épouse de Cookie, Cathy Bernecker, était une vraie marraine pour moi, je l’ai mise en scène avec ma compagnie. Mais, non, ce n’a pas été le déclencheur du film. 

Quel en a été le déclencheur, alors ?
Plutôt mes réflexions sur le temps, sur la filiation, et mes propres mises en abyme : mes créations de personnages. J’avais envie de revenir à quelque chose de plus essentiel dans ma création artistique : l’art du portrait, que, sur scène, les spectateurs semblent également apprécier. Est née peu à peu l’envie de ce faux documentaire sur un chanteur que les medias ont peut-être oublié, mais qui continue de travailler, d’avoir une relation privilégiée avec le public…

Moi aussi, comme Guy, je suis tout le temps sur scène, dans toute la France. J’en blaguais avec Thibault Segouin, l’un des co-scénaristes du film : qu’est-ce que ça sera de rejouer le même sketch, dans quinze ans, dans une ville où j’aurai déjà joué cent fois ? Donc, ça vient aussi pas mal de moi. De mon envie d’apprivoiser mes cauchemars, de mes interrogations sur le temps : c’est étrange, la phrase que je viens de dire est partie aussitôt que je l’ai dite, ou aussitôt que vous en avez lu la transcription. Disparue… Ça me touche, le drôle de bail qu’on a tous avec la vie : on naît avec un bail dont on ignore la date de fin, et il faut se débrouiller avec ça. Guy vient aussi de là. 

Le film est-il une « défense et illustration » du music-hall, ou du show business, à l’usage de ceux qui trouveraient ce milieu ringard…?
Sans doute un peu. Et une ode à la vie, aussi. Guy sait très bien où il est, voilà pourquoi il s’énerve, après son passage chez Michel Drucker : « Je vais lui dire quoi à Michel Drucker ? Finalement, je me suis trompé, je n’aime pas l’amour ?

Erratum, pardon, n’achetez pas mes disques, c’est ça que tu veux que je dise chez Drucker ? » Il n’est pas débile, c’est un vieux briscard, il a bien vu la caméra de Gauthier « pianoter » sur les chiens, au moment où il disait que sa femme avait un « fort caractère »…

Et au-delà d’engueuler Gauthier, il nous engueule tous. On se fait taper sur la main par un papa qui nous dirait :

« Ecoute, tu n’aimes pas comment c’est meublé chez moi, mais tu es libre de ne pas y aller, dans mon salon, je ne t’ai rien demandé… » A ce moment-là, j’aime son panache, sa liberté…

Oui, Gauthier l’a d’abord filmé comme un ringard. Mais, c’est quoi la ringardise ? Vaste sujet. Un type ringard depuis dix ans, au hasard d’une collaboration, va revenir à la mode… Et puis l’opinion de Gauthier va évoluer.

Comme s’il s’agissait de deux récits d’apprentissage, pour l’intervieweur comme pour l’interviewé. C’est la collision de deux petits buffles. Guy va apprendre à ne plus être la caricature de lui-même. D’autant qu’il se doute peu à peu que Gauthier est son fils. On voit dans le film le moment où il s’en rend compte. Je ne vous dirai pas lequel : à chaque spectateur de le deviner ! 

Comment êtes-vous devenu physiquement Guy Jamet ?
Je cherchais un style, j’avais photographié un type que j’avais vu furtivement dans la rue, j’avais envoyé la photo à ma costumière. Et puis, aux Molières, j’avais fait un pastiche de vieil acteur, un peu comme une maquette. Ensuite, on a trouvé Guy petit à petit. Le coiffeur Antoine Mancini, qui, finalement, n’a pas fait le film, a eu l’idée des cheveux blancs. J’avais peur que ça fasse un peu sketch, mais il m’a conseillé d’être radical.

Après, il fallait un maquillage crédible. Je savais que le poste « Habillage Maquillage Coiffure » serait le plus cher sur le film, ce qui était compensé par le style de filmage, avec des mises en place très légères. Laetitia Quillery et Geoffroy Felley me maquillaient tous les matins, pendant quatre ou cinq heures : je dormais, je faisais mes mails, je parlais aux assistants, c’est un excellent souvenir. 

Il y a aussi, dans Guy, la nostalgie d’un monde où l’on s’amusait davantage…
Les années Sida ont fait exploser un système de divertissement qui avait métamorphosé une France jusque-là immobile. Il faut voir ce qu’est la France après la seconde guerre mondiale et puis comment, tout à coup, avec l’industrie du disque, mais pas seulement, les choses bougent. Une libération, avec son cortège de défauts, de perversions, d’utopies ratées, mais peu importe. Et puis, tout à coup, le sida arrive, qui te dit que la fête est finie.

On arrête de rire, la société se « sur-norme ». Il y a de quoi être enragé, hurler. Comme un glas qui a sonné… 

Comédie dramatique d’Alex Lutz. Une nomination aux journées romantiques du festival du film de Cabourg 2018. Une nomination à la semaine internationale de la critique, Cannes 2018. 3,9 étoiles AlloCiné.


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